Des riz transgéniques illégaux “s’invitent” à la table des Européens
En août et septembre 2006, des cargaisons de riz, en provenance des Etats-Unis et de Chine, se sont révélées être contaminées par deux types de riz transgénique, non autorisés comme cultures commerciales, nulle part au monde. En Europe, les autorités nationales et communautaires, ainsi que les opérateurs commerciaux, ont été dans l’obligation de réagir rapidement. L’occasion d’une mise à l’épreuve, grandeur nature, de la législation européenne. Inf’OGM a mené l’enquête.
Le 31 juillet 2006, l’entreprise Bayer informait le Ministère états-unien de l’agriculture (USDA) que des stocks commerciaux de riz à grains longs étaient contaminés par son riz transgénique LL601 (Liberty Link), génétiquement modifié (GM) afin d’exprimer la protéine PAT, induisant une tolérance aux herbicides à base de glufosinate [1]. Deux semaines plus tard, c’est un riz transgénique chinois Bt63 non autorisé qui était détecté, par Greenpeace, dans les importations européennes
LL 601 – Chronologie d’une contamination
Testé entre 1998 et 2001 dans le cadre d’essais en champs aux Etats-Unis, ce riz n’a jamais fait l’objet d’une demande d’autorisation de commercialisation. Au 31 juillet, il n’était autorisé ni aux Etats-Unis ni en Europe, rendant illégale l’utilisation commerciale de ce riz ou tous produits en contenant, même à l’état de traces. Pourquoi Bayer a-t-il analysé les stocks de riz en 2006, et non les années précédentes ? C’est en fait la coopérative de producteurs de riz états-unienne Riceland qui, alertée par un de ses clients en janvier 2006, a confirmé la contamination et identifié le caractère transgénique de résistance à un herbicide comme étant celui de Bayer. En mai, Riceland, après analyse de plusieurs échantillons, conclut qu’une contamination est “géographiquement dispersée et répartie sur l’ensemble de la zone de production de riz”, et alerte Bayer qui confirmera cette contamination aux autorités états-uniennes fin juillet [2].
Actuellement, la piste évoquée expliquant la contamination serait la distribution accidentelle de semences de riz GM [3].
Au 21 août, les autorités états-uniennes ont évalué les données scientifiques fournies par Bayer concernant la sécurité sanitaire et environnementale du riz LL601, et considéré qu’il ne présentait aucun risque. La rapidité d’obtention de ces données nous a été expliquée par Bayer par le fait qu’elles étaient déjà disponibles en interne. Avant 1999, Aventis (rachetée par Bayer en 2002) développait plusieurs lignées de riz GM tolérant le glufosinate, dont les riz LL62, LL06 et LL601. Aventis avait alors évalué chacune de ces lignées, mais n’a demandé les autorisations de commercialisation, qu’elle a obtenues en 1999, que pour les seules lignées LL62 et LL06.
Le 22 août 2006, Bayer a demandé aux autorités la dérégulation [4] du riz LL601 (l’équivalent en droit européen d’une demande d’autorisation de commercialisation). Dans cette demande, il est précisé qu’aucune commercialisation des lignées LL62 et LL06 n’a encore eu lieu.
Informée tardivement, l’Europe tente de réagir
Le 18 août 2006, la Commission européenne (CE) a été informée de cette contamination, soit 18 jours après les autorités états-uniennes, ce qu’a déploré Robert Madelin, directeur général de la Direction Générale à la Santé des Consommateurs de l’UE dans une lettre adressée le 21 août à l’USDA. La CE a demandé que lui soient adressées les données scientifiques montrant l’absence de risques, la liste des exportations potentielles d’aliments et de semences contaminées et la méthode de détection validée comme spécifique au riz LL601 en vue de la tester et la valider pour le territoire européen. Enfin, la CE demande à être informée de l’enquête conduite aux Etats-Unis en vue de déterminer l’origine de la contamination [5].
Le 23 août, la CE déclarait exiger “que le riz à grains longs en provenance des États-Unis soit certifié exempt de riz GM non autorisé LLRice601. […] Les mesures d’urgence adoptées ce jour par la Commission entrent en vigueur immédiatement. Pour pouvoir être importés dans l’Union européenne, les lots de riz à grains longs américains devront avoir été préalablement analysés par un laboratoire agréé au moyen d’une méthode validée”. Donc, toute importation de riz à grains longs des Etats-Unis est interdite, sauf si le chargement est accompagné d’un “rapport d’analyse original fondé sur une méthode appropriée et validée de détection de ce riz. Les États membres veillent à ce que les coûts des contrôles soient supportés par les opérateurs responsables de la première mise sur le marché” [6].
A cette date, la CE n’avait pourtant pas encore reçu, du Laboratoire Commun de Recherche (CCR), la validation obligatoire de la méthode de détection spécifique à ce riz élaborée par Bayer. Le CCR l’a délivrée le 1er septembre. La décision indiquant la marche à suivre quant au devenir des stocks contenant du riz LL601 est venue du Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale (CPCASA), le 11 septembre : “les stocks de riz concernés par la présence de LL RICE 601 devront être détruits ou renvoyés”.
