Les brevets à l’assaut des ressources phytogénétiques
Les brevets sur les traits génétiques des plantes ébranlent de plus en plus fortement l’édifice juridique patiemment construit par les « lois UPOV » [1]. Le premier pilier de cet édifice est le catalogue qui réserve le monopole du marché des semences aux variétés industrielles homogènes et stables. Le deuxième pilier est le COV qui offre aux obtenteurs le monopole de la production, de la reproduction et de la commercialisation des semences de ces variétés, tout en garantissant l’exception de sélection qui permet d’utiliser librement une variété protégée pour en sélectionner une autre. Le troisième pilier est le TIRPAA [2] qui garantit l’accès libre à la principale ressource industrielle des obtenteurs constituée par les semences paysannes de toute la planète. Baptisées « patrimoine commun de l’humanité », ces semences paysannes sont exclues du marché formel par le catalogue. Elles deviennent ainsi le « patrimoine commun des semenciers », aux côtés des nouvelles variétés protégées par un COV.
L’article précédent [3] a montré comment les obtenteurs tentent de sauver leur exception de sélection face aux brevets qui privatisent chacune des plantes de leurs variétés protégées par un COV. Cet article s’interroge sur la manière dont le TIRPAA (désigné par « le Traité » dans cet article), qui engage des gouvernements dans la gestion commune d’un bien public mondial, réagit à sa privatisation par les brevets sur les traits natifs des plantes.
1992 : « partage des avantages » contre « patrimoine commun de l’humanité »
Les industries pharmaceutique et cosmétique, bien plus puissantes que l’industrie semencière, rencontrent peu d’obstacles pour collecter des échantillons de plantes sauvages ou cultivées. Mais pour savoir lesquelles lui fourniront les secrets des molécules qu’elles pourront copier par synthèse chimique afin de les breveter et de les vendre sous forme de médicaments ou de cosmétiques, elles ont besoin d’accéder aux connaissances des communautés humaines dites « traditionnelles » ou « indigènes » qui les ont conservées et ont toujours su s’en servir. Elles promettent pour cela de leur demander la permission avant toute collecte puis de partager ses bénéfices avec elles.
Les États ont réglementé cette promesse en 1992 lors de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB). Les « pays en voie de développement » (PVD), pauvres en brevets mais riches en biodiversité, protestaient après la décolonisation contre l’appropriation de tous les bénéfices par les « pays développés », pauvres en biodiversité mais riches en brevets : en réponse, les pays développés ont reconnu la souveraineté des PVD sur leurs ressources et leur droit de négocier le consentement préalable et le partage des avantages. Charge aux États d’impliquer ou non dans ce partage les communautés qui ont sélectionné et/ou conservé ces ressources et les connaissances associées.
Depuis 1992, seuls de rares accès directement identifiables dans le produit commercialisé ont généré quelques miettes au titre du partage des avantages, abondamment médiatisées pour construire l’image d’une industrie généreuse sauvant la biodiversité. Mais la plupart des prélèvements dans l’immense réservoir de ressources des PVD ne sont plus identifiables dans les produits commercialisés et n’ont fait l’objet d’aucun partage. Le partage des bénéfices promis en 1992 n’a servi qu’à faire accepter le brevet sur le vivant imposé en 1994 à tous les membres de l’OMC par l’ADPIC [4]. Vingt ans après, les bénéfices ne sont toujours pas partagés, mais les brevets sur le vivant ont conquis la planète.
2004 : le TIRPAA redonne vie au patrimoine commun
Les nouvelles variétés mises en marché sont issues de dizaines de ressources phytogénétiques différentes, croisées, recroisées, échangées et ré-échangées entre chercheurs, collectionneurs et sélectionneurs. Selon l’industrie, il est impossible d’assurer une traçabilité efficace de ces multiples transferts et de faire ensuite la part de ce qui, dans chaque produit final commercialisé, vient de chacune des ressources initiales. L’obligation de contrat bilatéral de consentement préalable et de partage des avantages pour chaque échange de semences [5] ne serait donc pas applicable dans la pratique. Le Système Multilatéral d’accès facilité et de partage des avantages (MLS) mis en place par le TIRPAA en 2005 supprime l’obligation de consentement préalable. En contre-partie, l’industrie a accepté la mise en place d’un Fonds de partage des avantages, qu’elle est censée alimenter avec les bénéfices qu’elle tire de l’exploitation des semences fournies par le MLS, et la reconnaissance des droits des agriculteurs d’utiliser, d’échanger et de vendre leurs semences de ferme [6].
