Fiche technique / Etat des lieux

A quelle sauce seront mangés les OGM ?

Par Inf'ogm

Publié le 31/01/2006, modifié le 08/07/2024

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Le Conseil de l’UE et le Parlement ont adopté diverses normes juridiques (directives, règlements…) qui autorisent et veulent faire coexister les PGM avec les cultures conventionnelles et biologiques. Or ces directives européennes doivent faire l’objet d’une procédure de transposition en droit national, dans un délai donné.

La France a accumulé ces dernières années de nombreux retards en matière de transposition et a fait l’objet de plusieurs condamnations. Afin d’adapter sa législation au droit communautaire, une mission parlementaire a été créée. Cette mission a rendu son rapport, en avril 2005 (1) à la suite duquel un projet de loi réglementant les disséminations dans l’environnement (expérimentales et commerciales) a été rédigé.

Ce dossier se contente de présenter ce projet, qui a déjà provoqué de nombreuses réactions hostiles parmi les organisations agricoles et citoyennes soucieuses de préserver une agriculture et des produits sans OGM.

Le projet de loi français relatif aux OGM a été déposé le 8 février sur le bureau du Sénat. Ce texte a été présenté par M. de Robien, Ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. L’objectif de ce projet de loi est d’adapter le droit français à la réglementation communautaire. Il concrétise ainsi la transposition de deux directives européennes : la directive 98/81/CE relative à l’utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés et la directive 2001/18/CE (cf. encadré page 4) relative à la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement. La transposition de ces directives dans un même projet de loi entraîne certaines interrogations car les deux domaines devraient être mieux séparés, l’un concernant essentiellement des problèmes de recherche très en amont et de production industrielle, l’autre concernant essentiellement des choix agronomiques. Les principes généraux du droit présidant à la gestion de ces deux domaines ne sauraient en effet être équivalents.

Le retard français dans la transposition a provoqué la condamnation de la France par la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE), qui a procédé un à “recours en manquement” (cf. encadré ci-dessous).

Résultat : pour la directive 90/219, une procédure (2) a été engagée selon l’article 228, la Commission a saisi la CJCE le 1er février 2006 afin qu’elle prononce une astreinte s’élevant à 168 800 euro par jour. Cette sanction sera effective le jour de la condamnation de la France par la CJCE qui n’a pas encore rendu sa décision. Pour la directive 98/81, la France, n’ayant effectué qu’une transposition partielle, a été condamnée à se con-former à ses obligations de transposition une première fois (article 226) par la CJCE.

Pour la directive 2001/18, une procédure a été également engagée selon l’article 226 : le 15 juillet 2004, la CJCE a constaté l’inexécution des obligations françaises, ce qui rend l’Etat attaquable en cas de préjudice personnel.

Objectifs et calendrier

Le projet de loi, présenté par le Ministère de la Recherche et de l’Education Nationale, a été adopté le 2 février 2006 en conseil des ministres après que le Conseil d’Etat ait été consulté. Il a ensuite été déposé le 8 février sur le bureau du Sénat. Il est examiné par la Commission économique des affaires et du plan qui a nommé, le 22 février, le sénateur Jean Bizet comme rapporteur du projet au Sénat. Sur la base du rapport qui sera rendu (le 15 mars sous réserve), des amendements pourront être déposés jusqu’au 20 mars. Le projet de loi fera alors l’objet d’une discussion en séance publique (les 21, 22, et 23 mars). Un vote sera ensuite émis sur ce projet qui sera déposé sur le bureau de l’Assemblée Nationale où la même procédure sera mise en œuvre (pas de calendrier prévisionnel à ce jour). Cette procédure peut se prolonger si les deux assemblées n’adoptent pas la loi dans les mêmes termes. Dans cette hypothèse, une seconde lecture interviendra au Parlement. La procédure peut également être écourtée si le gouvernement déclare l’urgence : une commission mixte paritaire sera alors convoquée pour hâter l’adoption d’un compromis qui sera ensuite soumis à approbation du Parlement (3).

Les objectifs mis en avant par le Ministre sont l’adaptation à la réglementation communautaire, la réforme du système d’expertise et la création d’un fonds de compensation. Cependant, dans le cadre de cette loi précisément, le projet ne fait aucunement référence à l’objectif d’assurer la liberté de choix des consommateurs ou encore au principe de coexistence supposé l’assurer.