Pour la CE, les Etats membres sont responsables du contrôle des importations à leurs frontières et doivent conduire des contrôles sur des produits déjà sur le marché afin de s’assurer de l’absence de riz LL601. Les opérateurs sont également responsables d’assurer que ce riz n’entre pas dans la chaîne alimentaire [7].
Le 14 septembre, l’EFSA a conclu positivement son avis scientifique sur la sécurité sanitaire du riz LL601, sur base des données communiquées par les autorités états-uniennes [8], alors que les données transmises, au regard de la loi européenne, ne sont pas suffisantes. L’EFSA annonce avoir évalué la protéine PAT par comparaison avec d’autres dossiers, mais ne pouvoir vérifier l’absence de différences morphologiques, agronomiques et de composition entre le riz GM et le riz non GM, et surtout, n’être pas en mesure d’évaluer les quantités de riz LL601 présent dans l’UE.
Philippe Tod, porte-parole du Commissaire européen Markos Kyprianou, a indiqué à Inf’OGM que, malgré cet avis, “le riz LL601 reste illégal dans l’UE et ne peut être commercialisé. La CE ne s’attend pas à ce qu’un dossier de demande d’autorisation commerciale pour ce riz soit déposé”.
La France et le Japon bloquent les importations
En France, la DGCCRF a “diligenté une enquête auprès des importateurs français de riz américain et fait procéder par ses services de contrôle à des prélèvements sur les lots de riz en stock ou en cours de conditionnement (les importations de riz en provenance des États-Unis représentent 20 000 tonnes par an pour une consommation nationale en France de 250 000 tonnes). La DGCCRF a en outre demandé aux divers opérateurs détenteurs de stocks de riz provenant des Etats-Unis de bloquer leur commercialisation dans l’attente d’un résultat d’analyse (officiel ou laboratoire privé) garantissant la conformité du produit”. Les premiers résultats ont montré que sur 19 échantillons analysés, 7 contiennent du riz LL601 (à des taux inférieurs à 0,1%). En conformité avec la décision du CPCASA, ces lots devraient être renvoyés ou détruits [9].
Au Japon, dès le 19 août, toute importation de riz à long grains en provenance des Etats-Unis était interdite [10].
Vers une commercialisation du riz transgénique ?
Malgré les mesures européennes et nationales, ce riz est présent dans les ports et rayons des magasins. A Rotterdam, une cargaison de 20 000 tonnes de riz états-unien avait été bloquée fin août pour analyses. Le 12 septembre, les Pays-Bas déclaraient que ces analyses étaient positives pour la présence de LL601 dans trois barges, négatives pour 20 autres [11]. Selon P. Tod, cette cargaison est la seule à s’être présentée dans l’UE entre le 23 août et le 1er septembre. Mais, le 21 septembre, les autorités néerlandaises annonçaient les résultats d’une contre-expertise qui révélaient que deux barges certifiées non contaminées (donc qui avaient continué leur route) l’étaient en réalité. Selon P. Tod, celles-ci ont été rappelées et la CE a “l’intention de renforcer les mesures [actuelles], qui prévoient des tests sur le riz long grain américain”.
Des analyses conduites par la Fédération européenne des meuniers de riz se sont également révélées positives pour 33 échantillons sur 162. Greenpeace a par ailleurs découvert que des paquets de riz en provenance des Etats-Unis contiennent du riz LL601 notamment dans des produits vendus par la chaîne de supermarchés allemande Aldi]. La Suède, la Suisse et l’Allemagne ont également découvert des traces de riz LL601 dans du riz importé des États-Unis. En Suisse, les distributeurs Migros et Coop ont retiré de la vente leurs produits à base de riz états-unien, avant d’en remettre certains en vente selon les résultats d’analyses.
Au Canada et aux Etats-Unis, la société civile se mobilise
Au Canada, l’autorisation d’importation commerciale du riz LL62 était donnée mi-juin [12]. Après l’annonce de la contamination par le LL601, Greenpeace Canada a exigé du gouvernement qu’il suspende immédiatement l’autorisation de tout riz GM. Pour l’association, “ou bien les autorités gouvernementales sont totalement incompétentes et ne peuvent empêcher la contamination génétique des OGM […], ou bien la contamination est un acte délibéré “accidentel” qui permet aux entreprises comme Bayer CropScience d’obtenir des autorités gouvernementales une autorisation de facto” [13].
Aux Etats-Unis, les producteurs de riz de l’Arkansas, du Missouri, de Louisiane, du Texas et de Californie ont porté plainte auprès de la Cour du comté Est de l’Arkansas, à Little Rock, contre Bayer, accusée de n’avoir pas su éviter la contamination de la chaîne alimentaire, entraînant une chute de 14% (entre août et septembre) du prix du riz états-unien, à la Bourse de Chicago (atteignant 8,47$ le quintal).
