Jardiniers : produire et échanger ses semences
Diminution de la biodiversité cultivée, absence de goût des variétés commerciales, refus du monopole des semenciers et restrictions légales dans les échanges : voilà quelques-unes des raisons qui poussent de plus en plus de jardiniers à produire eux-mêmes leurs semences. Détail des enjeux et premiers pas pour agir.
Les beaux jours s’installent, les légumes et autres aromatiques poussent dans les jardins, et il faut déjà songer à renouveler les stocks de semences pour le semis suivant. Mais quelles semences ? La majorité des jardiniers les achètent, souvent dans les jardineries commerciales. Celles-ci revendent les semences de semenciers professionnels, souvent des variétés hybrides (donc très difficilement reproductibles), et généralement des variétés protégées (par un droit de propriété intellectuelle, le COV). Certes, au bout de 25 à 30 ans, selon les espèces, les variétés protégées tombent dans le domaine public. Mais très peu sont maintenues au Catalogue des variétés autorisées et ne peuvent donc être revendues comme semences ou plants.
La biodiversité cultivée aux mains d’un oligopole
Mais à cause du système actuel (privatisation du vivant, critères stricts pour inscrire une variété au Catalogue…), la biodiversité cultivée diminue, et les variétés commercialisées se retrouvent dans les mains d’un très petit nombre d’entreprises semencières, qui fusionnent ou se rachètent à un rythme effréné. Rien que depuis le début 2016 : rachat potentiel de Monsanto par l’allemand Bayer, après celui du suisse Syngenta par le chinois ChemChina et fusion de Dupont et Dow. On comprend deux choses : à ce rythme, seules quelques entreprises contrôleront demain la plupart des semences commerciales, donc notre nourriture ; et elles nous imposeront – ce qu’elles font déjà en partie – les variétés de leurs choix, aux prix qu’elles auront fixés. C’est tout le danger d’un oligopole.
Alors, si l’on souhaite mettre son grain de sable dans ce système semencier digne d’Orwell, il faut agir, et au niveau d’un jardinier, ce n’est pas si difficile. On peut, par exemple, privilégier les achats de semences chez les artisans semenciers, notamment ceux qui sont adhérents du Réseau Semences Paysannes [1]. Ils vous garantiront des semences bio et des variétés librement reproductibles. Que vous pourrez donc gratuitement… reproduire et, par la suite, échanger. En outre, vous aurez la garantie que ces variétés n’ont pas été fragilisées par des méthodes brutales (biotechnologies). La plupart sont proposées car elles offrent une très bonne valeur alimentaire et une excellente saveur.
L’échange, en matière semencière, est la base ancestrale de la biodiversité cultivée. Les agriculteurs ont sélectionné leurs propres semences, qu’ils ont ainsi adaptées à leurs milieux, et ils ont aussi échangé leurs semences et leurs savoir-faire avec leurs homologues. Aujourd’hui, s’ils veulent pouvoir vendre semences et plants, les variétés qu’ils cultivent doivent être inscrites au Catalogue des variétés, national ou européen.
Mais pour les jardiniers amateurs, les espaces de liberté pour faire circuler les semences non commerciales sont plus larges. Un jardinier pourra cultiver puis échanger plus facilement des semences, de variétés inscrites ou non au Catalogue, dès lors que ce n’est pas « en vue d’une exploitation commerciale » [2]. Cette pratique lui permettra, année après année, à l’instar des premiers paysans, d’adapter progressivement les variétés à son terroir ; et d’échanger ses semences avec d’autres jardiniers.
Produire ses propres semences
Ça y est, vous avez envie d’échanger vos semences ? Tout d’abord, il faut les produire. Ce n’est plus un réflexe de récupérer les semences d’un légume pour la saison suivante. Ce réflexe s’est perdu notamment parce que les semences hybrides F1, très généralisées dans les semences commerciales, empêchent une reproduction à l’identique de la variété.
La première étape sera donc de se procurer des semences de variétés non hybrides F1, soit auprès d’un voisin qui reproduit lui-même ses semences, soit chez un semencier artisanal ou encore auprès de jardins conservatoires de variétés anciennes (s’adresser aux Conseils régionaux) ou d’associations (comme Kokopelli). Ces derniers peuvent vendre des graines en petites quantités à condition d’y inscrire une mention telle que, à l’instar de Biau Germe : « ces semences sont destinées à l’autoconsommation ou à tout autre usage non commercial ». Et suivant les espèces concernées, il sera plus ou moins facile de récupérer les semences. Pour de nombreuses espèces (carottes, betteraves, persil…), il faut laisser les plantes pendant deux ans avant qu’elles ne montent en graines. Plusieurs manuels [3] ou sites Internet [4] sont disponibles, et Graine de Troc a mis en ligne une page [5] qui en quelques lignes, espèce par espèce, donne les bases de cette sélection de semences (voir encadré ci-dessous).
Échanger ses semences : comment et avec qui ?
La meilleure solution est sans aucun doute de côtoyer les vieux et/ou les bios du coin, ceux qui ont encore de vielles variétés locales qu’ils seront ravis d’échanger ou de vous donner. On peut aussi se rendre aux nombreuses bourses de graines organisées au printemps, souvent répertoriées sur Internet. Mais à l’heure d’Internet justement, certains ont mis en place des échanges par la poste, comme le site Graine de troc, cité plus haut pour la production de semences. L’animateur du site a également proposé des « grainothèques », boîtes à semences déposées dans les bibliothèques, où chacun peut librement prendre et déposer des semences, après avoir indiqué leur provenance… et son nom. Car l’anonymat pourrait conduire à un risque d’échange de semences non désirées (OGM…). Et soyez prudents : ces semences, produites par des amateurs plus ou moins compétents, sont proposées sans aucune garantie de germination ni de conformité variétale.
Et maintenant ? Il n’y a plus qu’à prévoir vite vos prochains semis, car certaines espèces (carotte, épinards, navets, oignons…) peuvent se semer plus tard dans la saison. Bonne chasse à la semence et bon jardinage.
Conserver des graines de tomates
Choisir une belle tomate bien mûre. La couper en deux horizontalement afin de récupérer la pulpe à la cuillère. Mettre la pulpe avec un peu d’eau (décantée ou minérale) dans un bocal couvert d’un film percé. Laisser fermenter quelques jours dans un endroit tempéré en remuant le soir (…). Jeter à la cuillère la couche flottante, fermentée. Nettoyer les graines à l’eau dans une passoire et bien les égoutter. Laisser sécher les graines étalées sur une assiette ou, mieux, sur une toile, au soleil. La plupart des tomates ne se croisent pas facilement entre elles.
Source : d’après le site Graines de troc
[2] Selon le décret 81-605, « Par commercialisation, on entend la vente, la détention en vue de la vente, l’offre de vente et toute cession, toute fourniture ou tout transfert, en vue d’une exploitation commerciale, de semences ou de plants, que ce soit contre rémunération ou non ».