Ce projet de loi modifie différents articles des codes composant la législation française. La réglementation en matière d’OGM est en effet “disséminée” entre quatre différents codes : celui de l’environnement, le rural, celui de la consommation et celui de la santé publique. Ils permettent de regrouper de manière hiérarchisée différents textes normatifs (ex : lois, décrets, arrêtés…) sur une matière et offrent ainsi une vision globale du domaine concerné.

Mais le Parlement n’est pas le seul compétent pour adopter toutes les règles de droit édictées dans ce projet. En effet, les rédacteurs de ce projet précisent que certains points particuliers seront définis par décret (simple ou après avis conforme du Conseil d’Etat). Ce sont, dans ces hypothèses, des actes réglementaires pris par le pouvoir exécutif, en général le premier ministre. Le Parlement, et plus particulièrement l’Assemblée Nationale, représentante du peuple, n’est donc pas consulté dans cette hypothèse (4).

Le droit à l’information et la consultation du public est-il maintenu ?

La directive 2001/18/CE a pour objectif d’instaurer “un cadre législatif complet et transparent” qui passe par la mise en œuvre de règles contraignantes.

Le projet de loi modifie la définition du droit à l’information et la consultation du public (5). Ainsi on passe d’un droit à être informé sur les effets pour la santé ou l’environnement de la dissémination volontaire, à une information sur les autorisations de ces disséminations.

Un point important est maintenu concernant les informations qui pourront être classées comme confidentielles. La directive 2001/18 énumère un nombre restreint d’informations qui doivent être rendues publiques : la description générale du ou des organismes génétiquement modifiés, le nom et l’adresse du demandeur, le but de la dissémination, le lieu de la dissémination, l’utilisation prévue des OGM, les méthodes et plans de surveillance des OGM et d’intervention en cas d’urgence, l’évaluation des risques pour l’environnement.

Par exemple, l’évaluation des risques pour l’environnement est une information qui ne peut être confidentielle alors que les études de toxicologie pourraient l’être, distinction qui existait dans l’avant projet. Dans le projet présenté au Sénat, cette distinction a disparu : la liste des études qui ne pourront pas être déclarées confidentielles sera établie par décret ministériel. Ce serait alors une atteinte au droit à l’information des citoyens au regard de l’opinion de la Commission européenne qui penche en faveur d’une plus grande transparence des informations (6). Ceci étant, le choix de la confidentialité ou non des informations revient aux Etats membres. Ce projet de loi n’est pas explicite sur ce point. Il précise par contre que l’exploitant a la possibilité de ne pas divulguer certaines informations après avis de l’autorité administrative.

Enfin, concernant les déclarations de mises en culture de plantes transgéniques à visées commerciales, les informations obligatoires prévues par la directive 2001/18 ont été traduites par l’article 20, qui précise “toute personne cultivant des organismes génétiquement modifiés doit déclarer auprès de l’autorité administrative les lieux où sont pratiquées ces cultures”. Sans plus de détail sur la futur existence d’une tenue de registre et la nature des informations qui seront rendues publiques.

OGM, nouvelle définition

Dans le chapitre premier du code de l’environnement, les auteurs définissent ce qu’est un OGM et les produits qui sont exclus de cette notion. Le projet de loi complète la liste des produits GM qui ne sont pas soumis à cette réglementation :


 dans la loi actuelle, ce sont les OGM obtenus par des techniques qui ne sont pas considérées, de par leur caractère naturel (7), comme entraînant une modification génétique ou par celles qui ont fait l’objet d’une utilisation traditionnelle (8) sans inconvénient avéré pour la santé publique ou l’environnement.


 la modification étend cette exemption aux utilisations confinées d’OGM à des fins de production industrielle (régies par l’article L. 513-15 du code de l’environnement). Il est également prévu que la liste des techniques, actualisée et fixée par décret, soit visée par le conseil des biotechnologies.

Sur l’utilisation confinée des produits composés en tout ou partie d’OGM – La classement de confinement est effectué en fonction du groupe du produit et des caractéristiques de l’opération (décret après avis du conseil des biotechnologies). Les mesures de confinement prévues correspondent à des barrières physiques, chimiques ou biologiques. La transposition prévoit qu’une utilisation confinée d’OGM pourra être effectuée suite à une simple déclaration et non plus un agrément si l’évènement a déjà été autorisé (actuellement, les agréments sont donnés pour chaque essai en champs, que l’évènement ait été autorisé ou non). Donc, une certaine lecture peut laisser croire que les essais sont dans certains cas soumis à une simple déclaration préalable si l’utilisation de produits composés en tout ou partie d’OGM présentent un risque nul ou négligeable pour la santé publique ou l’environnement.

