n°173 - octobre / décembre 2023

Une large gamme d’acteurs opposés à la dérèglementation des OGM

Par Eric MEUNIER, Hervé Le Meur

Publié le 24/10/2023, modifié le 09/01/2024

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Syndicats agricoles, acteurs de la filière bio, transformateurs, petits et moyens semenciers, associations de défense de l’environnement, distributeurs… Nombreux sont les acteurs qui se sont déclarés opposés à la proposition de déréglementation des OGM faite par la Commission européenne le 5 juillet 2023. Leur voix pèsera-t-elle dans la balance politique ? Les gouvernements nationaux prendront-ils en compte ces oppositions ou un passage en force aura-t-il lieu ? Réponse dans quelques mois, mais, d’ici là, passons en revue certaines oppositions exprimées.

Nous sommes le 5 juillet 2023 quand la Commission européenne adopte sa proposition de dérèglementation des OGM en Europe. Dans les heures et jours qui suivent, plusieurs voix d’organisations diverses se lèvent pour faire part de leur désaccord à ce que les OGM ne soient plus évalués, soumis à autorisation, étiquetés et surveillés. Des voix qui s’ajoutent à celles qui s’étaient exprimées avant même que la Commission ne vote sa proposition.

Les petits et moyens semenciers opposés au brevet

L’expression de l’opposition de semenciers européens à la proposition de dérèglementation est venue cinq mois avant que la Commission ne la formule ! Lors d’un colloque organisé par Semae (ex-GNIS), deux semenciers français, RAGT et Florimond Desprez, ont fait part de leurs craintes. La première est la promotion faite de ces nouvelles techniques qui les font passer pour une baguette magique qu’elles ne sont pas. Leur seconde crainte – et principale – est que ces nouvelles techniques deviennent « le cheval de Troie de la privatisation du vivant ». Marin Desprez observe ainsi que « l’activité foisonnante qu’on trouve autour des NBT est plus des dépôts de brevets, qui sont une menace pour les semenciers de taille intermédiaire ou moyenne et petite et les agriculteurs, qu’autre chose ». Or, contrairement au Certificat d’Obtention Végétale (COV), qui est un régime de propriété prévoyant qu’obtenteurs, chercheurs et paysans n’aient pas à payer de royalties, les brevets n’ont pas ces exemptions. Une absence d’exemption qui représente un coût que détaille Laurent Guerreiro, de RAGT, expliquant qu’un semencier doit dépenser des millions d’euros simplement pour avoir le droit de les utiliser, auxquels s’ajoutent les « royalties sur les produits issus de ces technologies ». Pour ces semenciers, qui ne sont pas pour autant opposés aux OGM, la problématique est que l’Office européen des brevets (OEB) « délivre aujourd’hui des brevets sur ce qu’on appelle des traits natifs. Donc des gènes existants dans des variétés dans la nature. Si ces traits sont protégés, vous pouvez tourner comme vous voulez autour, le trait est protégé, vous n’y avez plus accès » [1].

Les paysans vent debout contre les brevets et les OGM

Le lien entre la déréglementation des OGM et l’appropriation du vivant est également fait par la branche européenne du plus grand syndicat d’agriculteur au monde, la Coordination européenne de la Via Campesina International (ECVC). Dénonçant « les impacts catastrophiques et irréversibles qu’aurait cette proposition de déréglementation pour les agriculteur.rice.s, les consommateur.rice.s et la diversité du secteur semencier européens », ECVC appelle à rejeter cette proposition. Mais surtout, l’organisation syndicale demande au Parlement européen de « poursuivre le travail initié concernant non seulement la non brevetabilité des procédés essentiellement biologiques, mais également la non brevetabilité du vivant en général, qui constitue une violation évidente des droits des agriculteur.rices et de tou.te.s les citoyen.ne.s » [2].

Le lien fait par le syndicat entre dérèglementation des OGM et brevets est l’étiquetage OGM. ECVC rappelle en effet que tous ces OGM sont brevetés. Dès lors, le seul moyen pour des paysans d’avoir au moins la garantie que les semences achetées ne sont pas OGM et donc ne sont pas brevetées est l’étiquette OGM aujourd’hui obligatoire en Europe. La Commission européenne proposant de mettre un terme à cet étiquetage en le supprimant ou en privant l’Union européenne de moyen de contrôle [3], elle propose de facto de retirer aux paysans « le seul moyen à leur disposition pour s’opposer à la confiscation de leurs semences et de leur récolte par ces brevets pirates », conclut ECVC. Rejoignant RAGT et Florimond Desprez dans leur constat, le syndicat considère qu’avec une telle dérèglementation, « le marché semencier européen, qui est encore assez diversifié avec de nombreuses petites et moyennes entreprises semencières, serait progressivement absorbé par ces géants semenciers, avec comme conséquence une réduction drastique de la biodiversité cultivée et un contrôle de toutes les semences par quelques multinationales ».

