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Norvège : une révision prochaine de la loi sur les OGM ?
Créé en automne dernier, le nouveau comité norvégien sur la technologie génétique a pour mission de rendre un rapport en 2022 sur les OGM et les « technologies génétiques » avec des recommandations de leur gestion. Les réflexions doivent notamment porter sur la réglementation actuelle des OGM. Un débat qui intéresse directement l’Union européenne. À cette occasion, des voix se font entendre pour alléger la réglementation sur les OGM en vue de mieux exploiter les bénéfices de ceux-ci. Voix qui se veulent audibles autant pour la Norvège que pour l’Europe…
Le 13 septembre 2020, le gouvernement norvégien a créé un comité public sur la technologie génétique avec pour mission de publier, le 1er juin 2022, un état des lieux très large concernant les technologies de génie génétique [1]. Le gouvernement charge notamment le comité public d’évaluer si la définition actuelle des OGM est toujours utile, et de comparer les avantages et les inconvénients d’une réglementation des OGM basée sur les produits avec celle basée sur les techniques. Et de faire les propositions de changement que le comité jugera nécessaires et pertinentes.
Le comité norvégien dispose déjà de matière : de récentes publications norvégiennes publiques et privées recommandent un allègement de la réglementation OGM avec une approche jugée plus adaptée et proportionnée grâce à un morcellement de la réglementation des OGM en différentes catégories.
Recommandation d’assouplissement du système de gestion des OGM
En décembre 2018, le Conseil consultatif norvégien de la biotechnologie (voir encadré ci-dessous) publie un rapport intitulé « Proposition d’assouplissement de la réglementation norvégienne en matière de dissémination volontaire d’OGM, applicable également à la législation communautaire » [2].
Les positions non unanimes et avis contradictoires sur différentes questions sont présentés dans le rapport du Conseil consultatif ainsi que des recommandations avec plusieurs propositions. Mais globalement, les conclusions du rapport appellent à un assouplissement de la réglementation OGM et à l’instauration d’un système par catégorie avec des demandes d’évaluation, d’autorisation et d’étiquetage différentes selon les catégories (voir le schéma ci-dessous qui est l’une des propositions parmi d’autres présente dans le rapport).
Il est proposé de réglementer différemment les OGM selon le type de modification obtenue. Les différentes catégories de la réglementation induisent des mesures allant de l’exemption à l’évaluation et une autorisation « stricte » équivalente à celle demandée aujourd’hui en passant par une simple notification ou une évaluation et une autorisation simplifiées pour certains OGM. En conséquence il est recommandé d’établir un étiquetage qui serait plus « nuancé » mais sans plus de détails fournis sur ce point pourtant capital.
Le Conseil consultatif norvégien de la biotechnologie
Le Conseil consultatif norvégien de la biotechnologie (Bioteknologirådet) est un organe public indépendant créé en 1991. Ses 15 membres, presque tous des scientifiques et des universitaires, sont nommés par le gouvernement et sont chargés de fournir des conseils sur les questions relatives à l’utilisation des biotechnologies et du génie génétique chez les humains, les animaux, les plantes et les micro-organismes. En 2017, le Conseil s’est auto-saisi avec l’objectif de publier un rapport explorant différentes pistes pour proposer un cadre réglementaire « sain et solide » permettant d’exploiter le potentiel du génie génétique tout en répondant aux préoccupations liées à la santé, l’environnement, la durabilité, les avantages sociaux et l’éthique.
Le Conseil est unanime concernant le fait que les risques sanitaires et environnementaux, la durabilité, les bénéfices sociaux et les considérations éthiques sont des critères décisifs quelle que soit la catégorie à laquelle appartient un produit et qui doivent être évalués. Cependant, il n’y a pas de consensus sur la mise en œuvre de l’évaluation de ces critères [3] rendant compliqué de comprendre comment ces critères seraient pris en considération.
Des recommandations manquant de détails
La catégorisation proposée aborde sans le dire deux points qui sont pourtant majeurs dans la législation européenne actuelle.
La catégorisation propose en effet que pour les OGM avec intégration de séquence génétique, cette intégration doit être permanente. Cette approche pourrait avoir un écho auprès de l’Union européenne en ce qu’elle induit une exemption des OGM obtenus à partir d’organismes qui ont subi une étape de transgenèse par exemple. À titre d’exemple, un organisme modifié par provocation d’une mutation appartiendrait à la catégorie pour laquelle une simple notification sera demandée, même si cette mutation a été obtenue par utilisation de Crispr et donc une étape transgénique préalable.
Second point important, il est recommandé que les catégorisations proposées reposent sur l’exigence de renseigner l’absence d’effet hors-cible dans l’organisme modifié. Une notion importante dans le débat actuel, notamment car de tels effets hors-cible pourraient servir de base à une traçabilité des OGM encore difficile à faire reconnaître aujourd’hui.