La dissémination volontaire à des fins expérimentales ou commerciales est soumise à autorisation délivrée après évaluation des risques directs ou indirects, immédiats ou différés pour la santé et l’environnement.

Un seul organe d’expertise scientifique

Les organes compétents en matière d’expertise font l’objet d’une fusion avec la création du conseil des biotechnologies.

La phase d’évaluation des risques est au cœur de la réglementation européenne sur les OGM, elle doit notamment être indépendante, objective et transparente (9). Chaque Etat membre doit donc mettre en place un dispositif efficace en érigeant des règles procédurales pour que l’expertise scientifique soit confiée par l’autorité publique compétente à des experts scientifiques et fondée sur les principes d’excellence, d’indépendance et de transparence (10).

Le nouveau “Conseil des Biotechnologies” sera composé de deux sections : une section scientifique et une section économique et sociale. Il résulte de la fusion des trois anciens comités existant : la commission de génie génétique (CGG), la commission d’étude de la dissémination des produits issus du génie biomoléculaire (CGB) et le Comité de biovigilance (dont le décret de création n’a jamais été publié). Il est principalement constitué de représentants scientifiques qui sont présents dans la section scientifique ainsi que dans la section économique et sociale. Cette omniprésence est étonnante et peut entraîner certaines dérives. De plus ces personnalités scientifiques sont omnipotentes puisqu’elles ont compétences dans de nombreux domaines (évaluation des risques en matière d’OGM confinés et disséminés, pouvoir de recommandation, consultation dans le cadre de l’examen des demandes d’autorisations). Ce conseil sera financé grâce notamment aux droits fixes versés par l’exploitant de cultures transgéniques.

La conception restrictive de la responsabilité

L’exploitant mettant en culture une variété GM est responsable de plein droit du préjudice économique (dépréciation résultant de la différence entre le prix de vente du produit de la récolte soumis à l’obligation d’étiquetage et celui d’un même produit non soumis à cette obligation) subi par un autre exploitant agricole résultant de la présence fortuite d’OGM dans la production de ce dernier.

Mais quatre conditions sont instaurées :

1) le produit de la récolte, dans laquelle la présence de la variété concernée est constatée, était destiné, lors de la mise en culture, soit à être vendu en tant que produit non soumis à l’obligation d’étiquetage, soit à être utilisé pour l’élaboration d’un produit non soumis à étiquetage ;

2) l’étiquetage du produit de la récolte est rendu obligatoire (car contenant plus de 0,9% d’OGM) ;

3) le produit de la récolte est issu d’une parcelle située à proximité d’une parcelle de la variété génétiquement modifiée concernée ;

4) le produit de la récolte a été obtenu au cours de la même campagne de production que celle de la variété GM concernée.

L’indemnisation du dommage économique est faible au regard des possibles conséquences d’une contamination. En effet, seule la différence entre deux prix (culture avant la contamination et culture transgénique) sera prise en compte alors que les conséquences pour un agriculteur biologique pourraient être bien plus importantes. En effet, le fait d’accepter un seuil de contamination de 0,9% entraîne de fait des conséquences négatives pour les agriculteurs respectant un strict cahier des charges. Ainsi les agriculteurs travaillant sous un label comme les bio, ne pourront plus maintenir leur réglementation actuelle qui est basée sur un seuil strict égal à 0% de contamination. La Commission est explicite sur ce point puisque dans sa recommandation de 2003 (11) elle déclare que les lots semences contenant un seuil inférieur au seuil autorisé (0,9%) peuvent être utilisés pour l’agriculture biologique étant donné que le règlement relatif à ce domaine n’a pas fixé de seuil spécifique. Par ailleurs, une contamination inférieure à 0,9% l’année de la récolte peut parfaitement se traduire par une contamination supérieure à 0,9% l’année suivante si l’agriculteur ressème ses propres variétés : il ne sera alors pas indemnisé. Les conditions d’indemnisation énoncées sont donc contraignantes vis-à-vis de l’agriculteur contaminé.

La création d’un fonds de garantie : déresponsabilisation des agriculteurs cultivant des OGM ? – L’agriculteur cultivant des OGM a l’obligation de souscrire une garantie financière destinée à couvrir sa responsabilité civile. Si cette obligation n’est pas respectée, la garantie financière résulte du versement d’une taxe au fonds de garantie.

