Actualités

Pour la France, la quasi totalité des OGM sont traçables

Par Eric MEUNIER

Publié le 25/03/2021

Partager

Dans sa réponse à un questionnaire adressé par la Commission européenne aux États membres, la France précise sa position sur une réglementation possible des produits obtenus par des nouvelles techniques de modification génétique, dont sont issus ce que d’aucuns ont baptisé nouveaux OGM. On apprend ainsi que seuls certains OGM seraient difficilement détectables et traçables. Pour le gouvernement, l’Union européenne doit mettre en place un programme de recherche ambitieux sur cette question !

En juillet 2018, la CJUE a clarifié le statut juridique des produits obtenus par les nouvelles techniques de modification génétique en rappelant que les techniques de modification génétique n’ayant pas d’historique d’utilisation sans risque donnent des OGM réglementés. Un an plus tard, le Conseil de l’Union européenne a demandé à la Commission une étude sur le statut légal de ces OGM puisque des discussions avaient encore lieu sur la mise en œuvre de l’arrêt de la CJUE. Le 30 avril 2021, la Commission européenne rendra cette étude au Conseil. Pour la réaliser, la Commission a questionné les États membres et certaines parties prenantes triées sur le volet pour connaître leurs positions, analyses ou informations sur le sujet. La France a répondu à ce questionnaire dans un document daté de juin 2020 qu’Inf’OGM a pu se procurer récemment. Les réponses concernent des aspects pratiques comme les mesures nationales prises pour encadrer les OGM réglementés non transgéniques suite à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en juillet 2018 [1] ou les réflexions sur la capacité à détecter et tracer ces mêmes OGM. Dans une seconde partie, qui fera l’objet d’un prochain article, la France liste les avantages et inconvénients liés à l’utilisation même de ces nouvelles techniques comme ceux liés aux brevets qui y sont rattachés.

Des mesures nationales prises ou envisagées

À la question sur les mesures prises en France depuis 2018, le document se penche d’abord sur le cas des micro-organismes, seuls OGM à avoir fait l’objet d’une action par le gouvernement. Nous apprenons ainsi que les formulaires de déclaration d’utilisation confinée d’OGM ont été modifiés afin de pouvoir identifier plus précisément si des techniques de modification génétique à base de nucléases (protéines coupant l’ADN) ont été utilisées. Mais le gouvernement estime que l’encadrement réglementaire des OGM obtenus par les techniques nommées de « mutagénèse dirigée« , dans son document, alourdira les obligations administratives des laboratoires. Il envisage donc une simplification de la procédure réglementaire pour certains micro-organismes génétiquement modifiés.

Pour ce qui est de la dissémination d’OGM dans l’environnement, le gouvernement indique étudier une modification de la législation nationale pour élargir le champ d’application de la réglementation nationale OGM aux produits obtenus par certaines techniques de mutagénèse. Il renvoie ici à l’arrêt du Conseil d’État de février 2020 que le gouvernement français a traduit via des projets de décret et d’arrêtés mais n’a toujours pas mis en œuvre [2].

L’inscription au catalogue des variétés est également concernée. La France rappelle d’abord qu’il est obligatoire de déclarer si la variété relève de la réglementation OGM comme dans le cas de variétés issues de nouvelles techniques de mutagénèse. Une copie de l’autorisation obtenue au niveau européen est évidemment à fournir. Il est surtout précisé que le Comité technique permanent de la sélection (CTPS) a établi une typologie des modes d’obtention des variétés. On apprend donc que les formulaires de demande d’inscription de nouvelles variétés au catalogue sont modifiés progressivement pour renseigner les origines de la variabilité génétique obtenue dans ces variétés. Mais cette déclaration n’est pas encore aussi précise que le fut un arrêt du Conseil d’État en février 2020, de même qu’elle n’est pas obligatoire et a été mise en place pour une phase test de deux années [3]. Le gouvernement ajoute, à destination de la Commission, qu’il estime utile que ce dispositif de déclaration, volontaire rappelons-le, soit étendu au niveau européen.

La problématique de la détection / traçabilité

Selon le préalable fourni par le gouvernement, l’absence d’information sur la mutation réalisée rendrait impossible sa détection dans la plupart des cas. Il estime de même que si des individus sauvages ou mutés de la même espèce ont la même mutation, distinguer l’origine de cette mutation serait quasiment impossible. Pourtant, le même gouvernement se montre moins affirmatif dans la suite de sa réponse avant de conclure par un appel à la Commission européenne à mettre en place un important programme de recherche sur ce sujet pour le moins controversé. Cette demande de la France trouve une illustration fournie par le gouvernement lui-même dans sa réponse sur la question épineuse de savoir s’il est possible de différencier une mutation obtenue par Crispr d’une mutation apparue naturellement. Le gouvernement apporte une référence scientifique montrant que celles obtenues par Crispr peuvent présenter des caractéristiques différentes de celles générées par le biais d’agents mutagènes ou qui se produisent naturellement dans la nature [4].

