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La grande distribution veut la réglementation des OGM/NTG

Par Eric MEUNIER

Publié le 26/03/2024, modifié le 05/04/2024

    
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Dans le dossier OGM, la grande distribution se dit guidée par deux grands principes : l’application du principe de précaution ainsi que la traçabilité et l’information du consommateur. En France, cet acteur de la filière agro-alimentaire est pour le moins très réservé sur la proposition de déréglementation des OGM. En juin 2023, à l’invitation des experts de l’Anses, la Fédération du Commerce et de la Distribution, actuellement présidée par le PDG de Carrefour, a fait part de ses réflexions.

Sa prise de parole est assez rare. Pourtant, la grande distribution occupe une place importante dans la filière agro-alimentaire. Le 30 juin 2023, alors que la proposition de la Commission européenne n’était encore connue que suite à une fuite, la Fédération du Commerce et de la Distribution (FCD)1 était auditionnée par un groupe de travail de l’Anses. Le verbatim de cette audition, publié avec le rapport rendu public début mars par les experts de l’Anses, permet de connaître les principes animant la grande distribution2. Tout en gardant en tête qu’il ne s’agit « pas forcément de positionnements fermes, il s’agit davantage d’une réflexion ».

Représentée lors de cette audition par Emilie Tafournel, Directrice qualité à la FCD, et Lionel Desencé, Directeur qualité en charge des affaires scientifiques et réglementaires au sein du groupe Carrefour, la FCD a été claire sur le fait que, parmi ses membres, « la connaissance du sujet […] n’est pas la même pour tous. Actuellement, les enseignes autres que [Carrefour] sont plutôt dans l’expectative, dans la prise en compte du sujet et sa compréhension. Il n’y a donc pas de positionnement des uns et des autres ». Cette absence de positionnement formel n’empêche pas la FCD et ses membres de réaffirmer deux principes qui leur sont « chers » et qui les guident : « l’application du principe de précaution et la notion de transparence et de traçabilité ». Ces deux principes ne se retrouvent pourtant pas dans la proposition de la Commission européenne qui envisage, au contraire, la fin de l’évaluation des risques, de l’étiquetage et de la traçabilité et du suivi post-commercialisation.

De la détection et traçabilité des OGM/NTG

Pour la grande distribution, la détection et la traçabilité des OGM/NTG sont essentiels pour « pouvoir détecter la présence de NGT, que ce soit pour une détection en contrôle […] par rapport aux différents maillons de la chaîne, ou une détection de présence fortuite pour contamination croisée. Détection et traçabilité sont pour nous essentielles dans le cadre de ces futures évolutions ». Plusieurs raisons expliquent une telle position.

La principale raison est la transparence vis-à-vis du consommateur. La FCD s’est déclarée « opposée » à une approche générale posant comme principe que « tout produit NGT pour lequel aucune méthode de détection ne peut être mise au point doit être considéré comme semblable au conventionnel ». Une approche qui sera pourtant, cinq jours après l’audition de la FCD par l’Anses, affirmée par la Commission européenne pour justifier sa proposition de déréglementation. Or, la FCD estime que « cela revient à dire qu’on met sur le marché un produit qui, du point de vue du consommateur final, est semblable à un produit qui serait « issu » de la nature. Mettez-vous à la place du consommateur final. Ce n’est pas audible ». Une situation d’autant plus paradoxale que la FCD anticipe, au contraire, que si les nouvelles techniques de modification génétique apportent un intérêt important pour le consommateur final, cette information lui sera apportée. « Dans le sens inverse, si on ne dit rien, il y aura une part de suspicion », ajoute Lionel Desencé. Or, qui dit doute dit impact négatif sur la perception et l’acceptabilité de ces produits par le consommateur final.

Ce souci de répondre aux souhaits des consommateurs implique une certaine organisation de la filière agro-alimentaire. Dans cette filière, des producteurs, des opérateurs et des consommateurs ne souhaitent pas utiliser et/ou consommer des OGM/NTG. Dès lors, une ségrégation des produits devra être mise en place pour assurer de pouvoir répondre à cette demande. Pour la FCD, l’exemple de la filière de soja non-OGM actuelle, sur laquelle Carrefour a été pionnier, est une base de réflexion importante. Le soja est principalement importé en Europe. Sa production est essentiellement américaine. Sur ce continent, les productions de soja non-OGM se font dans des pays comme le Brésil, où la culture de soja OGM peut atteindre « entre 90 et 95 % » de la production. Les coûts de ségrégation – que ce soit au champ ou en termes de stockage dans les ports, par exemple – et de traçabilité du soja non-OGM sont déjà importants. La grande distribution est donc aujourd’hui inquiète de constater que la Commission ne prévoit aucune règle de coexistence. Cette dernière veut en effet déléguer l’organisation de la coexistence aux États tout en supprimant les outils de traçabilité indispensables à sa réalisation. Un tel cas de figure « pourrait complexifier le travail des différents opérateurs, où qu’ils se situent dans la chaîne d’élaboration des produits. Cela aura également des coûts ». Or, la FCD est claire, ces coûts, « de toute façon, à un moment ou à un autre, se répercuteront dans le prix de vente consommateur », alors qu’ils devraient au contraire être assumés par « les opérateurs mettant sur le marché ces variétés issues de NGT ».

