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Commerce de semences : une offre élargie pour les paysans bio
Depuis le 1er janvier 2022, les semenciers bio peuvent produire et commercialiser un nouveau type de semences, appelé matériel hétérogène biologique (MHB). En France, c’est le Groupe d’étude et de contrôle des variétés et semences (Geves) qui gérera son inscription sur une nouvelle liste.
L’une des revendications historiques des agriculteurs biologiques est de pouvoir produire et commercialiser des semences non inscrites au catalogue officiel des variétés. En effet, comme il ne souhaite pas utiliser des béquilles chimiques (pesticides, engrais de synthèse…) pour produire, le paysan bio doit pouvoir travailler avec des semences d’une grande diversité génétique, afin d’augmenter leurs possibilités d’évolution et d’adaptation. Or, jusqu’à présent, pour commercialiser des semences, celles-ci devaient appartenir à une variété inscrite au Catalogue des semences et plants [1] [2]. Et pour pouvoir être inscrite au Catalogue, une variété doit, entre autres, respecter des critères d’homogénéité et de stabilité, ce qui diminue ses facultés évolutives.
Une première évolution de la législation a permis la vente de variétés non inscrites au Catalogue à des amateurs [3]. Mais le monde paysan professionnel, notamment bio, a besoin de pouvoir vendre des semences « en vue d’une exploitation commerciale » sans les critères stricts classiques d’homogénéité et de stabilité requis par ce Catalogue.
D’où l’invention du vocable « matériel hétérogène biologique » (voir encadré) apparu dans le nouveau règlement européen de l’agriculture biologique [4], entré en vigueur au 1er janvier 2022 [5] [6] [7]. Au passage, que le mot « matériel » soit associé à des semences ou plants de végétaux, porteurs de vie, en dit long sur la vision « mécaniste » de nos législateurs…
Le matériel hétérogène biologique : késako ?
Le matériel hétérogène biologique est défini à l’article 3 18) du règlement (UE) 2018/848 comme étant « un ensemble végétal d’un seul taxon botanique du rang le plus bas connu qui :
a) présente des caractéristiques phénotypiques communes ;
b) est caractérisé par une grande diversité génétique et phénotypique entre les différentes unités reproductives, si bien que cet ensemble végétal est représenté par le matériel dans son ensemble, et non par un petit nombre d’unités ;
c) n’est pas une variété au sens de l’article 5, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil ;
d) n’est pas un mélange de variétés et
e) a été produit conformément au présent règlement ».
Le matériel hétérogène biologique n’est pas une variété et n’a donc pas de description officielle selon les critères DHS (Distinction, Homogénéité et Stabilité) : la seule information disponible est celle donnée par le fournisseur de semences ou de plants [8].
Des contraintes moins lourdes que pour une variété DHS
Pour pouvoir commercialiser des semences ou plants d’un matériel hétérogène biologique (MHB), il faut qu’il soit inscrit sur une liste spécifique.
En France, c’est le Groupe d’étude et de contrôle des variétés et semences (Geves) qui a été mandaté pour inscrire ces MHB sur une nouvelle liste, par un arrêté du 2 février 2022 [9]. Toute la procédure est décrite sur une page web dédiée du Geves [10]. En résumé, il faut fournir au Geves un dossier relativement simple [11], avec les coordonnées du demandeur, l’espèce et la dénomination du matériel hétérogène biologique, la description de ses principales caractéristiques agronomiques et phénotypiques, les méthodes de sélection, le pays de production et le matériel parental utilisé… et un échantillon représentatif.
L’instruction du dossier porte simplement sur la vérification de l’acceptabilité de la dénomination et sur la complétude de la notification. Entre autres, il ne faut pas que la dénomination soit « identique ou susceptible d’être confondue avec une dénomination sous laquelle une autre variété ou un autre matériel hétérogène biologique de la même espèce ou d’une espèce étroitement apparentée est inscrit dans un registre officiel des variétés végétales ou sur une liste de matériels hétérogènes biologiques ; [ni] induire en erreur ou prêter à confusion en ce qui concerne les caractéristiques, la valeur ou l’identité du matériel hétérogène biologique, ou l’identité de l’obtenteur ».
