Analyse

Bref aperçu sur l’ouvrage « Comment éviter la prochaine pandémie », de Bill Gates

Par Robert Ali Brac de la Perrière - Note produite pour le Groupe de travail « Syndémie » de l'association Sciences citoyennes.

Publié le 18/06/2024

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Dans un livre publié en 2022, Bill Gates déroule sa vision de la lutte contre les futures pandémies. Une vision qui repose sur une stratégie associant techniques de modification génétique, numérisation informatique, avals politiques et subventions privées, puis publiques, à outrance. L’artificialisation et l’appropriation du vivant au cœur d’un projet à l’échelle globale promu comme « humanitaire »… Dans cette note de lecture, Robert Ali Brac de la Perrière nous permet de mieux comprendre la vision portée par un des acteurs les plus influents des politiques internationales de santé.

L’approche développée par Bill Gates dans son livre, décryptée ici par Robert Ali Brac de la Perrière, est à situer dans les derniers développements des dossiers OGM et numérisation du vivant, qu’Inf’OGM renseigne au long cours. Depuis quelques années, le domaine de la santé est utilisé à des fins de promotion des techniques de modification génétique et de la numérisation des génomes d’organismes vivants.

Plusieurs travaux utilisant les techniques de transgénèse ou les outils Crispr/Cas sont ainsi déjà en cours pour modifier génétiquement des virus dans le cadre de productions vaccinales. Des projets tels qu’ils amènent même à s’interroger parfois sur l’origine d’un virus pathogène. Ce domaine de la santé, que cela soit au travers des promesses de vaccination, de thérapie génique ou de médicaments, occupe depuis peu le devant de la scène pour promouvoir l’acceptabilité de ces techniques dans tout le monde vivant (végétal, animal et microbien) et la déréglementation qui est supposée les accompagner. La Fondation Bill et Melinda Gates est d’ailleurs déjà investie dans les nouvelles techniques de modification génétique : soutien financier à un projet du Cimmyt avec Corteva sur un maïs modifié par Crispr (2018)1, soutien financier à « Crispr Therapeutics » sur un traitement contre le HIV (2020)2

Une offensive concomitante est celle sur la numérisation du vivant. Dans ce domaine, qui vise à enregistrer dans des bases de données informatiques les séquences d’un maximum de composantes des êtres vivants, la puissance informatique est un élément clé. Cette numérisation du vivant a pour enjeu un accès débridé pour les multinationales à la biodiversité terrestre, hors de tout cadre réglementaire mis en place pour – théoriquement – lutter contre la biopiraterie. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la Fondation Bill et Melinda Gates est un des donateurs historiques de la banque de semences du Svalbard3. Une dynamique qui concourt à une appropriation du vivant par le biais de brevets, qui serait permise à une échelle bien supérieure que celle d’aujourd’hui4. Le présent décryptage du livre de Bill Gates par Robert Ali Brac de la Perrière donne à mieux comprendre la place de la Fondation Bill et Melinda Gates dans ce paysage.

Un livre-programme

« Comment éviter la prochaine pandémie » est le dernier livre-programme de Bill Gates. Publié en mai 2022, à la sortie de la dernière vague de COVID-19, les 646 pages constituent une somme qui s’adresse évidement plus aux dirigeants du monde qu’au lecteur lambda.

Il est pourtant utile aux citoyens éveillés de le parcourir, car l’auteur est influent. Très influent. Il saura partager sa vision et ses priorités avec les chefs d’États et les institutions mondiales les plus impliquées dans la gestion des pandémies futures.

Depuis peu, Bill Gates a commencé à développer sa vision sur les grands enjeux du moment. Si pour certains d’entre eux sa légitimité peut être contestée, à l’image de « Climat : comment éviter le désastre », publié en en 2021 et proposant la géo-ingénierie comme une solution clé pour la résilience climatique, ce n’est pas le cas pour les pandémies. En effet, la Fondation Bill et Melinda Gates a investi le champ de la santé depuis plus de vingt ans avec des programmes de vaccination massive d’enfants dans les pays pauvres, et elle a pignon sur rue dans les arcanes onusiennes de la santé.

Cette Fondation est l’instrument d’influence du multimilliardaire, 4ème fortune mondiale. La majorité de l’argent de Bill Gates provient d’une société de holding, Cascade Investment, créée avec les produits des ventes et les dividendes des actions de Microsoft, dont il est le co-créateur. Depuis quelques années, Bill Gates se désengage progressivement de Microsoft (il ne fait plus partie du Conseil d’Administration depuis 2020 et conserve moins de 2% des actions). De son côté, le fonds de dotation de la fondation, qui s’élève à 53 milliards de dollars, a été renfloué.

