OGM en Europe : les autorisations accordées sont-elles valables scientifiquement ?
En matière d’évaluation de plantes GM (PGM), les experts français du Haut Conseil des biotechnologies (HCB) font-ils preuve d’un perfectionnisme que leurs prédécesseurs, les membres de la Commission du Génie Biomoléculaire (CGB), n’avaient pas ? Les demandes exprimées par le HCB sur les récents dossiers dont il s’est occupé tendraient à le démontrer : demande de données fournies dans un format permettant leur utilisation « pour la réalisation de tests statistiques complémentaires » et surtout, demande d’amélioration d’un outil statistique de travail pour l’analyse des risques liés à l’utilisation des PGM. De son côté, la Commission européenne a repris les autorisations alors que l’Agence européenne de sécurité des aliments (AESA) est en plein exercice de révision des règles d’évaluation des risques posés par les PGM. Cette recherche de nouvelles règles tend à confirmer que la précédente procédure ne permettait pas de répondre à la question des risques associés à l’utilisation d’une PGM, comme l’affirment les experts français du HCB !
Le précédent avis rendu par les experts français début 2008 sur le maïs Mon810 faisait état de « réserves concernant les procédures statistiques utilisées » (notamment pour les analyses de composition de la plante et les données de toxicologie), l’amenant donc à formuler des doutes sur son innocuité [1].
Un outil statistique à améliorer
Fin 2009, les membres du HCB reviennent donc sur ce dossier. Ils ont cette fois la réponse de l’AESA aux arguments français de début 2008 et les nouvelles lignes directrices définies par l’AESA en 2009, qui sont en cours de validation avec une consultation publique à venir sous peu. Ces lignes directrices concernent justement l’évaluation des risques liés aux PGM ! Et les experts français de constater que si l’AESA ne valide pas les arguments présentés sur le maïs Mon810, ses nouvelles lignes directrices vont, elles, dans le sens des demandes des experts français, reprenant notamment leur raisonnement sur l’outil statistique, le précédent étant jugé insuffisant ! L’AESA serait donc globalement d’accord mais pas pour les dossiers déjà évalués comme celui du Mon810. De son côté, le Groupe International d’Etudes Transdisciplinaires (GIET) souligne le paradoxe de l’AESA qui d’un côté, explique donc qu’il est nécessaire d’améliorer les tests statistiques utilisés afin de disposer de données scientifiques valables et, d’un autre côté, affirme que le maïs Mon810 ne pose pas de problème alors même que le dossier contient des données non valables car établies avec un outil statistique jugé aujourd’hui insuffisant [2]. Selon ce Groupe, la preuve est d’ailleurs donnée par l’absence de réponse de l’AESA à la question posée par la députée européenne Monica Frassoni : « La Commission (et donc l’AESA) peut-elle certifier que le maïs transgénique Mon810 n’est pas toxique ? », l’AESA affirmant pourtant disposer de toutes les données nécessaires… [3]
Mais pourquoi l’outil utilisé jusqu’à maintenant est-il considéré comme insuffisant ? L’avis de l’AESA publié le 2 décembre 2009 est assez clair dans son constat : « les lignes directrices recommandent l’utilisation d’un outil statistique approprié pour la mise en place des essais en champs [les plantes cultivées serviront aux analyses de composition notamment] et le traitement des données, mais aucune indication claire n’est fournie quant à la définition de la puissance statistique appropriée et l’interprétation des résultats d’analyses » [4]. Cela signifie que les pétitionnaires avaient non seulement le choix de l’outil à utiliser mais aussi de sa puissance statistique, souvent insuffisante aujourd’hui aux yeux des experts.
Notons que les lignes directrices d’évaluation des risques environnementaux de l’AESA publiées en 2009 n’auront « pas de conséquences sur les analyses de toxicologie puisqu’elles concernent les seules analyses de composition » selon l’AESA elle-même interrogée par Inf’OGM. Pour les analyses de toxicologie, le Commission Européenne a justement donné mandat à l’AESA pour définir les protocoles à suivre pour fin 2010. Et dans ce cadre sera abordée la question de l’outil statistique appliqué à ces données de toxicologie…
Finalement, l’AESA travaille donc à de nouvelles lignes directrices sur les analyses à conduire et données à fournir par le pétitionnaire pour toute demande d’autorisation commerciale, à la suite des experts français qui avaient soulevé ce point en janvier 2008 et l’ont confirmé depuis. Et dans ce débat de scientifiques, les européens auront bientôt voix au chapitre puisque l’AESA soumettra au public ses lignes directrices sur l’évaluation du risque environnemental d’ici « quelques semaines ». Les lignes directrices sur les analyses de toxicologie sont, elles, attendues pour la fin de l’année.
Mais se pose alors la question du calendrier d’application. Car si les nouvelles lignes directrices de l’AESA ne sont pas encore formellement adoptées et donc pas encore d’application, la Commission européenne a elle repris le train des autorisations. Et ce alors qu’elle sait maintenant que l’évaluation de ces dossiers s’est faite selon des règles aujourd’hui considérées comme insuffisantes ! On peut supposer que si le dossier de la pomme de terre Amflora repassait tel quel devant l’AESA avec ces nouvelles procédures, il ne devrait pas recevoir un avis positif.
[1] page 8 de l’avis du HCB sur le maïs Mon810
[3] ibid
[4] page 4 de l’avis de l’Efsa : « Scientific Opinion on Statistical considerations for the safety evaluation of GMOs », http://www.efsa.europa.eu/fr/scdocs…