Mais l’application des droits des agriculteurs a été placée sous la responsabilité des États. La plupart ne les appliquent pas et le Traité n’a prévu aucun moyen susceptible de les y contraindre. L’accès facilité n’est offert que pour la recherche, la sélection et la formation, mais pas pour la culture agricole. L’accès des agriculteurs qui veulent cultiver les semences qui ont été données au MLS par leurs parents ou collègues est laissé au bon vouloir des États. Dans de nombreux pays, le catalogue est là pour interdire leur commercialisation, ce qui les rend inaccessibles à la majorité des paysans.
Tout accès est accompagné d’un Accord Type de Transfert de Matériel (ATTM) engageant celui qui reçoit des ressources à reverser une partie de ses bénéfices le jour où il commercialise des semences qui en sont issues. Ce partage des avantages est considéré comme acquitté de manière non monétaire par l’exception de sélection du COV et de certains brevets [7]. Cette exception concerne la grande majorité des semences commercialisées dans les pays membres du Traité. Mais elle ne bénéficie qu’aux obtenteurs. Les paysans, qui ont fourni la plupart des semences du MLS, se voient au contraire interdire ou taxer toute utilisation de leurs semences de ferme. Le partage monétaire n’est obligatoire que lorsque les semences commercialisées sont protégées par un brevet limitant l’accès pour la sélection et la recherche. Mais vu, premièrement, qu’il n’y a aucun contrôle des multiples transferts de matériel et croisements qui séparent l’accès au MLS de la commercialisation de nouvelles semences ; deuxièmement que l’industrie déclare ne pas pouvoir en assurer la traçabilité ; et troisièmement que les ressources disponibles dans le MLS sont pour la plupart disponibles dans d’autres collections qui ne font pas partie du MLS [8], l’application des quelques obligations de paiement ne dépend que du bon vouloir de l’industrie. À ce jour, elle n’a jamais rien versé. Seuls quelques pays développés tentent de maintenir l’illusion du partage des avantages en payant, avec l’argent de leurs contribuables, une petite partie de la dette que l’industrie refuse de rembourser.
Malgré ces dysfonctionnements, de nombreuses organisations paysannes, dont La Via Campesina, ont soutenu le Traité en tentant de l’améliorer. Deux raisons motivent ce choix :
le Traité est le seul texte international qui reconnaît les droits des agriculteurs sur leurs semences. Cette reconnaissance est un levier politique important pour renforcer les luttes sociales destinées à les faire respecter dans chaque pays ;
le versement de semences paysannes au MLS peut servir de preuve de leur antériorité permettant de s’opposer à toute biopiraterie comme un COV ou un brevet ultérieurs sur une variété identique ou très proche.
D’autres ONG soutiennent le Traité aussi dans l’espoir de bénéficier de subsides du Fonds de partage des avantages pour financer leurs actions d’accompagnement du travail de conservation in situ réalisé par des paysans des PVD.
