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Des levures OGM autorisées en Argentine pour produire des agrocarburants

Par Christophe Noisette

Publié le 02/05/2024

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Les agrocarburants de deuxième générations se développent. Pour les produire, le principe est généralement de faire digérer par des levures, principalement OGM, de la biomasse, comme du maïs ou de la canne à sucre. L’Argentine a récemment autorisé plusieurs levures Saccharomyces Cerevisiae génétiquement modifiées.

Le 5 janvier 2024, l’Argentine a autorisé1 pour la première fois la commercialisation de quatre levures génétiquement modifiées (GM) destinées à la production d’agrocarburant et mises au point par Danisco Argentina, une filiale de International Flavors and Fragrances (IFF)2. Une d’entre elles était déjà autorisée au Brésil. Quelques jours plus tard, le 24 janvier 2024, ce sont des levures GM nommées Fermboost, mises au point par LALLFERM S.A., filiale argentine de Lallemand, qui étaient autorisées en Argentine3.

Des levures OGM pour accélérer la fermentation

Ces levures OGM, des souches de Saccharomyces Cerevisiae, sont censées faciliter et accélérer la fermentation des céréales (Danisco) ou de l’amidon de maïs (Lallferm), une des voies industrielles utilisée depuis longtemps pour produire des agrocarburants. Ces levures ont été génétiquement modifiées par transgénèse pour exprimer différentes enzymes, comme par exemple l’acétyl-CoA synthase (issu de Methanosaeta concilii), de la glucoamylase (issu du champignon T. Reesei), qui intervient dans la digestibilité de l’amidon, notamment. Certaines de ces levures sont déjà autorisées pour cet usage au Brésil. Dans l’Union européenne, malgré des questions réitérés, impossible de savoir comment sont évalués les micro-organismes GM (MGM) qui ne sont pas destinés à l’alimentation humaine ou animale. Si l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) nous a répondu que cela ne rentre pas dans le cadre de sa mission, elle n’a su nous indiquer qui est en charge de ces MGM.

Des risques pour la chaîne alimentaire ?

Les souches de levures S. Cerevisiae sont extrêmement nombreuses et sont utilisées dans de nombreux produits alimentaires, comme le pain, la bière, le kéfir, etc. Ces levures OGM sont bien entendu destinées à être utilisées dans un milieu confiné, mais l’étanchéité parfaite des fermenteurs est un leurre. Ainsi, une potentielle dissémination de ces levures dans l’air est possible. Elles risquent donc de se multiplier dès qu’elles rencontreront un milieu favorable à leur développement, assez fréquent puisqu’elles n’ont besoin que de sucre (glucose par exemple), d’azote et de sels minéraux. Par ailleurs, les résidus de fermentation (nommés drêches) sont destinés à être utilisés dans l’alimentation animale. Les agences argentines affirment que ces résidus seront exempts de levures vivantes, affirmation basée sur la seule lecture du dossier proposé par l’entreprise pétitionnaire. Là encore, le risque existe.

Concurrence entre usages

L’utilisation de levures (OGM dans le cas présent) inquiète également certains acteurs du secteur. Ainsi, en 2020, alors que le gouvernement français encourageait par des exonérations fiscales les agrocarburants, la chambre syndicale française de la levure (CSFL) montait au créneau4. Dans un communiqué de presse, elle exprimait ses craintes quant à une concurrence entre plusieurs usages. Elle écrivait ainsi : la « matière première » de la levure, les coproduits du sucre, « est de plus en plus utilisée pour la production de bioéthanol en France. Cet usage non alimentaire des cultures bloque le secteur de la levure, qui doit déjà importer plus d’un tiers de ses besoins en coproduits de sucre ». Concrètement, elle a noté « des difficultés […] depuis plusieurs mois en matière d’approvisionnement en coproduits sucriers, indispensables à la fabrication de la levure ».

