Les PNPP menacées par les produits du biocontrôle
Mettre fin aux pesticides chimiques de synthèse nécessite un soutien institutionnel et économique urgent à des modèles agricoles paysans et biologiques qui permettent réellement de s’en affranchir. Les préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP) font partie d’un ensemble de pratiques qui constituent une alternative sérieuse. Pourtant, leur reconnaissance législative est aujourd’hui encore inaboutie. Et même les quelques portes ouvertes ces dernières années se referment au profit des entreprises de biocontrôle.

Les PNPP sont des préparations à base de plantes, de substances minérales et/ou animales (les micro-organismes sont exclus). Leurs emblèmes sont notamment le purin d’ortie et le purin de consoude. On trouve aussi des tisanes, des eaux florales, des huiles essentielles, des décoctions ou encore des teintures mères. Ail, bardane, menthe, valériane, argile, vinaigre blanc, petit lait,… sont autant de substances qui peuvent entrer dans leur composition.
Des pratiques et des savoirs paysans
L’utilisation des PNPP en agriculture fonctionne dans un ensemble de pratiques agronomiques qui visent à renforcer les plantes, les sols et, de manière générale, l’écosystème de la ferme. Surtout, toutes ces préparations et les pratiques associées sont issues de savoirs paysans qui se diffusent de ferme en ferme grâce à des rencontres, des échanges ou encore des ouvrages de praticiens passionnés. C’est en particulier de là que vient la différence avec le biocontrôle : les PNPP ont une existence paysanne concrète et leur définition actuelle vient du terrain et des personnes qui les utilisent. Leurs « recettes » sont fonction de celles et ceux qui les fabriquent et on trouvera autant de purins de prêle ou d’infusion de valériane que de personnes qui les fabriquent, en lien avec leurs pratiques et leurs territoires. Le terme biocontrôle, apparu il y a à peine 10 ans, est venu englober des « nouveaux produits » pour la protection des cultures, fabriqués par l’industrie, et qui n’ont rien à voir avec des pratiques paysannes (même si l’industrie qui les commercialise cherche à les imiter).
Un long combat pour la reconnaissance des PNPP toujours d’actualité
Un long combat pour la reconnaissance des PNPP s’est engagé il y a près d’une quinzaine d’années et n’est toujours pas terminé. D’abord, au moment où l’institution, c’est-à-dire le ministère de l’Agriculture, s’intéresse aux PNPP, c’est pour les interdire (loi agricole de juin 2006). En septembre 2006, après un contrôle de l’administration dans une ferme, la guerre de l’ortie est lancée. Les organisations mobilisées1 se réunissent en collectif [NDLR : qui deviendra l’Aspro-PNPP] pour revendiquer l’autorisation immédiate et entière de toutes les PNPP. Commencent alors des négociations avec l’administration, qui dureront des années, et, après presque 20 ans, toutes les PNPP ne sont toujours pas autorisées. Jusqu’en 2014, soit pendant près de huit ans, les organisations tenteront d’obtenir une définition législative des PNPP qui corresponde à la pratique sur le terrain. L’administration et le législateur n’auront de cesse de tenter de les faire entrer dans la réglementation des pesticides (produits phytopharmaceutiques) et de leur imposer des contraintes similaires pour leur autorisation, malgré la reconnaissance de leur caractère peu préoccupant. En 2009, par décret, une première définition est publiée2. Elle est complétée, en 2014, par un chemin d’autorisation définitif.
La définition des PNPP est donc aujourd’hui très claire : elles doivent être composées d’éléments naturels, non OGM. Le procédé de fabrication doit être accessible à tout utilisateur final. Concrètement, dès lors qu’une préparation est issue d’un processus industriel qui n’est pas reproductible sur une ferme, elle ne peut pas être reconnue comme PNPP. Enfin, elles appartiennent au domaine public et ne sont donc théoriquement pas brevetables. Mais cette définition ne se suffit pas à elle-même pour permettre la fabrication et l’utilisation des PNPP. Il faudra en effet que soient autorisées les substances3 qui vont composer les PNPP. Les allers-retours avec le ministère de l’Agriculture dureront encore plusieurs années. En juin 2021, toutes les parties de plantes consommées dans l’alimentation humaine et animales seront autorisées pour entrer dans la composition des PNPP, sous condition du respect d’un cahier des charges. Le ministère de l’Agriculture acceptera de le discuter et de le rendre conforme, en partie, à des pratiques de traçabilité déjà existantes sur le terrain, mais ne lâchera pas sur certains points, en particulier celui des huiles essentielles. Le ministère insère ainsi dans le cahier des charges une disposition qui interdit la fabrication et la commercialisation des huiles essentielles qui ont déjà une autorisation de mise sur le marché en tant que pesticides4. Confirmé par une personne au sein de cette administration, cette disposition est intégrée pour ne pas faire concurrence à l’industrie. Le ministère a aussi tenu à ajouter une disposition de délai avant récolte pour les préparations issues de fermentation (non tenable dans la réalité).