2014 : le protocole de Nagoya relance le partage des avantages
Le MLS ne s’applique qu’à 64 espèces de cultures et de fourrages énumérées à l’Annexe 1 du Traité et ne regroupe que 60 % de la diversité des semences recensées au niveau mondial. Des espèces aussi importantes que la banane, le soja, la tomate… n’en font pas partie. Pour ces espèces, c’est la CDB et l’obligation de contrats bilatéraux de consentement préalable et de partage des avantages qui s’appliquent pour chaque échange. Depuis 1992, aucun contrat n’a été signé car l’industrie disposait du stock de semences collectées avant 1992 et non soumis aux obligations de la CDB. De plus, la CDB ne définit que des principes. Le protocole de Nagoya définit des règles d’application contraignantes que les pays signataires doivent appliquer. Depuis son entrée en vigueur en octobre 2014, tout transfert de ressource phytogénétique d’une espèce non listée à l’Annexe 1 du Traité et qui n’est pas accompagné d’un tel contrat, est illégal. C’est pourquoi l’industrie et les « pays semenciers » membres du Traité (UE, Canada, Australie [9]) ont voulu inscrire à l’ordre du jour de la dernière réunion de l’Organe directeur [10], en octobre 2013 à Oman, l’élargissement de l’Annexe 1 à toutes les espèces cultivées [11]. Les PVD et les pays émergents (Brésil, Inde…) ont refusé de débattre de cet élargissement tant que les promesses du partage des avantages et des droits des agriculteurs ne seraient pas tenues. Ils ont obtenu la constitution de deux groupes de travail ouverts aux « parties prenantes » (industrie, ONG, organisations paysannes) destinés à faire des propositions à la prochaine réunion de l’Organe directeur qui se réunira à Rome en octobre 2015.
Le premier groupe de travail sur l’amélioration du fonctionnement du MLS s’est réuni trois fois pour débattre du financement du Fonds de Partage des avantages. Ce Fonds est destiné à financer prioritairement la conservation par les agriculteurs dans les PVD qui considèrent que cet argent leur est dû. L’Organe directeur du Traité a fixé un objectif de 0,1% du montant des ventes de semences sur le marché formel, soit 116 millions de dollars sur cinq ans [12]. Le dernier programme du Fonds n’a mobilisé que 20% de cet objectif, issu de contributions de quelques États et du Fida [13]. L’industrie n’a rien versé. Les pays riches préfèrent donner leur argent au Global Crop Diversity Trust qui finance leurs banques de gènes ex situ. Et la crise financière, qui a fait exploser la dette des États en leur transférant celle des banques, anéantit tout espoir d’augmentation de leurs contributions. De son côté, le Traité n’a aucun autre moyen de forcer l’industrie à s’acquitter de sa dette que de conditionner l’accès aux ressources du MLS au respect des engagements pris par la signature de l’ATTM. Mais, en l’état actuel, ce moyen est totalement inefficace.
Seuls les pays peuvent taxer directement les bénéfices issus de la commercialisation de semences sur leur territoire. La Via Campesina a proposé qu’une telle taxe soit proportionnelle au chiffre d’affaire de vente de semences et plants faisant l’objet de restrictions juridiques, contractuelles ou technologiques limitant leur utilisation pour la recherche, la sélection, la production agricole ou la reproduction de semences de ferme. Mais le Traité refuse d’obliger ses membres à prélever une telle taxe. Le groupe de travail a retenu l’idée de lier le montant des paiements au chiffre d’affaire de vente de semences et à l’importance des restrictions juridiques ou technologiques, mais sous forme du paiement d’un « abonnement » permettant d’accéder pendant une durée déterminée aux ressources du MLS. Abonnement qui pourra toujours être évité par ceux qui iront chercher des ressources ailleurs qu’au MLS. Et cerise sur le gâteau de l’industrie, les pays développés exigent qu’une telle solution reste une option facultative aux côtés des autres mécanismes de l’ATTM qui permettent de ne rien payer.
