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Japon : des nouveaux OGM débarquent dans les assiettes
En septembre 2021, deux nouveaux OGM, une tomate et une daurade, toutes deux modifiées génétiquement par Crispr/cas9, ont été autorisés à la commercialisation par les autorités japonaises. Ces deux aliments ne sont pas considérés comme des OGM au Japon, mais n’ont pas été autorisés dans d’autres pays. En Europe, ils doivent recevoir une autorisation en tant qu’OGM pour pouvoir être commercialisés. En novembre 2021, un nouveau poisson, le poisson globe tigré, lui aussi modifié génétiquement, a connu le même sort : il est considéré comme non OGM et peut donc être commercialisé.
En décembre 2020, Sanatechseed annonçait avoir modifié génétiquement (via Crispr/cas9) une tomate pour qu’elle contienne plus de GABA (acide γ-aminobutyrique). Le GABA est un neurotransmetteur inhibiteur dans le cerveau. Cet acide aminé diminue l’activité de certains neurones mais il permet également d’abaisser la pression sanguine, de soulager le stress et l’anxiété… Ainsi l’entreprise qui a mis au point cette tomate GM la présente comme « bénéfique pour la santé ».
Cette tomate, mise au point en partenariat avec des chercheurs de l’université de Tsukuba, a été modifiée par Crispr/cas9 : deux séquences du génome de la tomate [1] qui régulent l’activité d’une enzyme impliquée dans la production de GABA ont été supprimées. La conséquence de la modification est donc de prolonger l’activité de production du GABA par la tomate [2]. Certains végétaux comme la tomate produisent naturellement du GABA (voir encadré).
Par ailleurs, le GABA a un rôle multifonctionnel dans les plants de tomates : il influence, entre autres, la croissance des plantes, leur résistance aux parasites et aux maladies ainsi que plusieurs autres réactions métaboliques. Ainsi, ce rôle multifonctionnel du GABA implique de s’intéresser de près à cette modification génétique tant pour ses impacts environnementaux que sanitaires. Et comme le GABA est un neurotransmetteur chez les êtres humains, il semble pertinent d’en étudier les conséquences sur la santé humaine… Mais, comme le permet la loi japonaise, ces perturbations potentielles n’ont pas été évaluées.
Afin de populariser et diffuser son « innovation », l’entreprise a distribué en mai 2021 des semences de cette tomate à 5 000 jardiniers amateurs qui avaient candidaté en début d’année [3]. Ils se sont engagés à ne pas diffuser les semences issues de leur récolte (cette tomate est en effet protégée par un brevet). Le 15 septembre 2021, l’entreprise Sanatechseed a annoncé sur son site internet la commercialisation de cette tomate. Elles sont au « modeste » prix de 60 euros (environ) les 3 kilos d’après un tweet de Keiji Nakajima, biologiste à l’Institut Nara (Japon) [4], alors que des tomates bio en France sont à moins de 20 euros pour 3 kilos également [5]. La commercialisation de purée de tomates est également annoncée dans un futur proche [6].
Où trouver du GABA ?
Le GABA se trouve naturellement dans le thé vert, noir et oolong ou dans les aliments fermentés (kéfir, yaourt, etc.). D’autres aliments contiennent également du GABA ou peuvent en augmenter la production dans l’organisme, notamment les céréales complètes, la fève, le soja, les lentilles et les haricots, les noix, les amandes et les graines de tournesol, les poissons, les agrumes, les tomates, les baies, les pommes de terre et le cacao [7].
Et pour accompagner vos tomates, un peu de poisson ?
Regional Fish Institute (RFI), startup japonaise basé à Kyoto, a modifié génétiquement une daurade rouge (Pagrus major) qu’ils ont baptisé Madai. Cette dernière a, selon les dires de l’entreprise, « 20 % de plus de viande ». Pour se faire, ils ont utilisé, comme pour la tomate, le complexe Crispr/cas9 et ont désactivé un gène qui produit une protéine, la fameuse myostatine, laquelle bloque la croissance musculaire.
De très nombreuses espèces animales sont actuellement modifiées, dans le monde entier, pour désactiver la myostatine, et cela depuis des dizaines d’années [8] [9] [10] [11].
Depuis le 17 septembre, Regional Fish a commencé à accepter des commandes pour des ventes « expérimentales » de menus élaborés à partir de la dorade modifiée, par le biais d’une plateforme de crowdfunding [12]. Pour l’élaboration des menus (« Kombujime » et « Taimeshi »), l’entreprise a mobilisé Ken Sugisawa, chef cuistot du restaurant SEN, à Kyoto [13]. Le 27 septembre, l’entreprise avait récolté sur cette plateforme près de 2.8 millions de yens (22 000 euros) auprès de 209 personnes. En guise de contrepartie, pour 10 000 yens (70 euros), le donateur recevra environ 200 g de daurade accompagnée de riz et de gingembre.