Pour permettre une telle organisation des filières de production et une répartition logique des coûts, la traçabilité des OGM/NTG est un requis indispensable. La FCD estime qu’un système de traçabilité adapté reposerait, comme pour les OGM actuellement, sur des déclarations documentaires et des analyses biologiques. Dans tous les cas, cet acteur rappelle que « la traçabilité s’entend comme l’identification de tous les lots concernés à toutes les étapes de la chaîne indiquant « variétés issues de NGT », et éventuellement de telle ou telle NGT si la catégorisation est confirmée ». Lionel Desencé insiste de son côté sur le fait que la législation actuellement en vigueur sur les OGM convient parfaitement, précisant que « la charge de la preuve incombe à l’opérateur qui met sur le marché ces OGM. Il faut que demain il en soit de même pour un opérateur qui mettrait sur le marché des produits issus de NGT ».

De l’utilité des produits obtenus par NTG

Des caractères obtenus par de nouvelles techniques de modification génétique pourraient-ils intéresser la grande distribution, à l’exemple d’un produit pouvant rester plus longtemps en conserve ? La question, posée à la FCD par l’Anses, a eu une réponse directe : « pas à ce stade ». La question ne s’est en fait même pas posée pour la grande distribution, qui estime que c’est à la filière de mettre en avant les preuves de gains, que ce soit en termes de production ou de qualité des produits. Mais, dans tous les cas, une telle mise en avant ne saurait se faire que « sous réserve que ces caractéristiques soient clairement mises en avant et surtout – on en revient toujours au même – que l’information sur le fait qu’il s’agisse d’une culture issue de NGT soit clairement dite aux consommateurs pour qu’ils puissent faire le parallèle entre cette information et le gain conféré ».

D’autant que la grande distribution explique ressortir échaudée des promesses de gains faites à la fin des années 90 avec les OGM transgéniques. Comme le rappelle Lionel Desencé, « il faut aussi se référer à ce qu’on a pu voir ces 20 dernières années concernant les OGM […] entre ce que la transgenèse laissait imaginer comme perspective et ce que cela a réellement donné ». Reprenant le terme d’économie de la promesse, le représentant de Carrefour alerte qu’aujourd’hui « les perspectives sur le papier semblent très séduisantes. Dans la réalité, on reste relativement dubitatif », voire inquiet quand il entend des promesses de résistance au stress hydrique, dont pourtant « on est obligé de convenir que ce ne sont pas les techniques qui vont entrer dans la catégorie NGT qui permettront d’avoir une incidence significative sur la résistance au stress hydrique ».

Emilie Tafournel résume la perception de la FCD en expliquant que « aujourd’hui, nous n’avons pas identifié d’intérêt, parce que tout reste à faire, tout reste à prouver ; sur la base des deux arguments que nous avons évoqués : principe de précaution, traçabilité et information au consommateur ».

De l’information des consommateurs

Finalement, pour Lionel Desencé, le souhait de la grande distribution est clair. Il faut que « le principe de précaution s’applique et qu’il y ait une totale transparence sur la mise sur le marché de ces produits pour que nos clients fassent un choix éclairé ». Cette transparence paraît viser aussi bien le fait d’informer de la nature OGM/NTG de produits que de pouvoir renseigner les bénéfices conférés par la modification. Ainsi, « si la qualité nutritionnelle d’une production est améliorée et que cette information est portée à la connaissance du consommateur final, on peut imaginer que celui-ci sera intéressé par ce type de production ».

Emilie Tafournel confirme cette position. Par sa voix, la FCD détaille qu’en fonction « des choix qui seront opérés dans la décision finale de la Commission européenne, il y aura des conséquences sur la mise en avant, l’identification de ces produits qui seront, comme l’a dit Lionel, à notre avis, acceptables ou non pour le consommateur ». En d’autres termes, « c’est le consommateur, et donc le marché, qui, en conséquence, se positionnera et évoluera sur la base de ces choix opérés dans la catégorisation et des obligations conférées à chacune de ces catégories ».

1. La Fédération du Commerce et de la Distribution est une organisation professionnelle qui regroupe la plupart des enseignes de la grande distribution, qu’il s’agisse de distribution alimentaire ou distribution spécialisée.
2. Anses, VERBATIM DU GROUPE DE TRAVAIL NBT, pages 65 à 81, mars 2024.
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