Informatique et « management » industriel

Le titre de son livre, « Comment éviter la prochaine pandémie », s’écrit sans point d’interrogation, ce qui témoigne d’une détermination profondément ancrée de donner sa nouvelle recette pour sauver le monde. Son « obsession pour les maladies infectieuses », comme il le confesse, a conduit sa fondation à investir le terrain à l’échelle mondiale, à l’appui d’un savoir-faire, avec les outils que son fondateur maîtrise le mieux : l’informatique (le futur sera numérique) et le management industriel, le tout soutenu par une croyance tenace des bienfaits du profit économique.

Le livre est bien écrit, bien documenté, et son auteur fait preuve d’une rare qualité de pédagogie. Partant d’un constat d’émergence attendue de nouvelles pandémies, il considère que la prochaine menace pourrait être fabriquée par des êtres humains, expliquant que « si un État-nation ou un groupe de terroristes concevait une souche de variole résistante aux traitements et aux vaccins, ils pourraient tuer plus d’un milliard de personnes ». Le texte est construit pour convaincre d’une stratégie bien précise : vaccin universel, tests diagnostic, base de donnée et coordination mondiale. Il rappelle que « le Covid a toutes les chances de devenir une maladie endémique. Les habitants des pays à revenus faibles auront toujours besoin d’un meilleur accès au dépistage et aux traitements ».

Pour comprendre ce choix stratégique, il faut repartir du credo du magnat de l’informatique : « investir pour un monde plus sain et plus productif ». Pour cela, la planète a besoin d’un plan pour préparer les usines à vaccin à l’avance et financer de nouveaux vaccins. Technophile convaincu, la création du vaccin universel (qui repose sur les techniques de modification génétique donnant – toujours – des OGM, mais dont la mise en œuvre efficace reste à faire) devrait permettre, selon lui, « avec un peu de chance, d’éradiquer les trois familles de virus, coronavirus, grippe, VRS (virus respiratoire syncytial) ». Sans surprise, l’homme d’affaire reste constant sous son habit de philanthrope : « quand on fait rapidement ce qu’il faut, les dividendes ultérieurs sont considérables », ou encore « investir dans l’innovation, une solution rentable ». Et reste immuable sur la vertu du capitalisme – « le secteur privé, mieux que quiconque, sait convertir la recherche en produits commerciaux » – et le besoin de protéger la propriété intellectuelle : « ce sont les licences et non les levées de brevets imposées par les pouvoir publics qui on permis à l’Inde de produire un milliard de doses de vaccin à très bas coût ».

Un futur tout numérique ?

La stratégie développée dans ce livre attire l’attention sur deux points. Le premier porte sur les solutions impliquant la surveillance et la numérisation. Le second concerne l’influence croissante de Bill Gates sur la gouvernance mondiale de la santé.

Le futur numérique est, depuis toujours, l’obsession du créateur de Microsoft. Aujourd’hui, il compte parmi les principaux apôtres du métavers et de la réalité augmentée, avec pour postulat que « lorsque les personnes adoptent les outils numériques, elles font rarement machine arrière ». Naturellement, il applique sa grille de lecture au monde vivant. En ce qui concerne les vaccins, la recherche est bien orientée : « grâce à l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique, il est possible d’identifier les points faibles des agents pathogènes ». Une sémantique similaire à celle en cours pour parler de biologie de synthèse (qui donne des OGM) dans les instances internationales. De même, « pour la prochaine pandémie, une des solutions clés résidera dans la constitution de vastes bibliothèques de composés médicamenteux, ce qui nécessitera des investissements pour se doter des logiciels dernier cri ». Aussi, logiquement, « les entreprises des nouvelles technologies doivent participer à la conception des nouveaux outils numériques ». Glaner les données à l’échelle mondiale (via la numérisation du vivant) devient une priorité, comme investir dans la modélisation informatique : « c’est grâce à davantage de données, des données plus précises et avec un retour constant d’information sur leurs modèles que nous serons tous plus en sécurité ». Ainsi, Bill Gates, dont la fondation a contribué au financement d’une étude sur la grippe à Seattle, déplore que « trop peu d’échantillons du virus de la grippe font l’objet d’un séquençage, beaucoup ne sont pas accompagnés d’information sur les gens dont ils proviennent :­ domicile, âge, et autres ». De la sécurité à la surveillance, le pas de côté est vite fait : « nous devons utiliser le traçage des contacts pour identifier les superpropagateurs », avec une solution technique déjà existante puisqu’une « application pour smartphone ouvre la voie à la généralisation du séquençage ». Depuis 2021, Microsoft travaille à la surveillance épidémiologique avec le secrétariat d’État (Affaires étrangères) des États-Unis.