Fruit d’une recherche conjointe entre l’Université de Kyoto (Professeur associé Masato Kinoshita) et l’Université de Kinki (Professeur Keitaro Iedo), cette daurade a fait l’objet de plusieurs articles scientifiques et un brevet [14] a été accordé en 2019. Dans un article publié en décembre 2020, des chercheurs japonais précisent que la daurade qu’ils ont modifiée par Crispr/cas9 avait une masse musculaire supérieure de 17 % aux daurades sauvages [15]. Un article de 2018, parlait, lui, d’une augmentation de 16 % [16]. Les auteurs sont en parti les mêmes et deux d’entre eux, a minima, travaillent pour l’entreprise RFI. Masato Kinoshita est actuellement directeur et Keitaro Kato est conseiller scientifique.
Le site de l’entreprise regorge d’infographies, largement critiquables sur le plan scientifique. Est ainsi mentionné que cette modification génétique est plus précise que la sélection conventionnelle car « la sélection conventionnelle dépend de changements se produisant au hasard, la réalité est qu’il n’est pas possible de saisir avec précision quel type d’effet est exercé sur quel gène ». L’entreprise affirme aussi qu’ils ont vérifié qu’il n’y aucune mutation hors cible dans les gènes autres que le gène ciblé. Et comme cette mutation « peut se produire dans la nature, il n’y a aucun problème en termes de sécurité ».
Mais ensuite, on peut lire que comme « la technologie d’édition du génome est utilisée, l’aquarium d’élevage est installé dans une installation aquacole terrestre pour empêcher les poissons de s’échapper vers la mer, et diverses mesures de prévention de la diffusion sont prises », telles que la mise en place de doubles, voire de triples grilles très fines. Pourquoi s’embêter avec ces précautions s’ils sont sûrs de la sécurité de leur poisson GM ?
Que dit la loi japonaise ?
Ces deux aliments ont été traités par les ministères japonais de la même façon car ils ont été génétiquement modifiés, tous deux, en utilisant Crispr/cas9.
En janvier 2021, le gouvernement japonais donne son feu vert à la tomate et en septembre 2021 à la daurade. Ces autorisations administratives sont nécessaires bien que la tomate « génétiquement éditée », comme l’entreprise le précise, ne soit pas considérée comme un OGM et donc non soumise à la législation nationale sur les OGM. En effet, pour le Japon, une modification génétique sans ajout de séquence génétique exogène ne donne pas des OGM à réglementer. Ils ne sont donc pas soumis à une évaluation approfondie des risques.
Les promoteurs de cette tomate et de cette daurade génétiquement modifiées insistent sur leur côté « naturel ». Ils écrivent dans un communiqué de presse que « selon la procédure de notification aux deux ministères, cette édition du génome n’est pas une modification génétique mais un changement qui peut se produire dans le monde naturel ».
Enfin, cette tomate et cette daurade seront toutes les deux étiquetées comme « aliment génétiquement édité » et il sera également possible de connaître des informations telles que l’expéditeur et le lieu d’origine grâce au code QR.
Dans l’Union européenne, actuellement, ces deux aliments sont considérés comme des OGM et, à ce titre, doivent être autorisés spécifiquement pour être importés. La Commission européenne aimerait s’aligner sur la position japonaise et exempter ces produits de la directive OGM. Pour l’heure, s’ils se retrouvent sur le marché européen, ce sera donc de façon illégale.
Le poisson globe tigré OGM autorisé
En novembre 2021, la start-up de Kyoto, Regional Fish Institute Ltd, a reçu l’autorisation de commercialiser un nouveau poisson génétiquement modifié via Crispr [17]. Il s’agit du poisson globe tigré (Takifugu rubripes), lequel est considéré dans la gastronomie japonaise comme excellent. Il s’agit aussi d’un poisson très toxique, voire mortel, s’il est mal cuisiné.
La modification génétique consiste à supprimer les gènes qui contrôlent l’appétit, ce qui augmente l’appétit du poisson et, en conséquence, la vitesse à laquelle il prend du poids. L’intérêt est donc purement économique.
Lors d’une réunion du groupe d’experts interministériel qui s’est tenue le 29 octobre 2021, le comité a confirmé que ce poisson ne présentait aucun problème de sécurité et qu’il n’était pas à considérer comme « OGM ». L’entreprise prévoit de commercialiser le poisson d’ici la fin du mois de novembre 2021.
Elle a également mis en place un crowdfunding et enverra des plats cuisinés (comme des sashimi) aux donateurs.
[1] Nonaka, S., Arai, C., Takayama, M. et al. Efficient increase of ɣ-aminobutyric acid (GABA) content in tomato fruits by targeted mutagenesis. Sci Rep 7, 7057 (2017). https://doi.org/10.1038/s41598-017-06400-y
[8] , « Les nouvelles techniques de modification du vivant s’appliquent aussi aux animaux d’élevage », Inf’OGM, 19 juin 2015
[9] , « Les animaux génétiquement modifiés : pas vraiment au point », Inf’OGM, 18 octobre 2017
[10] , « Un biohacker convoqué pour pratique illégale de la médecine », Inf’OGM, 24 mai 2019
[11] , « NZ – Des moutons transgéniques plus gros », Inf’OGM, 1er novembre 2000