n°154 - mars / avril 2019

OGM en 2018 : statu quo apparent, 
mais manœuvres cachées

Par Christophe NOISETTE, Eric MEUNIER

Publié le 20/05/2019

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Les premières plantes transgéniques sont arrivées dans les champs il y a désormais plus de 20 ans. Après une progression relativement rapide, voire fulgurante, l’adoption des plantes transgéniques, depuis quelques temps, stagne.

Au niveau mondial, ce sont toujours quatre espèces qui dominent largement le marché des OGM transgéniques : soja, maïs, coton et colza.

Toujours les mêmes plantes

Les autres plantes sont la betterave, la luzerne, la papaye (cultivée uniquement à Hawaï – États-Unis d’Amérique), l’aubergine (cultivée uniquement au Bangladesh sur des surfaces réduites). Les blé et riz transgéniques, attendus depuis des décennies, ne sont toujours pas autorisés, même si on les retrouve dans des produits alimentaires ou à l’état de traces dans des champs [1].

En mars 2018, l’entreprise étasunienne Calyxt – filiale de l’entreprise française Cellectis – demandait une clarification au ministère de l’Agriculture des États-Unis sur la nature de deux blés génétiquement modifiés à l’aide de plusieurs techniques de modification génétique (transgenèse, talen, etc.). Ces derniers, affirment les autorités compétentes, sont bel et bien des OGM mais ils pourraient être commercialisés sans que l’entreprise n’ait à déposer de dossier d’autorisation. Le blé OGM est-il pour bientôt ?

Aux États-Unis, le maïs transgénique représente 92 % de l’ensemble de la culture depuis 2015 (il est monté à 93 % en 2014), le soja transgénique stagne à 94 % depuis 2014 et le coton transgénique a légèrement diminué, passant de 96 % à 94 % d’adoption entre 2017 et 2018.

En Europe, la surface transgénique, concentrée dans la péninsule ibérique, a de nouveau diminué : elle passe de 130 571 hectares en 2017 à 120 979 hectares en 2018 (soit une diminution de plus de 7 %). Le maïs MON810, génétiquement modifié pour produire une protéine insec
ticide, reste l’unique OGM transgénique autorisé à la culture dans l’Union européenne. On évoquera plus loin dans cet article les surfaces cultivées avec des colzas et tournesols OGM issues de la mutagénèse.

Globalement, ce sont toujours les mêmes pays qui cultivent ces variétés transgéniques : les Amériques arrivent en tête, suivies de la Chine et de l’Inde.

Toujours les mêmes caractéristiques

En termes de caractéristiques, là encore, la situation ne change pas. Caractère leader incontesté de tous les OGM – anciens, transgéniques, cachés ou nouveaux – la tolérance à un ou plusieurs herbicides représente toujours plus des trois quarts des OGM cultivés. Les colzas de Cibus ou de BASF, modifiés par mutagénèse dirigée, sont les premiers nouveaux OGM autorisés et sans surprise, ils l’ont été pour tolérer des pulvérisations d’herbicides. En France, une betterave mutée est sur le point d’être cultivée et là encore, il s’agit d’une variété mutée, rendue tolérante à un herbicide. L’intérêt pour les entreprises reste donc bien de vendre des herbicides en lien avec leurs semences.

Dans les tuyaux, aux États-Unis, d’autres caractéristiques sont prévues comme des blés à faible taux de gluten, un soja tolérant la sécheresse, etc. Et le soja oléique génétiquement modifié 2.0 de Calyxt est déjà dans les champs depuis 2018. En février 2019, Calyxt a signé un partenariat avec la coopérative Agtegra [2], huitième plus grand détaillant agricole nationalement, qui travaille avec plus de 6 300 agriculteurs principalement dans les états du Dakota. Cette dernière offrira donc à ses clients des services de distribution, stockage et transport pour ce soja oléique. Calyxt pronostique qu’il sera cultivé sur plus de 13 800 hectares (soit une surface doublée par rapport à 2018) [3].

L’huile sera produite par l’entreprise American Natural Processors qui se présente comme un transformateur d’huile, de farine et de tourteaux non OGM et sera mise sur le marché dans les prochains mois [4].

Les autorisations d’OGM ne font, elles, 
pas de pause

Cette apparente stagnation du dossier OGM cache des mouvements plus profonds qui pourraient en changer la gestion. Profitant de l’attention portée à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) [5] sur les OGM obtenus à l’aide de nouvelles techniques de mutagénèse, ces mouvements sont restés confidentiels.