Le Traité est ainsi contraint de se transformer en mendiant pour demander à l’industrie combien elle accepte de payer et comment. En réponse, l’industrie propose de partager le remboursement de sa dette et non ses bénéfices. L’IFS [14] n’accepte aucun autre mode de paiement obligatoire que ceux liés à l’ATTM, alors qu’elle est la première à dire qu’ils ne sont pas gérables. Elle sait surtout qu’ils sont très facilement contournables ! Elle estime ensuite que les clubs de brevets, qui organisent des marchés privés de droits de licences [15], devraient être considérés comme une forme de partage des avantages non monétaires, supprimant comme le COV toute obligation de paiement. Presque plus personne ne serait ainsi obligé de payer. Pour montrer sa bonne volonté, elle évoque alors la possibilité de paiements volontaires conditionnés au droit des donateurs d’en définir l’utilisation. De son côté, l’entreprise Monsanto démontre avec cynisme comment elle contourne la logique multilatérale du Traité pour lui imposer la logique marchande de la CDB. Elle ne paie rien pour la majorité des ressources qu’elle utilise car elles ont été collectées avant 1992 et sont disponibles hors du MLS. Lorsqu’elle ne trouve ce dont elle a besoin qu’auprès du MLS, elle estime devoir payer uniquement pour le trait génétique qu’elle utilise et non pour l’intégralité de la ressource. Elle s’aligne ainsi sur les pratiques des industries pharmaceutique et cosmétique qui ne payent le partage des avantages que lorsque la ressource génétique concernée est facilement identifiable dans le produit commercialisé. Les sommes ainsi évoquées par l’industrie varient entre 0,1% et 2% de l’objectif fixé par le Traité, soit moins que ce qu’elle dépense pour chaque campagne de lobby destinée à influencer le vote sur l’étiquetage OGM dans un Comté étasunien. Le solde devant donc être partagé entre les contribuables des pays membres du Traité…
Aucune de ces propositions ne répondant aux attentes des PVD, la situation semble bloquée.
La privatisation durable des ressources phytogénétiques
Un groupe de travail ne peut se réunir que s’il trouve des bailleurs pour couvrir ses frais de fonctionnement. Le secrétariat du Traité n’a trouvé aucun bailleur pour financer le travail sur les droits des agriculteurs qui est devenu un sujet annexe du groupe de travail sur l’utilisation durable des ressources phytogénétiques. Ce deuxième groupe n’a pu se réunir qu’une fois, en mars 2015, et n’a produit aucune proposition opérationnelle nouvelle.
L’industrie a réussi à transformer son obligation de partage de ses bénéfices en dons volontaires. Alors même que la destination du partage des avantages est déjà définie par le Traité, les deux groupes de travail ont en conséquence suggéré d’inciter la générosité des « donateurs » potentiels en prenant leurs souhaits en considération, c’est-à-dire de financer de nouvelles collectes, des programmes de pre-breeding (pré-sélection) et surtout l’information sur les ressources phytogénétiques.
Le pre-breeding permet aux centres de recherche et aux entreprises de vendre des ressources génétiques pré-sélectionnées pouvant être développées en de multiples variétés adaptées chacune à des conditions de culture spécifiques. Le système multilatéral va-t-il ainsi se transformer en un marché totalement libéralisé de ressources génétiques pré-sélectionnées ? Pour les grandes entreprises, les prix à payer pour s’approvisionner sur un tel marché seront toujours inférieurs aux dépenses qu’elles auraient eu à faire dans le partage des immenses bénéfices qu’elles tirent de l’exploitation de chaque ressource. Mais pour les petits paysans qui ne tirent que peu de bénéfices de l’utilisation de chaque ressource, le coût d’accès à ce marché serait par contre inabordable.
L’amélioration de l’information est l’objet du programme Divseek [16] destiné à construire une base de données numériques rapprochant les séquences génétiques et les caractères phénotypiques de toutes les ressources du MLS. La Via Campesina a vivement dénoncé l’implication du Traité dans ce programme destiné à faciliter les brevets sur les traits natifs des semences.
L’OMC privatise les « traits natifs »
La plupart des pays membres du Traité ont en effet adhéré aussi à l’OMC. Ils sont de ce fait contraints d’appliquer l’ADPIC. L’article 27.3.b) de cet accord [17] les autorise à refuser les brevets sur les végétaux s’ils adoptent un autre système efficace de protection des variétés végétales, mais ils sont contraints d’accepter les brevets sur « les procédés non biologiques et microbiologiques » d’obtention des mêmes végétaux et sur « les micro-organismes ». Or l’industrie a mis au point des « procédés microbiologiques » qui permettent d’isoler une séquence génétique de son environnement naturel [18] et d’identifier sa fonction, ou encore de modifier génétiquement des cellules de plantes sans qu’on ne puisse les différencier d’une cellule de plante pouvant exister naturellement ou issues de procédés de sélection traditionnels non brevetables [19]. Le procédé microbiologique mis en œuvre pour isoler une séquence ou un marqueur génétique afin d’identifier le lien qui les relie à une fonction d’utilité agricole ou industrielle fait ainsi de ce lien un « trait » qui devient brevetable dès lors qu’il n’était pas précédemment connu. De même, les cellules de plantes sont des « micro-organismes » brevetables dès lors qu’un de leur trait est modifié par un procédé microbiologique qui n’était pas précédemment connu. La protection absolue du brevet sur de tels traits s’étend alors à toute plante qui le contient et exprime sa fonction, y compris s’il s’agit d’un « trait natif » qui existait déjà dans la plante, naturellement ou suite à un simple croisement ou autre procédé de sélection traditionnel non brevetable [20]. L’article 27.3.b) de l’ADPIC permet ainsi à l’industrie d’obliger les pays membres de l’OMC d’accepter les brevets qu’elle revendique sur les traits natifs des plantes cultivées. Et lorsqu’un pays n’est pas membre de l’OMC [21], elle introduit ces brevets dans des Accords de Libre Échange bilatéraux ou multilatéraux.