Ce fonds de garantie, créé pour 5 ans, est géré par l’Office National Interprofessionnel des Grandes Cultures (ONIC), et doit indemniser l’exploitant agricole victime d’un préjudice. Il sera alimenté par une taxe due par les exploitants cultivant des PGM s’ils n’ont pas souscrit un contrat d’assurance lors de chaque mise en culture (12). Le montant de la taxe sera fixé par décret et ne pourra excéder 100 euro par hectare de la variété. L’exploitant victime d’un préjudice dû à une contamination doit, pour pouvoir saisir l’ONIC, respecter les deux premières conditions énoncées : récolte destinée à la mise sur le marché et contamination supérieure au seuil de 0,9%.

L’agriculteur victime devra alors apporter la preuve de l’existence d’un dommage et le lien de causalité entre la culture transgénique voisine et la contamination du champ. Si une faute de l’exploitant victime contribue à la réalisation du préjudice, il ne pourra pas demander d’indemnisation. Cependant la notion de faute de la victime soulève de nombreuses interrogations qui seront a priori tranchées par le juge. L’ONIC après instruction du dossier présentera une offre d’indemnisation qui vaut transaction (contrat qui termine une contestation née ou à naître). L’exploitant victime ne pourra agir en justice (devant le TGI) contre l’ONIC que si sa demande d’indemnisation est rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée ou s’il n’a pas accepté l’offre qui lui a été faite. L’ONIC pourra ensuite se retourner contre l’assureur de l’exploitant responsable du dommage ou directement contre ce dernier s’il n’a pas respecté les conditions.

D’autres lacunes : surveillance, coexistence…

Le rapport de surveillance établi par le titulaire de l’autorisation, juge et partie – Après la mise sur le marché, c’est le titulaire de l’autorisation qui établit ses rapports de surveillance. En cas de modification intentionnelle ou non de la dissémination volontaire à titre expérimental, il doit prendre des mesures de nature à protéger l’environnement et la santé.

Si un OGM autorisé à la dissémination volontaire présente un risque, l’autorité administrative peut, aux frais du titulaire de l’autorisation ou des détenteurs des produits, ordonner plusieurs mesures après avoir entendu le titulaire (sauf urgence).

Les mesures de coexistence fixées par arrêté – Le Ministre de l’agriculture fixe des conditions techniques de mise en cultures des plantes GM à des fins de mise sur le marché qui limitent la dissémination accidentelle d’OGM dans d’autres productions. Le contrôle est réalisé par les ingénieurs chargés de la protection des végétaux, assistés de techniciens des services du Ministère de l’agriculture et des autres personnels qualifiés du Ministère de l’agriculture ayant la qualité de fonctionnaires ou d’agents de l’Etat. Les règles de coexistence seront établies par un acte réglementaire (arrêté) sur lequel le Parlement n’aura pas à se prononcer.

Les gènes de résistance aux antibiotiques : un sujet sensible – Aucune autorisation ne sera accordée à partir du 1er janvier 2009 pour les disséminations volontaires à toute autre fin que mise sur le marché d’OGM (recherche, enseignement) et du 31 décembre 2004 pour les autres, utilisés pour les traitements médicaux et vétérinaires et dont l’évaluation des risques conclut qu’ils ont des effets préjudiciables pour la santé ou l’environnement (prévention).

Ces conditions cumulatives ne reflètent pas les dispositions de la directive qui impose d’éliminer des OGM les marqueurs de résistance aux antibiotiques qui sont susceptibles d’avoir des effets préjudiciables pour la santé et l’environnement (précaution).

A l’heure où deux tribunaux (Orléans, décembre 2005 et Versailles, janvier 2006) relaxent les faucheurs volontaires au nom de l’état de nécessité, le gouvernement propose d’inclure un article dans cette loi où il précise que la destruction, la dégradation ou la détérioration d’OGM est punie par le code pénal.

Les entreprises de biotechnologies, elles ont peu communiqué sur le sujet, comme en témoigne l’absence d’information à ce sujet sur leur site internet. Alors que de nombreux acteurs, associations environnementalistes (13), syndicats agricoles (14), association de défense des consommateurs, mais aussi de nombreux élus, ont réagi vivement contre ce projet de loi. Pour eux, il “instaure un véritable droit à disséminer”. Ils notent l’absence du mot “précaution” dans ce texte alors que la directive 2001/18 précisait clairement que la transposition devait se faire dans l’esprit du principe de précaution. Et ils rappellent aussi que ce principe a été adossé à la Constitution française dans le cadre de la Charte de l’Environnement. Certains envisagent d’attaquer ce texte pour anticonstitutionnalité.

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