Ainsi, comme le résume l’article de ce dossier sur les autorisations commerciales d’OGM délivrées en 2018 [6], ces dernières ont connu des changements majeurs. 28 OGM ont en effet pu être autorisés commercialement pour la première fois avec seulement trois décisions administratives et non 28 comme cela aurait pu être attendu avec l’approche « un OGM, un dossier ». Une nouvelle approche qui trouve ses origines dans un règlement adopté en 2013 et qui permet, pour un OGM à plusieurs transgènes (par exemple ABC), de l’autoriser conjointement avec toutes les combinaisons possibles des transgènes (ici : A, B, C, AB, AC, BC et ABC)…

2018 fut également marquée par un allègement très important de l’évaluation des risques liés à ces OGM car les mêmes autorisations délivrées l’année dernière montrent que certains OGM ont été autorisés sans qu’aucune donnée n’aient été fournies par les entreprises pour permettre d’en évaluer les risques. Une situation dont l’origine se trouve également dans le règlement 503/2013 adopté en 2013.

Agitations dans les couloirs 
des instances internationales

Mais le plus important mouvement fut incontestablement la décision de la CJUE qui, à l’opposé de l’analyse portée par les promoteurs d’OGM, a rappelé que les nouvelles techniques de mutagénèse donnent bien des OGM qui doivent être réglementés selon la législation européenne sur les OGM [7]. Une décision qui marque un coup d’arrêt à une stratégie en œuvre depuis plusieurs années qui visait à obtenir une dérèglementation de ces OGM sous couvert d’une exception prévue par la loi sur les techniques de mutagénèse antérieures à 2001 voire à 1990.

Cette déréglementation souhaitée des nouveaux OGM vise à échapper à l’étiquetage obligatoire dans l’Union européenne. En effet, les industriels souhaitent breveter le vivant plus largement qu’auparavant, grâce aux nouvelles techniques de transformation du vivant. Mais si l’étiquetage reste obligatoire, ces produits ne seront pas vendus. Brevets et étiquetage ne font donc pas bon ménage.

La Convention sur la Diversité Biologique (CDB), tout comme l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations unies (la FAO), a aussi passé l’année à discuter des séquences génétiques numérisées, un sujet loin d’être anecdotique. Car pour l’instant, du fait de la CDB ou du Traité International sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (Tirpaa), toute personne ou organisme travaillant avec une plante « appartenant » à une communauté locale, autochtone ou un pays doit avoir une autorisation et reverser une partie de l’argent gagné grâce à cette plante. Or, le séquençage des génomes a amené à constituer des bases de données de plus en plus grandes qui donnent aujourd’hui accès aux séquences génétiques sans avoir à disposer de la plante d’où elles sont tirées. Des entreprises et pays argumentent que travailler avec ces séquences génétiques numérisées est différent de travailler avec la plante elle-même. Et donc qu’aucune autorisation spéciale ou partage des bénéfices ne sont imposés. 

Les discussions sont compliquées car derrière ce sujet se trouve également la question de la propriété industrielle sur le vivant. Une propriété pouvant être réclamée plus facilement grâce aux nouvelles techniques de modification génétique mais qui nécessite, comme on l’a vu, de se débarrasser de l’étiquetage OGM plutôt gênant pour le commerce. Post-décision de la CJUE, la Commission européenne a annoncé en janvier 2019 que l’Union européenne devrait justement réfléchir à sa future politique sur les biotechnologies…

Le brevet chapeaute les sujets OGM et séquences numérisées. En 2018, des discussions ont continué au sein de l’Organisation mondiale de Propriété Intellectuelle pour un éventuel système international harmonisant les règles du brevet [8]. Deux camps s’opposent : d’un côté, les pays asiatiques, africains et sud-américains en majorité qui souhaitent que ce système unique repose sur les principes d’accord et de partage des bénéfices quand une plante d’un pays a été utilisée comme matériel de base ; de l’autre, les pays plutôt européens et nord-américains qui refusent cette divulgation d’information. Les échanges continuent donc…

Le dossier OGM classique a pu être perçu comme faisant l’objet d’un statu quo en 2018. Mais les discussions en cours à l’international montrent au contraire que 2018 fut une année de transition. Une transition vers des changements majeurs dans le domaine de la propriété industrielle sur le vivant, celui de l’évaluation des risques et enfin, celui de la transparence et de
l’information des citoyens. 


[2« Calyxt and Agtegra Cooperative Announce Strategic Collaboration to Distribute Calyxt High Oleic Soybean », Market Watch, https://www.marketwatch.com/press-release/calyxt-and-agtegra-cooperative-announce-strategic-collaboration-to-distribute-calyxt-high-oleic-soybean-2019-02-19, 19 février 2019

[3« Calyxt Doubles 2018 High Oleic Soybean Acres, Surpasses 34,000 acres of High Oleic Soybean contracted for 2019 growing season », 22 janvier 2019, Eastern Standard Time, https://www.businesswire.com/news/home/20190122005964/en/Calyxt-Doubles-2018-High-Oleic-Soybean-Acres/

[4« [Roseville gene-editing firm Calyxt announces deal with soybean processor, The high-tech soybeans have been stripped of the gene that creates trans fats », Adam Belz, Star Tribune, 28 septembre 2018, http://www.startribune.com/roseville-gene-editing-firm-calyxt-announces-deal-with-soybean-processor/494629061/

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