Comment influencer les dirigeants élus ?

Par ailleurs, influencer les dirigeants des pays et les institutions mondiales est au cœur du projet de Bill Gates. Pour cela, le ton devient parfois martial : « nos stratégies épidémiques doivent être aussi précises, rigoureuses et détaillées que la meilleure stratégie militaire mondiale ». Ou encore : « il faut connaître l’ennemi que nous affrontons, par conséquent les gouvernements et les bailleurs de fonds devraient soutenir la recherche sur les moyens innovants de tester un nombre massif de gens en un court laps de temps ». Par conséquent, il faut mieux s’organiser à l’échelle planétaire, et la grande proposition de Bill Gates est le GERM (Global Epidemic Responds and Mobilization), une organisation mondiale dépendante de l’OMS (Organisation mondiale de la Santé), formée d’un groupe d’experts consacré uniquement à la prévention des pandémies. L’OMS est l’institution de l’ONU déjà la mieux dotée par la Fondation Gates. Après le retrait partiel des États-Unis en 2021, la Fondation est devenu le premier contributeur devant les États5.

Bill Gates a déjà deux pieds dans la place. D’une part avec l’Alliance internationale du vaccin (Gavi), que sa fondation a créée et qu’elle continue à alimenter. Gavi s’occupe d’aider les pays à acheter des vaccins, mais aussi à collecter des données. Gavi et la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI), soutenue depuis sa création par la Fondation Gates, pilotent sous l’égide de l’OMS le programme COVAX, dont l’objectif est d’accélérer, en partenariat avec le secteur pharmaceutique, la mise au point et la fabrication de vaccins et d’en assurer un accès juste et équitable à l’échelle mondiale.

L’objectif du livre publié par Bill Gates semble bien de contribuer à influencer les États membres pour que l’OMS donne la priorité au GERM pour la coordination mondiale de la détection et l’alerte des prochaines pandémies. Bill Gates, par le biais de son entreprise philanthropique, va amorcer la pompe (il estime l’investissement du GERM à un milliard de dollars pour une organisation employant 3000 personnes), mais souhaite que les financements publics prennent le relais. Aussi est-il en mesure d’exercer une pression avec les gros moyens à sa disposition, pour que tout l’argent public consacré à la gestion des pandémies à l’échelle mondiale renforce son projet. C’est ce que nous apprend un récent article critique au sujet de l’influence de Bill Gates sur le nouveau Fonds de la Banque mondiale pour la prévention des pandémies, inauguré début septembre 20226. A la lecture de son livre, il devient plus facile de comprendre pourquoi Bill Gates ne souhaite pas que les financements publics s’orientent sur les causes profondes des risques épidémiques, comme par exemple arrêter la déforestation et la destruction des écosystèmes, actions qui affaibliraient sa propre stratégie. Son « agenda », comme dit Lawrence Gostin, directeur du centre de l’OMS en droit de la santé.

  1. CIMMYT, « New initiative to improve access to high quality maize seed for African farmers », 26 octobre 2018. ↩︎
  2. Bill & Melinda Gates Foundation, « Committed grants – CRISPR Therapeutics Inc », novembre 2020. ↩︎
  3. Inf’OGM abordera ce sujet dans un article à venir. ↩︎
  4. Voir le dossier n°176 d’Inf’OGM, le Journal à paraître début juillet. ↩︎
  5. Avis d’expert extrait de Swissinfo (mai 2021) : « En l’absence de ressources, de nombreux objectifs de l’OMS seraient aujourd’hui mis en péril dans le monde à l’instar de l’éradication de la poliomyélite », explique Lawrence Gostin, directeur de faculté à l’Institut O’Neill de l’Université de Georgetown (États-Unis). Si cet expert, également directeur du centre de l’OMS en droit de la santé, salue « la générosité et l’ingéniosité » d’une organisation philanthropique comme la Fondation Gates, il met en garde contre une dépendance trop grande aux dons privés. « La plupart des financements accordés à l’OMS par cette fondation sont en lien avec son agenda. Cela signifie que l’OMS n’est plus en position de fixer ses priorités de santé globale en étant pareillement redevable à un acteur privé. Et contrairement à des États membres, contraints de répondre de leurs actes en démocratie, cette fondation n’endosse à ce niveau-là aucune responsabilité ». ↩︎
  6. Neil M. Vora et Nigel Sizer, « New World Bank pandemic fund must prioritize prevention », The Hill, 9 mai 2022. ↩︎
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