Inf’OGM a déjà expliqué que les problématiques de détection et traçabilité des OGM se posent principalement, sinon uniquement, pour les OGM non autorisés commercialement dans l’Union européenne. Car dans les cas ou l’OGM est autorisé, un protocole de détection et de traçabilité propre à l’OGM a été fourni. Sur la base de deux rapports de ses comités d’experts nationaux (un de l’Anses que la France indique avoir transmis à la Commission européenne en septembre 2018, l’autre du Haut Conseil des biotechnologies de 2017) et d’un rapport des experts européens de 2019, la France différencie trois situations face à des OGM non autorisés (voir encadré ci-dessous). Pour le gouvernement, seul les cas de dissémination illégale d’OGM mutés réglementés serait techniquement difficile sinon impossible à détecter, si d’aventure aucune information sur cet OGM n’était disponible nulle part. Un cas de figure a priori peu courant…

Finalement, le gouvernement estime que l’Union européenne devrait initier un programme de recherche qui aurait pour mission de lister les caractéristiques des différentes techniques qui apporteraient des informations sur les modifications génétiques obtenues. Il semble d’ailleurs avoir déjà quelques idées de contenu. Il détaille ainsi qu’une approche multidisciplinaire regroupant des laboratoires travaillant sur la plasticité des génomes, sur la détection d’OGM ainsi que sur des technologies de l’information, pourrait être entreprise. D’une manière plus générale, l’idée serait de collecter les informations disponibles sur les potentielles modifications apportées aux génomes et mettre en place les outils permettant de les détecter et de les différencier de modifications naturelles. Le gouvernement français rappelle d’ailleurs à la Commission européenne le rôle qu’elle pourrait jouer dans cette collecte en engageant des discussions avec d’autres pays tiers pour caler au mieux les transmissions d’informations nécessaires à la détection de ces OGM en Europe. En effet, souligne le gouvernement, même pour les produits qui ne sont pas réglementés comme des OGM, des données sont disponibles auprès des autorités de ces pays.

Un flou législatif selon la France

Selon le gouvernement français, l’arrêt de la CJUE, rappelé plus haut, ne lève pas tous les doutes comme par exemple dans le cas de techniques qu’il précise être plus anciennes. Une notion d’ancienneté qui aurait mérité d’être précisée par le gouvernement car l’arrêt de la CJUE fournit pourtant une réponse. En effet, pour la CJUE, la seule notion importante est celle d’historique d’utilisation sans risque de produits obtenus par telle ou telle technique. Elle précise ainsi que l’article exemptant certains OGM des requis de la loi « ne saurait être interprété comme excluant du champ d’application de cette directive des organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes nouvelles de mutagénèse qui sont apparues ou se sont principalement développées depuis l’adoption de ladite directive ». Pour la CJUE, l’intention du législateur est en effet « de n’exclure (du) champ d’application que des organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ». Mais pour la France, il est nécessaire que l’Union européenne clarifie le statut des nouvelles techniques et produits issus de ces nouvelles techniques qui n’auraient pas fait l’objet d’une interprétation de la CJUE. Le gouvernement rappelle d’ailleurs à la Commission l’avoir interpellée en octobre 2018 sur le besoin de clarifier les notions d’ « utilisations traditionnelles pour diverses applications » ou encore de « sécurité avérée depuis longtemps », repris par la CJUE dans son arrêt.

Finalement, le gouvernement français demande que des efforts de recherche soient entrepris sur les questions de détection et traçabilité, d’effets non-intentionnels liés aux techniques et sur les connaissances des effets sur la santé et l’environnement de ces techniques à l’échelle systémique (écosystèmes et modes de production). On notera que ce dernier point souligne en creux un manque de connaissance de tels effets malgré la législation OGM qui a justement été adoptée dans les années 90 face au même constat. Pour la France, une demande importante est qu’une évaluation soit conduite de manière contradictoire sur les bénéfices et risques liés à ces techniques. Un domaine dans lequel le gouvernement a beaucoup à dire comme nous le verrons dans notre prochain article.

Les trois catégories d’OGM non autorisés


Il existe trois catégories d’OGM non autorisés. La première est celle d’OGM avec insertion de séquences génétiques inconnues. Des techniques de séquençage du génome complet permettraient leur détection. Mais la France rappelle qu’elles ne sont pas disponibles pour une utilisation en routine dans le cadre d’analyses officielles. Un état de fait qui ne constitue pas une difficulté mais qui implique simplement qu’un tel travail soit mis en route.

La seconde catégorie est celle d’OGM issus de mutagénèse. Le gouvernement estime ici que la détection de ces mutations est théoriquement possible lorsque des informations sont disponibles sur les séquences modifiées ou leur localisation précise. Il explique en complément que depuis 2017, l’Anses a initié des travaux d’évaluation des techniques qui pourraient être mises en œuvre pour la détection de mutations connues issues de nouvelles techniques. Des travaux dont les résultats ne sont pas encore publiés précise-t-il. Si la détection des mutations connues est possible, il reste la question de les différencier de mutations naturelles. Selon le gouvernement, une telle différenciation serait impossible si aucune autre trace dans le génome n’existe. Or, comme Inf’OGM l’a déjà renseigné [5], toute modification génétique obtenue via un protocole technique induit des effets non-intentionnels dont certains peuvent constituer des signatures des techniques utilisées, ces autres traces évoquées par le gouvernement. Le seul cas problématique serait celui des mutations inconnues, c’est-à-dire celles pour lesquelles aucune information n’est disponible. Un cas de figure difficile à imaginer car il est peu probable sinon impossible qu’un OGM illégal n’ait fait l’objet d’aucune information dans un autre pays et/ou dans un brevet. On notera par ailleurs que la réponse dans ce cas pourrait ne pas être que technique : la réponse pourrait être politique avec par exemple, des amendes suffisamment dissuasives en cas de fraude pour décourager toutes éventuelles commercialisation illégale.

Enfin, la dernière catégorie soulevée est celle d’OGM dont la modification est une modification épigénétique, à savoir de l’état chimique de l’ADN mais pas de sa séquence (du moins en théorie). Une situation pour laquelle la France indique que des techniques existent mais seraient complexes à mettre en œuvre.

[4« New Possibilities on the Horizon : Genome Editing Makes the Whole Genome Accessible for Changes », Kawall K. (2019), Front. Plant Sci. 10:525. doi : 10.3389/fpls.2019.00525

Actualités
Faq
A lire également