n°116 - mai / juin 2012

Nouvelles techniques de biotechnologies : l’UE se met-elle volontairement en retard ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 25/05/2012

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En 2008, l’Union européenne démarrait une réflexion quant à la nature « OGM » ou non de sept « nouvelles » techniques de biotechnologie. Trois ans plus tard, un rapport final sort enfin du cercle d’experts mobilisés pour arriver sur la table des États membres. En parallèle, les États-Unis avancent aussi et statuent sur le caractère « OGM » ou non de certaines de ces techniques. L’UE vise-t-elle stratégiquement à être en retard pour justifier d’un alignement législatif aveugle sur les États-Unis ou mettra-t-elle en avant l’indépendance de son expertise ?

Le 12 janvier 2012, la Commission européenne informait enfin les États membres que le rapport final du groupe d’experts mandatés par chaque État membre leur avait été adressé. Ce rapport nous a été finalement communiqué par le gouvernement français [1].

UE : aux Etats membres maintenant de s’exprimer sur le rapport des experts…

Dans une interview publiée dans notre dernier numéro, Eric Poudelet, de la Commission européenne, expliquait : « [La classification des nouvelles techniques en OGM ou pas] est un sujet difficile qui préoccupe beaucoup la Commission mais les scientifiques ne sont pas toujours très d’accord […] ce sera aux États de prendre une décision ». Cela se fera dans le cadre de discussions qui reprendront avant l’été, selon la Commission européenne. Avant donc de savoir ce que les États membres feront, analysons les désaccords annoncés entre experts dont le tableau en page 5 présente les conclusions.

Outre que la biologie de synthèse n’est pas présente dans le rapport final bien qu’initialement dans la liste des techniques à étudier, on voit que les désaccords annoncés par E. Poudelet sont relativement peu nombreux et concernent surtout la technique de méthylation de l’ADN. On observe surtout qu’une lecture à l’envers du tableau (et donc de la réflexion présentée des experts) fournit une grille de lecture simple : seraient considérées comme donnant des OGM les techniques dont le résultat est détectable et traçable (nucléase à doigt de zinc avec insertion d’un gène – ce gène est détectable). Et seraient considérées comme ne donnant pas des OGM ou exclues du champ de la directive, celles donnant des produits non détectables et donc non identifiables (nucléase à doigt de zinc avec création de mutation – la mutation n’est pas différentiable de mutations « conventionnelles » donc non identifiable).

Notons que, concernant l’évaluation des risques liés à ces plantes, l’Agence Européenne de Sécurité des Aliments (AESA) a, le 26 janvier, rendu un avis concluant que les lignes directrices existantes pour les PGM conviennent bien aux produits obtenus par cisgenèse (et par intragenèse), et peuvent même être allégées dans certains cas, l’AESA renvoyant au pétitionnaire le choix des dangers qui mérite d’être évalués [2] ! Ses avis sur mutagenèse guidée par oligonucléotides et nucléase à doigt de zinc sont encore attendus.

Inf’OGM rappelle que les plantes considérées comme non OGM ou exclues du champ d’application de la directive échapperont donc à tout ce qui a été mis en place pour gérer les plantes transgéniques : évaluation des risques potentiels associés pour l’environnement et la santé, déclaration de mise en culture, surveillance du territoire… et étiquetage obligatoire. Le consommateur final ne sera donc plus informé de ce qu’il consomme.

…pendant que les Etats-Unis ont déjà partiellement conclu

Ces mêmes techniques sont également discutées aux États-Unis, et des décisions commencent à être prises. En novembre 2011, l’entreprise Cibus annonçait, suite à une réponse du ministère étatsunien de l’Agriculture, que des plantes modifiées par mutagenèse guidée par oligonucléotides n’étaient pas considérées comme OGM [3]. En décembre 2011, l’entreprise française Cellectis apprenait du même ministère que les plantes modifiées par méganucléases (une technique proche des nucléases à doigt de zinc, non encore étudiée par les experts européens) peuvent dans certains cas être OGM (si elles sont utilisées pour insérer un gène) et dans d’autres cas non OGM (si elles sont utilisées pour provoquer une mutation) [4]. En effet, selon les règles du ministère [5], est considérée comme plante génétiquement modifiée (PGM), toute plante « qui a été modifiée ou produite par génie génétique, si l’organisme donneur, l’organisme receveur, le vecteur ou l’agent vecteur » sont des ravageurs, nuisibles aux végétaux. En clair, pour classifier au final les PGM, peu importe la technique de génie génétique utilisée, seuls comptent les outils. C’est pourquoi, aux États-Unis, nombre de PGM créées avec les nouvelles techniques pourraient échapper à la législation sur les OGM. Pour la cisgenèse, une demande d’autorisation de commercialisation déposée par Okanagan Specialty Fruits pour une pomme au mûrissement retardé est toujours en attente de réponse [6].

Cette différence de calendrier entre les États-Unis et l’UE pourrait mettre sous pression le législateur européen afin qu’il autorise, comme aux États-Unis, ces plantes modifiées par des techniques autres que la transgenèse. Reste à savoir si l’Union européenne sera plus fière de la pertinence de son expertise que frileuse de se mettre à dos un partenaire commercial. Le précédent de la viande aux hormones nous montre néanmoins qu’elle sait parfois tout de même résister, au nom de la santé humaine. Sauf si un retard de l’UE face aux États-Unis était une situation souhaitée…

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