Pour cette instruction, le Geves s’appuie sur la Commission Intersections dédiée à l’Agriculture Biologique (CISAB) du Comité Technique Permanent de la Sélection des plantes cultivées (CTPS) et des experts, en particulier ceux de la commission du CTPS de l’espèce.
En absence de refus au bout de trois mois, le Geves « peut procéder à l’inscription sur la liste du matériel hétérogène biologique notifié », sans aucun frais pour le fournisseur. À la date du 16 septembre 2022 [12], aucun MHB n’était encore inscrit.
À noter que ce MHB est forcément produit en agriculture biologique, et qu’il est soumis aux contrôles officiels, par le Service officiel de contrôle et de certification (SOC) [13], notamment en termes de qualité sanitaire, traçabilité des lots, pureté spécifique et de germination, emballages…
L’obtenteur d’un MHB (la personne qui a obtenu son inscription) doit s’engager à maintenir la semence de base et à ne commercialiser que des semences conformes à l’échantillon déposé. Ces contraintes semblent contraires à l’hétérogénéité annoncée de ces semences. Car hétérogénéité veut forcément dire évolution [14]. Espérons que le contrôle du respect de ces règles fera l’objet d’une grande souplesse.
Par ailleurs, le fait de commercialiser des semences impose de « déclarer son activité à l’autorité compétente pour le contrôle » [15], en l’occurrence SOC France pour les semences et plants d’espèces agricoles et potagères, les plants de pomme de terre et les plants de fraisiers. Cependant, nous précise Semae, l’interprofession des semences, « si la personne qui inscrit le matériel hétérogène biologique en est également producteur, pas besoin de faire deux fois la démarche d’enregistrement, le Geves transmettra l’information à SOC France ».
Enfin, le règlement bio de l’UE précise que ces règles « ne s’appliquent pas au transfert de quantités limitées de matériel de reproduction végétale de matériel hétérogène biologique destiné à la recherche sur le matériel hétérogène biologique et au développement de celui-ci ». Et ce n’est que justice pour tous les réseaux d’expérimentateurs qui œuvrent depuis des années à ces recherches et sont, plus ou moins directement, à l’origine de ces nouvelles règles.
[1] , « Qu’est-ce que le catalogue officiel des espèces et des variétés en France et en Europe ? », Inf’OGM, 30 avril 2013
[2] , « Semae veut plus de variétés anciennes au Catalogue des semences », Inf’OGM, 16 septembre 2021
[3] , « Vente de semences à des amateurs : la France bien silencieuse », Inf’OGM, 18 février 2021
[4] Règlement (UE) 2018/848 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques. Voir notamment l’article 13 portant sur les « dispositions particulières applicables à la commercialisation de matériel de reproduction végétale de matériel hétérogène biologique ».
[5] , « Semences hétérogènes en bio, le diable dans les détails ? », Inf’OGM, 16 juillet 2018
[6] , « L’Union européenne s’ouvre aux semences de populations », Inf’OGM, 2 mars 2020
[7] , « Matériel hétérogène biologique : encore des questions en suspens », Inf’OGM, 15 juillet 2021
[8] Sur le site du Geves, Matériel Hétérogène Biologique.
[9] Arrêté du 2 février 2022 relatif à la procédure d’inscription d’un matériel hétérogène biologique.
[10] La notification d’un matériel hétérogène biologique. Les citations dont l’origine n’est pas précisée dans cet article viennent de cette page.
[12] Date de la dernière actualisation du site du Geves (consulté le 23 mars 2023).
[13] , « Comment les semences sont-elles contrôlées et certifiées en France ? », Inf’OGM, 31 mai 2017
[14] Sauf s’il s’agit de populations synthétiques dont les semences sont, pour chaque lot commercialisé, un mélange dans les mêmes proportions de variétés maintenues séparément.