Contamination par le riz chinois Bt63
Le 5 septembre 2006, Greenpeace et les Amis de la Terre révélaient la présence de riz transgénique Bt63 (dénomination non officielle) dans des produits alimentaires chinois vendus en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne. Or ce riz n’est autorisé commercialement dans aucun pays du monde. Des tests sur des échantillons de produits élaborés à base de riz (riz, vermicelles, nouilles…) vendus dans les magasins d’alimentation asiatique, dont Tang Frères en France, ont révélé la présence de riz Bt63, qui exprime la protéine insecticide Cry1Ac, potentiellement allergène selon les deux ONG. En avril 2005, en Chine, Greenpeace avait déjà découvert et dénoncé une contamination massive du riz conventionnel par ce riz Bt63. En effet, l’analyse de semences commercialisées avait montré que du riz exprimant la protéine Cry1Ac, non autorisé, avait contaminé la chaîne alimentaire et que des semences transgéniques étaient cultivées et vendues illégalement dans la province de Hubei depuis deux ans (cf. Inf’OGM n°63).
La Commission européenne (CE) a alors demandé des explications à la Chine. Lors de la rencontre entre M. Kyprianou et le ministre chinois de la sécurité alimentaire, le 19 septembre, ce dernier a confirmé que ce riz n’était autorisé, en Chine, que pour des essais en champs et qu’une enquête est en cours afin de comprendre la cause d’une telle contamination. Pour l’instant, les autorités chinoises ont demandé aux autorités portuaires d’analyser toutes cargaisons d’exportation de riz préalablement à leurs envois afin de les certifier exemptes de riz Bt63. Le commissaire et le ministre ont décidé qu’ils resteraient en contact en vue d’échanges d’informations. La CE a demandé aux Etats membres d’intensifier les contrôles et aux opérateurs d’être plus vigilants.
Suite à cette alerte, la DGCCRF a effectué une visite de contrôle chez des opérateurs, dont Tang Frères. Les produits de riz en vrac et non transformés ont été mis en consigne, des prélèvements effectués et envoyés pour analyse, selon un protocole d’échantillonnage courant de la DGCCRF. Mais n’ayant pas contacté Greenpeace, la DGCCRF ne peut pas assurer qu’elle a analysé le produit identifié par l’association comme transgénique en vue de confirmer les résultats de l’association.
Concernant la méthode de détection, la procédure européenne impose que ces méthodes soient fournies par l’opérateur commercialisant le produit transgénique et validée par le CCR, comme ce fut le cas pour le riz LL601. Or, dans le cas présent, Guy Van den Eede, responsable du CCR, a indiqué à Inf’OGM que “trois chercheurs, D. Mäde, C. Degner et L. Grohmann, ont développé cette méthode, l’ont adressée à l’ensemble des Etats membres et soumise à publication scientifique”. Mais comment cette méthode a-t-elle été mise au point ? Le point clef est que les scientifiques disposent de matériels de référence, à savoir un riz GM Bt63 et un riz non GM, obligatoirement fournis par l’opérateur commercialisant la PGM. Dans le cas présent, en l’absence de réponse des autorités chinoises, le Dr L. Grohmann a expliqué à Inf’OGM avoir utilisé deux échantillons de Greenpeace. G. Van den Eede a d’ailleurs répondu à Inf’OGM que “cette méthode n’a pas été publiée sur le site internet du CCR”. A défaut de publication sur le site, il peut être considéré que le CCR n’a pas validé de méthode pour la détection du Bt63, étape pourtant obligatoire selon la législation européenne.
Près de trois semaines après échantillonnage, les résultats d’analyses ne sont toujours pas connus. Ce délai assez important est justifié par la DGCCRF du fait que “le laboratoire de la DGCCRF a été mobilisé sur la contamination par le riz LL601. Les machines étant calibrées pour ce dernier, il n’était pas possible de commencer les analyses sur les nouilles chinoises avant d’avoir fini avec le riz des Etats-Unis”.
En cas de résultats négatifs quant à la présence d’évènements transgéniques non autorisés et / ou non évalués, les lots seront remis en circulation mais, en cas de résultats positifs, leur destruction complète devra être effectuée par l’enseigne. Par ailleurs, la DGCCRF a demandé à Tang Frères de prendre contact avec son fournisseur afin qu’il avertisse ses clients. Interrogée par Inf’OGM, la DGCCRF reconnaît qu’on est dans le cas de produits qui n’auraient pas dû arriver sur le territoire européen et que ces derniers “sont passés entre les mailles du filet”. Les futurs plans de contrôles pourraient intégrer cette expérience, et des produits alimentaires dont des composés proviennent de Chine pourraient être la cible de contrôles renforcés.
A ce jour, aucun acteur officiel n’a expliqué l’origine de ces deux contaminations, à quand elles remontent ni quelles quantités de ces riz LL601 et Bt63 ont déjà été commercialisées. La question de la responsabilité est donc posée, qu’elle concerne des entreprises, des opérateurs et/ou des autorités publiques.
P. Tod a indiqué à Inf’OGM dans un courrier du 18 septembre que “le Commissaire a demandé à ses collaborateurs d’évaluer s’il est des améliorations qui doivent être considérées sur les contrôles effectués au niveau national pour les produits non autorisés ou frauduleux”.