Un engagement sans concession
Ingénieur agronome, Patrick de Kochko est aujourd’hui coordonnateur du réseau semences paysannes (RSP), après avoir été chercheur et paysan. Dans cet article, il retrace pour nous son parcours de citoyen de plus en plus engagé, car de plus en plus révolté.
J’ai commencé par travailler quelques années en Afrique puis en Asie pour un institut public de recherche. Mais, constatant que le type de développement mis en œuvre était plus celui des profits de l’industrie que celui de l’autonomie paysanne, j’ai quitté le monde de la recherche. J’ai alors postulé à la Commission européenne qui cherchait des agronomes connaissant l’Asie pour mettre en œuvre des projets de « développement rural ». La philosophie générale du développement vu par les eurocrates consistait à dépenser au plus vite l’argent promis aux pays et ce grâce à des projets écrits puis encadrés par des consultants européens très bien payés, nécessitant des « arrangements » avec les autorités locales et bien loin des préoccupations des paysans. J’en ai déduit que le mieux pour « aider » ces paysans du Sud était de rester chez moi et contribuer à une agriculture locale, saine et non exportatrice. Je me suis donc installé paysan bio en 1995 dans le Sud-Ouest, en toute « inconscience » des problèmes de semences.
J’ai semé ma première culture de soja biologique en avril 1996 puis je l’ai récoltée et livrée en septembre. Un an plus tard, j’ai été informé que des traces d’OGM avaient été retrouvées dans ce soja dont une partie avait atterri en Allemagne chez un producteur de tofu. Avec les paysans qui m’avaient acheté le soja, nous avons déposé plainte contre X pendant que le transformateur allemand, sommé de retirer son tofu de la vente, faisait faillite.
Les enquêtes des services des fraudes (DGCCRF) qui ont suivi notre plainte en France ont révélé la présence de traces de soja OGM dans des stocks de semences de la société Asgrow, obtentrice des variétés semées. Convaincu que les semences étaient à l’origine de la contamination de ma culture, je me suis joint à une plainte collective (class action) aux États-Unis contre Monsanto propriétaire du gène modifié retrouvé dans mon soja. Après plusieurs années et malgré les preuves flagrantes, les deux procédures ont été classées sans suite pendant qu’on nous imposait d’accepter un seuil de contamination et qu’on faisait porter à la filière bio la mise en place des coûteuses mesures de traçabilité.
« Allez mettre vos ruches ailleurs ! », ont dit les juges
En 2006, alerté par l’arrivée du maïs OGM dans le voisinage, j’ai contribué avec l’apiculteur Maurice Coudoin aux expérimentations autour des parcelles de maïs OGM qui ont démontré la contamination de nos ruches et de nos maïs paysans. En 2007, devant l’intention médiatisée du transgéniculteur de semer à nouveau, nous avons porté plainte en référé pour empêcher de nouvelles contaminations. Résultat : « Allez mettre vos ruches ailleurs ! », nous ont dit les juges. La suite m’a amené à présenter ces résultats aux ateliers du Grenelle de l’environnement et exiger une évaluation des OGM avec la société civile.
Le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) a été créé en 2009 et nous avons alors pu commencer à inscrire nos arguments dans ses recommandations officielles, ouvrant la possibilité d’interdire la culture de maïs OGM. Pour finir, début 2015, j’ai accepté la charge de vice-président du HCB qui commençait un second mandat. Mais des dysfonctionnements majeurs et des graves erreurs de gouvernance l’ont entre temps transformé en une officine chargée d’organiser la soumission du peuple aux biotechnologies, et notamment aux nouveaux OGM dont le génome a été prétendument « édité ». Pour ne pas devenir une caution muette et impuissante du HCB, sept organisations en ont démissionné [1]. Dans leur lettre, elles précisent en effet que cette instance est « aux mains des lobbyistes de l’agrochimie et des OGM » et que « tout débat sur la question des nouveaux OGM est forcément tronqué au sein du HCB ».
Estimant avoir personnellement épuisé tous les recours légaux possibles, j’ai rejoint officiellement les Faucheurs volontaires en 2016 pour tenter d’y faire reconnaître par les actes l’état de nécessité.
[1] Les Amis de la Terre, la Confédération Paysanne, la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (Fnab), France Nature Environnement (FNE), Greenpeace, le Réseau Semences Paysannes (RSP), l’Union Nationale des Apiculteurs Français (Unaf)