Selon le Traité, aucun brevet ne peut être déposé directement sur les plantes ou les ressources elles-mêmes telles qu’elles sont fournies par le MLS. D’une part l’ATTM [22] interdit tous les brevets qui limitent la recherche ou la sélection. D’autre part le versement d’une ressource au MLS est documenté et permet donc de faire valoir l’absence de nouveauté pour s’opposer à de tels brevets.
Mais les brevets sur les traits natifs n’enfreignent pas ces interdictions car ils sont déposés sur des traits génétiques qui ne sont spécifiques à aucune ressource particulière et qui peuvent donc très facilement avoir été identifiés dans des ressources disponibles hors du MLS. Leur protection s’étend cependant à toute ressource qui contient le trait breveté et exprime sa fonction, y compris, si c’est le cas, aux ressources du MLS qui ne sont pas brevetables en tant que telles. Quand de plus ils prévoient une exception de sélection, comme le nouveau brevet unitaire européen, ces brevets ne limitent pas l’accès facilité, qui ne concerne que l’accès pour la conservation, la recherche, la sélection ou la formation (article 12.3 a) du TIRPAA, mais pas la culture. Ils peuvent donc être déposés aussi par celui qui a reçu du MLS la ressource dont un ou des traits sont brevetés tout en restant conformes à l’article 6.2 de l’ATTM [23]. Cela n’empêche pas ces brevets d’interdire tout accès à cette ressource pour la culture agricole (qui n’est pas, on l’a vu, un des objectifs reconnus de l’accès facilité), y compris aux agriculteurs qui l’ont fournie au MLS.
Divseek transforme ainsi le Traité en un outil de biopiraterie mondiale qui va accélérer la privatisation de toutes les ressources du MLS par les brevets sur leurs « traits natifs ». L’accès à ces ressources sera dès lors conditionné à la négociation de droits de licences, soit directement avec le détenteur d’un tel brevet qui peut toujours refuser ou exiger un prix exorbitant, soit dans le cadre d’un club de brevets qui garantit l’accès, mais ne supprime pas son coût.
2015 : quel choix fera l’Organe directeur du Traité ?
L’Organe directeur du Traité se réunit à Rome du 5 au 9 octobre 2015. Le Protocole de Nagoya offre à chacun des pays membres la possibilité juridique de conditionner l’accès à son marché national aux seules semences accompagnées d’une preuve tangible du respect des obligations de paiement au Fonds de partage des avantages. Le Traité dispose donc d’une nouvelle base juridique lui permettant de contraindre l’industrie à rembourser sa dette chaque fois qu’elle vend des semences dans un pays membre. Il peut aussi conditionner l’accès aux ressources du MLS à l’interdiction de tout brevet sur leurs traits natifs restreignant leur utilisation pour la sélection, la recherche ou la culture agricole. Il peut se retirer de Divseek tant que les brevets sur les traits natifs des plantes ne sont pas interdits. Il peut s’appuyer sur la FAO pour engager des discussions avec l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) afin d’interdire ces brevets au nom de la souveraineté alimentaire. Ses membres peuvent s’appuyer sur l’absence de réexamen de l’article 27.3.b) de l’ADPIC, qui aurait dû être réalisé au plus tard en 1998, pour interdire ces brevets dans leurs propres législations et au niveau international.
