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Sommé de retirer son article scientifique par le journal qui l’a publié, Séralini refuse

Par Eric MEUNIER

Publié le 29/11/2013

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Mise à jour : si l’éditeur Elsevier a annoncé, le 28 novembre 2013, le retrait de l’article de Gilles-Eric Séralini [1], cet article est toujours accessible en ligne à l’heure de publication de notre article.

Le 19 novembre 2013, la revue Food and Chemical Toxicology a écrit au Pr. Gilles-Eric Séralini pour lui demander de retirer son article, publié en septembre 2012, relatif aux impacts sanitaires du maïs NK603 et de l’herbicide RoundUp [2]. A défaut d’acceptation par le scientifique français, le journal précise qu’il opèrera lui-même ce retrait et publiera une note explicative de ce retrait. A l’appui de sa décision, le rédacteur en chef A. Wallace Hayes fait valoir des résultats non concluants. Gilles-Eric Séralini a d’ores et déjà répondu qu’il refusait une telle décision et prépare une possible action en justice [3].

En septembre 2012, l’équipe du Professeur Séralini publiait un article dans le journal Food and Chemical Toxicology qui faisait état d’impacts sanitaires du maïs NK603 et de l’herbicide RoundUp sur des rats en ayant consommé durant deux ans. Si ce travail a fait l’objet d’un feu nourri de critiques sur son protocole et la nature des rats utilisés, la revue internationale a longtemps défendu la publication de l’article de G.-E. Séralini et de ses collègues. Dans une tribune du 16 octobre 2012 (seule et unique tribune disponible sur son site), le journal expliquait que « la procédure normale de relecture par des pairs a été appliquée à l’article de Séralini. Cet article a été publié après une révision anonyme et objective » [4]. Suite aux critiques reçues, le journal avait publié les courriers faisant état des reproches faits au travail de Séralini, accompagnés d’une réponse de l’auteur. Il fut ensuite indiqué que le journal pourrait être amené à considérer des changements à opérer dans sa procédure de relecture. Aucune mention n’avait été faite alors d’un éventuel retrait de l’article.
Les critiques portées à l’étude concernaient quatre points : la race des rats utilisés, leur nombre, leur régime alimentaire et l’outil statistique utilisé. Une analyse croisée de ces critiques montrait pourtant que si elles étaient considérées comme valables pour l’étude de G.-E. Séralini, elles devaient l’être également pour les protocoles de l’OCDE (qui édicte les « bonnes pratiques de laboratoires ») ainsi que pour tous les dossiers déposés par les entreprises pour obtenir les autorisations commerciales de leurs PGM [5]. Mais tel ne fut pas le cas et les critiques restèrent concentrées sur le travail de Séralini. Pourtant, un des deux sous-comités du Haut conseil des biotechnologies (HCB) ainsi que l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) convenaient que cet article révélait une lacune importante dans la littérature scientifique : l’absence d’études à long terme des impacts sanitaires des OGM. En 2013, la France et la Commission européenne publiaient chacune un appel d’offre pour pallier ce manque [6]. D’aucuns auraient pu croire que ce qui était devenu « l’affaire Séralini » allait en rester là.

Mais le 19 novembre dernier, le journal écrivait à G.-E. Séralini pour lui demander de retirer lui-même son article. A défaut, le journal s’en chargerait en publiant un texte d’explication. Si le rédacteur en chef souligne l’absence de fraude ou de malhonnêteté, il évoque cependant des soucis avec le nombre de rats utilisés et la souche choisie (des rats Sprague-Dawley). Ce nombre de rats avait initialement été identifié comme une limite de l’article, mais la décision de publication avait malgré tout été prise eu égard au « mérite » du travail. Une limite donc mais pas rédhibitoire. Mais le journal considère aujourd’hui que « une analyse plus avant des données brutes montre qu’aucune conclusion définitive ne peut être tirée avec [ce petit nombre de rats] », la souche de rats utilisés développant par ailleurs spontanément des tumeurs. En clair, le journal a changé d’avis plusieurs mois après avoir publié l’article. A l’heure où nous publions le présent article, le papier de G.-E. Séralini est toujours accessible en ligne sur le site de la revue [7]. Interrogée par Inf’OGM, cette dernière ne nous a pas encore répondu sur le calendrier qu’elle compte suivre.

Questionner la souche de rats (pourtant recommandée à la fois par l’OCDE [8] et le programme national de toxicologie aux États-Unis) mais surtout le nombre de rats utilisés pour une étude à deux ans revient à questionner la puissance statistique des articles présentés pour publication. Or, l’insuffisance de la puissance statistique reprochée à Séralini est un reproche qui pourrait concerner de nombreuses autres publications – notamment celles publiées par le journal Food and Chemical Toxicology selon G.-E. Séralini -, mais également les dossiers présentés par les entreprises pour obtenir l’autorisation de commercialiser leurs OGM. En 2011, l’adoption par l’AESA de nouvelles lignes directrices sur la puissance statistique justement rendait caduque nombre de ces dossiers sinon tous. Mais il avait alors été précisé que ces nouvelles lignes directrices ne s’appliquaient pas rétroactivement. Pour en revenir au journal Food and Chemical Toxicology, sa décision prise sur l’article Séralini devrait donc s’appliquer aussi à d’autres articles publiés dans ses colonnes, suite à des puissances statistiques insuffisantes. Parmi ceux-ci, les articles de Hammond qui, selon G.-E. Séralini, servent de base à Monsanto pour ses dossiers de demande d’autorisation.

La Fondation Sciences Citoyennes (FSC) souligne dans un communiqué de presse que « début 2013, un fait particulièrement troublant est intervenu à [Food and Chemical Toxicology] avec la nomination, comme rédacteur en chef adjoint, d’un certain Richard E. Goodman […] chargé plus spécifiquement des biotechnologies » [9]. Et FSC de détailler les états de service de R. Goodman : « professeur de l’Université du Nebraska et spécialiste des allergies alimentaires, mais également employé chez Monsanto de 1997 à 2004, ayant publié des articles scientifiques pour le compte de cette entreprise, et très impliqué dans les activités de l’ILSI (International Life Science Institute), un lobby mondial déguisé en association de promotion scientifique, financé par les industries agro-chimiques et agro-alimentaires fabricantes d’OGM ».

Pour FSC, « cette affaire confirme une fois de plus la force du lobbying de l’industrie des OGM qui s’inscrit dans la durée ». Il peut paraître étonnant qu’un an après, alors que l’engouement médiatique autour de cet article s’est calmé, le journal Food and Chemical Toxicology prenne le risque de le relancer. A croire que l’existence même d’articles scientifiques faisant état d’impacts possibles sur la santé des OGM est plus problématique que le risque de raviver la polémique sur ce même sujet. En octobre 2012, les éditeurs de Food and Chemical Toxicology écrivaient que « préserver une indépendance éditoriale et un système robuste de révision par des pairs est évidemment crucial » [10]. Si la nomination de R. Goodman fait douter aujourd’hui de l’indépendance de la revue, le retrait de l’article de G.-E. Séralini questionnerait fortement la robustesse de ses procédures et, dès lors, devrait conduire à envisager le retrait des articles publiés sur le sujet OGM et santé, par exemple celui de Zhu et al., publié dans le même numéro et critiqué par le statisticien du HCB Marc Lavielle sur la formulation des conclusions [11]. Nombre d’entre eux servant de base aux dossiers de demande d’autorisation des OGM, une telle décision semble néanmoins peu probable.

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