Détection des OGM – imparfaite et couteuse
Pour rendre applicables les lois sur l’étiquetage des OGM, les pays européens doivent se doter de méthodes normalisées de détection des OGM. L’AFNOR – Association française de normalisation – doit rendre un document de référence fin novembre. Mais “le problème de fond actuel pour les laboratoires impliqués dans la détection d’OGM est la difficulté d’avoir accès aux informations (constructions des transgènes) et aux matériels (sondes, amorces spécifiques, standards OGM et non-OGM…) nécessaires, y compris pour les OGM autorisés en Europe”, affirme David Zhang du GEVES. Sur la question du seuil, les scientifiques son unanimes : “Garantir un lot totalement vierge d’OGM nous semble une utopie scientifique car, comme pour toute analyse, il y a la notion de seuil de détection qui s’applique aux OGM comme, par exemple, à toute analyse de contaminant : on peut dire « inférieur à » ou « non détecté au seuil de » mais pas « absence garantie d’OGM » » affirme ainsi François Vigneau, chef du Département chimie d’un laboratoire privé d’analyses.
Détection des OGM : coûteuse et imparfaite !
Le législateur européen n’autorise qu’au compte-gouttes les variétés
transgéniques (certaines d’ailleurs seulement autorisées à l’importation
mais pas à la culture en Europe) pour lesquelles il définit, de plus, des
règles strictes d’étiquetage (1). Mais cet arsenal législatif est aujourd’
hui difficilement applicable : on ne dispose en effet d’aucune méthode
normalisée de détection des OGM, d’où des discordances possibles de
résultats entre laboratoires ! Dès lors, comment contrôler efficacement l’
entrée en Europe d’OGM non autorisés ? Comment détecter des OGM dans les
produits alimentaires ? Pourquoi imposer des seuils de « présence fortuite »
au consommateur ?
Différents comités d’experts se penchent sur la question. En France, une
commission de l’AFNOR, présidée par Yves Bertheau de l’INRA (et intégrée par
des acteurs de la filière, dont les associations de consommateurs.), devrait
publier à l’automne 2000 un texte de référence.
« Nous ne sommes pas en mesure de détecter des OGM dont nous ne connaissons
pas les modifications génétiques » souligne Emmanuel Gachet du laboratoire
privé d’analyses Eurofins Scientific à Nantes. En effet, « le problème de
fond actuel pour les laboratoires impliqués dans la détection d’OGM est la
difficulté d’avoir accès aux informations (constructions des transgènes) et
aux matériels (sondes, amorces spécifiques, standards OGM et non-OGM…)
nécessaires, y compris pour les OGM autorisés en Europe » confirme David
Zhang du GEVES. Est-ce à dire qu’aujourd’hui n’importe quel OGM entre en
Europe sans contrôle ?
On ne trouve que ce que l’on cherche
Pas tout à fait, on l’a vu récemment avec l’affaire des colza, maïs et soja
contaminés en France. Mais pour ces quelques lots détectés, combien d’autres
contiennent des OGM à l’insu du producteur ? Et combien de produits
alimentaires contenant des OGM échappent à l’étiquetage malgré la
législation européenne en vigueur ?
Certes, plaide Yves Bertheau, « l’Etat ne peut pas mettre un gendarme ou un
contrôleur derrière chaque fabricant ou chaque importateur ». Mais la
fréquence et l’ampleur des contrôles sont-elles suffisantes ? En septembre
1999, les analyses scientifiques réalisées par la DGCCRF faisaient
apparaître que sur 62 prélèvements, 12 échantillons contenaient des OGM. Or
dix de ces 12 denrées ne comportaient aucune indication à ce sujet sur leur
étiquette. Un produit revendiquait même à tort l’absence d’OGM et un seul
produit mentionnait la présence d’OGM. Depuis, la situation ne semble guère
avoir évolué !
Comme dans bien d’autres aspects concernant les OGM (impacts sur la santé,
sur l’environnement, responsabilités des producteurs, implications
économiques, éthiques.) les textes de loi et les réglementations ont été
édictées avant que les moyens techniques permettant de les appliquer ne
soient opérationnels !
« La commission AFNOR V03E a travaillé au pas de charge pour fournir un
document qui participe à la réduction des discordances de résultats entre
laboratoires » plaide encore Yves Bertheau. « Si la prochaine réunion AFNOR
en septembre entérine le texte travaillé ces derniers mois, un document
général, en cours de finition, devrait être publié à l’automne ».
Mais les discussions entre experts sont ardues, parce que le sujet est en
soi très complexe : quelle quantité d’échantillon doit-on prélever ? Comment
rendre compatibles des méthodes qui s’appuient sur l’analyse des protéïnes
et sur celle des acides nucléïques ? Détection qualitative, détection
quantitative, le tout à des coûts raisonnables. Il faut aussi harmoniser ces
méthodes d’abord au niveau européen (dans deux ans ?) puis international (la
France demande la présidence de la commission ISO récemment saisie sur le
sujet).
Un seuil économique ?
Tout ce travail pourra-t-il garantir à terme une absence d’OGM dans un
produit donné ? » Garantir un lot totalement vierge d’OGM nous semble une
utopie scientifique car, comme pour toute analyse, il y a la notion de seuil
de détection qui s’applique aux OGM comme, par exemple, à toute analyse de
contaminant : on peut dire « inférieur à » ou « non détecté au seuil de » mais
pas « absence garantie d’OGM » » répond François Vigneau, chef du Département
chimie d’Eurofins Scientific. Alors, le jeu en vaut-il vraiment la chandelle
? » Toute méthode analytique (biologique, chimique, physique) peut au mieux
fournir un résultat négatif avec un certain seuil de quantification et un
certain degré de confiance qui variera avec l’échantillonnage, la taille de
prise d’essai, la technique de détection / identification /
quantification… A un moment donné c’est plus un problème économique et
individuel que technique : qu’est-on prêt à « payer » (tant au sens figuré que
propre) pour s’assurer qu’il n’y a pas de dioxine, de mycotoxine, de
Listeria ou d’OGM dans sa nourriture ou son environnement ? « s’interroge
Yves Bertheau. Peut-être faut-il compléter la question : » Qu’est-on prêt à
payer ? « avec cette autre question : » Qui va payer ? « .
Car ces surcoûts, externes à la production, ne sont jamais pris en compte
dans le calcul de la rentabilité des OGM : quel gain de rendement faut-il
vraiment obtenir pour couvrir tous ces frais, d’abord de mises au point de
méthodes de détection, puis d’échantillonnages permanents d’une multitude de
lots de semences ou de produits transformés ? Encore une fois, on réalise
que le choix de la voie transgénique conduit à des dépenses de recherche qui
ne seront guère utilisées pour d’autres types d’alternatives plus durables.
Faux, rétorque Yves Bertheau, cette recherche » constitue un modèle et aura
certainement des répercussions intéressantes dans l’ensemble de
l’agro-alimentaire « . Mais il reconnaît cependant que « la normalisation
n’est pas une des missions de l’INRA. Une fois défini le cadre général des
méthodes de détection », il démissionnera de la présidence de cette
commission : « nous nous recentrerons sur nos missions » conclut-il. Comme
par exemple le développement de l’agriculture biologique ou des produits de
terroirs ?
(1) règles issues du règlement 258/97/CE pour les nouveaux aliments et
ingrédients, et du règlement 1139/98/CE, modifié récemment par le 49/2000/CE
Frédéric Prat
31/08/2000