Plus de visibilité pour une partie du rapport
En dehors du rapport du Conseil consultatif norvégien, cette proposition de catégorisation et d’allègement de la réglementation des OGM est apparue ailleurs. Un article est paru dans une revue scientifique [4] signé par plus d’une dizaine de scientifiques dont Sigrid Bratlie [5] qui à l’époque était également une membre du Conseil consultatif. Mais l’article ne parle que d’une partie des constats du rapport du Conseil consultatif et ne présente que l’une des options présentes dans le rapport.
Il est proposé dans cette solution (voir schéma ci-dessous) : i) d’exempter les organismes objets de modifications temporaires et non héritables ; ii) de soumettre à simple notification les organismes génétiquement modifiés avec des modifications qui peuvent arriver dans la Nature ou qui peuvent être obtenues avec des méthodes de sélection conventionnelles ; iii) de soumettre à une évaluation et une autorisation « stricte (…) équivalente à celle requise par la réglementation actuelle » les organismes qui possèdent des modifications qui franchissent les barrières des espèces ou impliquent des séquences d’ADN synthétiques/artificielles ; iv) tandis que toutes les autres sortes de modifications génétiques seraient soumises à une évaluation et une autorisation simplifiée.
- Tableau récapitulant l’une des propositions
Pourquoi vouloir influencer l’Union européenne ?
Actuellement, la réglementation des OGM en Norvège est basée sur les techniques [6]. Elle est semblable à la réglementation européenne car, bien que la Norvège ne soit pas un pays membre de l’Union européenne, sa proximité géographique, économique et diplomatique l’a amené dans des accords bilatéraux à reconnaître le droit de l’UE et sa procédure d’autorisation des OGM sur son territoire.
La Norvège peut modifier seule sa réglementation car elle reste indépendante mais dans la pratique, un trop grand décalage avec le droit européen ne semble pas souhaitable.
Le Conseil consultatif mentionne d’ailleurs qu’il lui semble qu’une approche basée uniquement sur le produit, comme au Canada, devrait être fortement envisagée mais que pour des raisons pragmatiques cette discussion n’a pas eu lieu car cela est trop éloigné de la réglementation européenne actuelle des OGM. La Norvège a d’ailleurs soumis une contribution volontaire dans le cadre de l’étude de la Commission publiée récemment [7].
Les recommandations générales du Conseil consultatif tendent à la flexibilisation et à la simplification des processus d’autorisation des OGM au nom des bénéfices qui pourraient en être tirés.
Un tel morcellement de la réglementation entraînerait à coup sûr une complexification et un morcellement des débats. Reste à savoir à quel degré la Commission européenne s’inspirera de ces propositions…
[1] Cela inclut la description, l’explication et l’évaluation de l’état des possibilités techniques, du cadre réglementaire, des usages dans la recherche, de l’incidence des droits de propriété mais aussi les avantages et les risques et dilemmes éthiques de l’usage de ces techniques.
[2] En anglais Proposal for relaxation of Norwegian regulations for delibarate release of genetically GMO, with applicability also for EU legislation. D’ailleurs, le gouvernement charge directement le comité public d’évaluer les recommandations formulées par le Conseil consultatif pour changer le système norvégien de gestion des OGM.
[3] Par exemple, les membres du Conseil étaient divisés sur la manière d’évaluer les bénéfices sociaux, de durabilité et d’éthique, entre ceux qui pensaient que ces critères doivent être évalués de manière homogène pour tous les OGM et ceux qui pensaient que ces critères doivent être aménagés et adaptés selon la catégorie de l’OGM.
[4] « A novel governance framework for GMO », EMBO reports, 2019.
[5] Sigrid Bratlie est aussi une des chercheuses du projet GENEinnovate dont « l’objectif ultime est d’établir une plateforme capable de produire des cellules germinales à potentiel commercial« . GENEinnovate est une collaboration entre Norsvin, Geno, AquaGen, Graminor, l’Université norvégienne des sciences de la vie (NMBU) et le Conseil consultatif norvégien des biotechnologies. Le projet est financé par le Conseil norvégien de la recherche (projet n° 281928) et par les partenaires industriels du projet. Sigrid Bratlie est aussi actuellement conseillère spéciale auprès des coopératives agricoles norvégiennes. Elle a aussi coordonné un rapport sur la perception du public par rapport à ces nouvelles techniques de modification génétique. On a pu également voir cette même personne intervenir dans un webinaire pour présenter sa solution : Webinaire du 26 mars 2021 organisé par l’EFFAB sur les modifications génétiques animales.
[6] Gene Technology Act, 2 avril 1993.
[7] ,
, « OGM – La Commission européenne envisage de changer la législation », Inf’OGM, 29 avril 2021