Des risques, par voie de conséquences

L’argument mis en avant par Danisco est celui de la durabilité et de l’efficacité. Un argument repris par le gouvernement argentin. Fernando Vilella, le nouveau secrétaire argentin à l’agriculture, cité par le ministère étasunien de l’agriculture, aurait en effet déclaré que « l’utilisation de ces micro-organismes plus efficaces augmentera la valeur ajoutée à la source, améliorera le rendement de la production de bioéthanol, réduira les coûts de transport en créant des produits de plus grande valeur que les céréales brutes, diminuera les émissions de carbone et atténuera la détérioration des infrastructures de transport »5.

Mais le risque est surtout qu’en augmentant la rentabilité économique de la production de carburant d’origine végétale, la surface agricole destinée à cette production augmentera au détriment de l’alimentation. En effet, si ces levures sont très efficaces, il deviendra plus intéressant d’acheter du grain comme « aliment » pour les levures, en vue de le transformer en agrocarburant. Cette menace sur les terres agricoles est déjà réelle avec les agrocarburants de première génération. Ainsi, une des causes des émeutes de la faim en 2008 est le Biofuel Act, une loi étasunienne qui impose de garder du maïs pour les productions nationales de biodiesel, et qui a fait augmenter les prix sur le marché mondial6.

Enfin, une autre conséquence d’un gain économique potentiel, via l’amélioration de l’efficacité technique, est qu’il soit vite contre-balancé par une plus grande consommation. Un exemple, extérieur à l’agriculture, permet de mieux comprendre cet argument. Dans une chronique publiée dans le journal Le Soleil, François Bourque écrit que « les chercheurs ont constaté une corrélation directe entre l’ajout de nouvelles routes et le nombre total de kilomètres parcourus dans la ville. Une hausse de 10 % de la capacité routière entraîne une hausse de circulation de 10 % et ainsi de suite »7. Ainsi, Fanny Tremblay-Racicot, professeure à l’École nationale d’administration publique, au Canada, écrit que « si l’objectif est uniquement de faire diminuer le trafic automobile, la seule méthode efficace du côté de la gestion de l’offre est la réduction de la capacité routière »8. Ce constat est valable pour la quasi totalité des nouvelles technologies, constat qui a été théorisé par le Paradoxe de Jevons et l’effet rebond. En résumé : un appel d’air apporté par une nouvelle technologie ne permet pas de réguler le problème initial. L’apport (en admettant qu’il soit réel) ne dure jamais longtemps.

  1. Ministerio de Agricultura, Ganadería y Pesca, Resolución 3/2023, 29 décembre 2023. ↩︎
  2. Il s’agit concrètement des résolutions 3/2023 et 6/2024, publiées au Journal officiel, lesquelles autorisent la commercialisation de plusieurs souches de levure Saccharomyce cerevisiae : GICC03486 (GPY10009), GICC03506 (GPY10023), GICC03578 (GPY10168) et GICC03588 (GPY00603). ↩︎
  3. Subsecretaría de Alimentos, Bioeconomía y Desarrollo Regional, Disposición 1/2024, 24 janvier 2024. ↩︎
  4. « La levure du boulanger menacée par le développement des biocarburants (interprofession) », Le Monde de l’Énergie, 9 juin 2020. ↩︎
  5. USDA, « Argentina Approves GM Yeasts to Improve Bioethanol Production », 18 janvier 2024. ↩︎
  6. DUFUMIER Marc, HUGON Philippe, « PIQUES ET POLÉMIQUES LES « ÉMEUTES DE LA FAIM » : DU SOUS INVESTISSEMENT AGRICOLE À LA CRISE SOCIOPOLITIQUE », Revue Tiers Monde, 2008/4 (n° 196), p. 927-934.
    FAO, « The State of Food and Agriculture 2008. Biofuels: Prospects, Risks and Opportunities », 2008. ↩︎
  7. François Bourques, « La fatalité du trafic », Le Soleil, 30 septembre 2016. ↩︎
  8. Fannie Racicot-Tremblay, « La loi fondamentale de la congestion routière », Le Soleil, 28 septembre 2019. ↩︎
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