La communauté des États réunie au sein de l’Organe directeur choisira-t-elle de défendre la gestion publique multilatérale du patrimoine commun ? Ou acceptera-t-elle sa privatisation par les brevets d’une poignée de multinationales ? Ce choix n’est pas technique, mais politique : il en va de la souveraineté alimentaire, et donc de la souveraineté politique de chaque pays.
[1] Du nom de leur principal promoteur, l’Union pour la Protection des Obtentions Végétales, qui réunit les pays ayant adopté le Certificat d’Obtention végétale (COV) comme outil de protection industrielle des variétés végétales cultivées
[2] Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Alimentation et l’Agriculture qui réunit 130 pays, cf Lutte contre la biopiraterie : le Protocole de Nagoya et le TIRPAA
[3] , « Les brevets à l’assaut des semences », Inf’OGM, 2 juillet 2015
[4] Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce, conclu en 1994 lors de la transformation du GATT en Organisation Mondiale du Commerce (OMC)
[5] en jargon du Traité : « transfert de matériel »
[6] , « Des semences partagées, mais des droits paysans théoriques », Inf’OGM, 29 octobre 2013
[7] Après les lois françaises, allemandes et néerlandaises, le nouveau brevet unitaire européen a introduit une exception de sélection au droit des brevets sur des végétaux
[8] Des pays aussi important que les États-Unis, la Chine, l’Afrique du Sud ou la Russie ne sont pas membres du Traité ce qui permet d’accéder à la majorité des ressources phytogénétiques existantes en évitant le MLS
[9] Les États-Unis ne sont pas membres du Traité
[10] L’organe Directeur du Traité est l’assemblée de l’ensemble des parties contractantes qui se réunit tous les deux ans
[11] , « Le Tirpaa, 10 ans après : l’industrie semencière ne joue pas le jeu… », Inf’OGM, 29 octobre 2017
[12] Les échanges et ventes de semences des systèmes semenciers paysans informels ne sont pas pris en compte
[13] Fonds International de Développement Agricole : le Fida est un partenariat unique en son genre entre les membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), d’autres pays en développement et des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à la gouvernance duquel on reproche souvent l’influence politique dominante de ses principaux bailleurs (Banque Mondiale et pays riches).
[14] Association Internationale des semenciers
[15] , « Les brevets à l’assaut des semences », Inf’OGM, 2 juillet 2015
[16] , « Les brevets à l’assaut des semences », Inf’OGM, 2 juillet 2015
[17] Article 27. 3 : « Les Membres pourront aussi exclure de la brevetabilité : (…)
b) les végétaux et les animaux autres que les micro-organismes, et les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux, autres que les procédés non biologiques et micro biologiques. Toutefois, les Membres prévoiront la protection des variétés végétales par des brevets, par un système sui generis efficace, ou par une combinaison de ces deux moyens. Les dispositions du présent alinéa seront réexaminées quatre_ans après la date d’entrée en vigueur de l’Accord sur l’OMC »
[18] Séquençage génétique dont le coût a été divisé 100 000 fois entre 2001 et 2014
[19] Les nouvelles techniques génétiques, par exemple la mutagénèse assistée par marqueur ou la mutagénèse dirigée, la cisgénèse, l’intragénèse…, permettent de telles modifications
[20] La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a par exemple confirmé en 2005, en réponse aux Pays-Bas qui contestaient la brevetabilité d’éléments isolés du corps humain, que « peuvent faire l’objet d’une demande de brevet les inventions qui associent un élément naturel à un procédé technique permettant de l’isoler ou de le produire en vue d’une application industrielle ».
[21] ce qui est de plus en plus rare puisque 161 pays sont membres de l’OMC sur 193 au total dans le monde
[22] Article 6.2 de l’ATTM : « Le bénéficiaire ne revendique aucun droit de propriété intellectuelle ni aucun autre droit limitant l’accès facilité au matériel fourni en vertu du présent Accord ou à des parties ou composantes génétiques, sous la forme reçue du Système multilatéral ».
[23] Ibid.