La filière européenne de l’agriculture biologique a également réagi à la proposition de la Commission européenne le jour même de sa publication [4]. Ifoam Europe considère cette proposition comme « dangereuse pour l’autonomie européenne en semences et une distraction qui éloigne des solutions agroécologiques nécessaires pour une agriculture durable ». Défendant le droit des consommateurs à ne pas manger d’OGM et leur confiance dans la filière biologique à ne pas en utiliser, l’organisation pointe notamment du doigt que la proposition formulée ne « fournit aucune base claire pour protéger les productions sans-OGM et bio avec des mesures de co-existence ». Une situation d’autant plus saillante que ce mouvement venait d’adopter une résolution rappelant la demande de tous les acteurs de la filière bio « de conserver leur liberté de choix à rester sans OGM, en incluant les OGM obtenus par les nouvelles techniques génomiques ».

Les consommateurs veulent une étiquette OGM

Pour les organisations de consommateurs, la fin de l’étiquetage OGM constitue une perte d’informations pour le libre choix des consommateurs. Ainsi, le Bureau Européen des Consommateurs (BEUC) [5], la fédération allemande de consommateurs (Vzbv) avec la fédération autrichienne de consommateurs (BAK) [6], le Forbrukerrådet (représentant norvégien du BEUC) [7] et la Communauté européenne des coopératives de consommateurs (Euro Coop) [8] ont pris position fermement pour la poursuite de l’étiquetage, voire pour un étiquetage « nourri sans OGM ». Les principales fédérations de consommateurs suisses (FRC, Konsumentenschutz) ont aussi pris position en ce sens [9].

En France, l’Association de Défense, d’Éducation et d’Information du Consommateur (ADEIC) avait pris position dès juin 2022 pour défendre « le droit des consommateurs de savoir ce qu’ils mangent, y compris au sujet de l’origine des denrées et de leurs ingrédients ou des traitements chimiques des fruits et légumes (résidus éventuels de pesticides) » [10]. L’ADEIC demande donc « de maintenir les contrôles de sécurité et bien sûr l’étiquetage et l’information concernant l’ensemble des OGM mis sur le marché, quelle que soit la technique utilisée ». Dans la même veine, le Conseil National des Associations Familiales laïques (CNAFAL) a défendu la même position lors d’une audition devant l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) en juillet 2023.

Un sondage européen d’Ipsos, réalisé au début de l’année 2021 dans 27 pays de l’UE, montre que la majorité (68 %) des européens interrogés ayant entendu parler de nouvelles techniques génétiquement modifiées souhaite que les aliments produits à l’aide de ces techniques soient étiquetés comme génétiquement modifiés [11].

En France, en 2022, un sondage commandé par Greenpeace et réalisé auprès des consommateurs a montré qu’une majorité écrasante (92%) des Français souhaite que la présence de « nouveaux OGM » soit indiquée sur les emballages de produits alimentaires [12]. 91% estiment que les enseignes de la grande distribution doivent faire preuve de transparence et afficher clairement sur leurs produits la présence de « nouveaux OGM » (même si la possibilité légale est du ressort de la Commission européenne).

Pour finir, du côté des distributeurs français, Carrefour bio a pris position contre toute déréglementation des OGM, ainsi que Picard. Presque tous les grands distributeurs allemands et autrichiens ont pris position aussi, comme le montre l’association européenne ENGA et l’avis spécifique des principaux distributeurs autrichiens [13]. Un sondage a confirmé que plus de 90 % des autrichiens veulent que les nouveaux OGM soient étiquetés et la fédération du commerce autrichienne soutient l’initiative « Pickerl drauf ! » dans ce sens [14].

 

[8Euro Coop, « Euro Coop position on NGTs », 22 octobre 2021.

[11The Greens/EFA, « Opinion poll on the labelling of GM crops », 30 mars 2021.

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