Un abandon des pouvoirs publics au profit des industries du biocontrôle
Jusqu’à cette étape du cahier des charges, les organisations mobilisées pour la reconnaissance des PNPP avaient encore des échanges avec le bureau concerné au ministère de l’Agriculture. Des discussions étaient encore ouvertes, notamment pour l’autorisation des substances qui ne sont pas consommées dans l’alimentation humaine et animale, comme les feuilles de rhubarbe ou la fougère (même si cela fait l’objet de débat puisque des chèvres ont été vues en consommer). Mais la discussion s’est soudainement fermée. Les organisations qui défendent les PNPP ont été renvoyées à s’intégrer dans une nouvelle organisation, l’Association biocontrôle et biostimulation pour l’agroécologie (ABBA), et à négocier avec elle. Officialisée en novembre 2023, elle est composée d’une centaine de membres (recherche, institutions agricoles, secteur privé) et ressemble à une organisation de filière (innovation-production-commercialisation) dans laquelle les organisations mobilisées pour les PNPP n’ont rien à faire (p.13-15). Un échange entre l’Aspro-PNPP, la Confédération paysanne et le président de cette organisation (Christian Huygues, Inrae) a montré le peu de cas qu’elle faisait de ces pratiques paysannes, qu’elle ne peut pas « massifier » dans toutes les fermes. Si on peut lui donner raison de ce point de vue là, on ne peut lui accorder aucun crédit si elle pense encore, en 2024, que la sortie des pesticides passera par la mise en place dans toutes les fermes de solutions industrielles uniformisées.
L’organisation du secteur économique du biocontrôle, avec le soutien affirmé des pouvoirs publics et du monde de la recherche, associée au délaissement institutionnel total des PNPP, laisse soupçonner la volonté de ne laisser aucune place à des pratiques paysannes du domaine public. On peut par ailleurs craindre une recherche accélérée sur des préparations issues de savoirs paysans afin d’en faire des produits de l’industrie. On trouve dans la liste actuelle des produits de biocontrôle, par exemple de l’extrait d’ail, de l’huile de colza ou de l’huile de menthe. De nombreux paysans utilisent des macérations d’ail pour repousser les insectes sur les fruitiers ou les plantes potagères. Le Groupe de recherche en agriculture biologique (Grab) a réalisé un essai avec de l’huile de colza pour lutter contre le puceron cendré du pommier avec des résultats encourageants. Dans la liste officielle des produits de biocontrôle5, on retrouve deux produits à base d’extrait d’ail, vendus comme nématicides (Nemguard Granules6, vendu Certis Belchim, et Namoteli7, vendu par M. CAZORLA, S.L.). Le risque important de récupération pose la question de la diffusion des savoirs paysans et de leur protection. Cette étape, pas nouvelle, mais qui s’accélère, impose de réajuster la stratégie de défense des PNPP et, surtout, de poursuivre le combat pour des pratiques paysannes.
1Notamment l’Aspro-PNPP, les Amis de la Terre et la Confédération paysanne.
3 Les PNPP sont composées exclusivement :
1) de substances de base, qui s’inscrivent dans la réglementation pesticide avec une autorisation européenne simplifiée ;
2) de substances naturelles à usage biostimulant (SNUB), qui nécessitent une autorisation nationale exclusivement et qui ne sont pas dans le champ des produits phytosanitaires.
Les organisations mobilisées ont choisi de soutenir l’autorisation d’un maximum de SNUB.
5 Ministère de l’Agriculture et de la Sécurité Alimentaire – Direction générale de l’alimentation/Services des actions sanitaires/Sous-direction de la santé et de la protection des végétaux/Bureau des intrants et du biocontrôle (BIB), « Liste des produits phytopharmaceutiques de biocontrôle, au titre des articles L.253-5 et L.253-7 du code rural et de la pêche maritime », 19 juillet 2024.
6 Certis Belchim, « Nemguard granulés », 29 janvier 2024.
7 M. Cazorla, « Fiche de données de sécurité – Namoteli », 27 décembre 2017.
M. Cazorla, « Namoteli ».