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Nouveaux OGM : chronologie des manquements de l’État français
Cet article est une présentation chronologique du défaut de mise en œuvre d’un arrêt du Conseil d’État du 7 février 2020. Cet arrêt confirmait que les nouvelles techniques de modification génétique donnaient des OGM soumis aux requis de la directive 2001/18 (évaluation avant mise sur le marché, autorisation, étiquetage, suivi post-commercialisation). Le 13 octobre 2021, le rapporteur public du Conseil d’État, invité à se prononcer sur le retard du gouvernement, a souhaité « en urgence l’avis de la CJUE sur deux nouvelles questions préjudicielles ».
Le 7 février 2020, le Conseil d’État met un point final à plus de cinq ans d’une procédure qui a opposé neuf associations au gouvernement sur certaines techniques de modification génétique par mutagénèse. Le Conseil d’État affirme que la technique de mutagénèse dite « dirigée » et la technique de mutagénèse dite « aléatoire » – appliquée sur des cultures cellulaires in vitro – sont soumises à la réglementation OGM [1].
Il ordonne au gouvernement, « dans un délai de six mois » – donc avant le 7 août 2020 – et après avis du Haut Conseil des biotechnologies, d’établir « la liste limitative des techniques ou méthodes de mutagénèse [dont les produits sont exclus du champ d’application de la réglementation OGM car] traditionnellement [utilisés] pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ». Il ordonne également de lister les variétés OGM inscrites au catalogue sans avoir été explicitement autorisées, « dans un délais de neuf mois« , donc avant le 7 novembre 2020.
Le 6 mai 2020, le gouvernement notifie à la Commission européenne trois projets de textes réglementaires destinés à modifier la législation française sur les OGM et à exclure les variétés GM non déclarées de la liste des variétés autorisées à la commercialisation.
La Commission et les États membres ont trois mois pour donner leur avis, soit avant le 7 août 2020.
En l’état, le gouvernement français prévoit de déclarer que les techniques de « mutagénèse aléatoire consistant à soumettre des cellules végétales cultivées in vitro à des agents mutagènes chimiques ou physiques », comme toute mutagénèse dite « dirigée », donnent des OGM réglementés. Il a identifié 96 variétés, contenant un même caractère de tolérance aux herbicides obtenu par une technique donnant des OGM réglementés, inscrites sur le catalogue européen (dont seulement sept sont inscrites sur le catalogue français). Le gouvernement français ne peut radier que les variétés inscrites sur son propre catalogue, pour les autres il peut seulement les interdire sur son territoire [2] [3].
Le 7 juillet 2020, le Haut Conseil des biotechnologies (HCB) confirme la validité juridique du projet de décret destiné à établir la liste des techniques de mutagénèse donnant des OGM non réglementés [4].
Dans les derniers jours avant le 7 août 2020, la Commission européenne et cinq États membres (Danemark, Espagne, Italie, Pays-Bas, et République tchèque) émettent des avis circonstanciés [5] visant à démontrer une incompatibilité entre les textes français et le droit européen, selon l’interprétation de la Commission européenne. Ces avis circonstanciés prolongent la procédure de consultation européenne de 3 mois, soit jusqu’au 7 novembre 2021 [6].
Passé le délai légal du 7 août, le gouvernement n’a toujours pas publié le décret sur les techniques dont les produits sont exclus du champ d’application de la réglementation OGM.
Le 13 octobre 2020, les neuf organisations à l’origine du recours (n°451264) devant le Conseil d’État font une requête en non exécution de la décision de février 2020 auprès de cette même instance.
Passé le délai légal du 7 novembre, le gouvernement n’a toujours pas publié l’arrêté fixant la liste des variétés devant être retirées du catalogue en l’absence d’autorisation au titre de la réglementation OGM.
Le 21 mars 2021, la section du contentieux du Conseil d’État publie une note qui constate effectivement la non exécution de son arrêt.
Le 14 avril 2021, le Conseil d’État lance une procédure juridictionnelle. Le Premier ministre français a jusqu’au 12 mai 2021 pour répondre au manque d’exécution de la décision. Il ne s’agit pas de statuer à nouveau sur le fond de l’affaire, mais de décider, au vu entre autres des arguments des plaignants et des réponses du gouvernement, s’il impose ou non des pénalités financières à l’État français (astreinte pour non exécution) et leur éventuel montant valable tant que la décision n’aura pas été mise en œuvre.
Le 22 juin 2021, interrogée par Inf’OGM, la FOP, qui représente les producteurs de colza et de tournesol, nous confirme avoir déposé un recours en intervention auprès du Conseil d’État. S’il est déclaré recevable par le Conseil d’État, ce recours pourrait retarder encore l’application de l’arrêt de février 2020.
Le 29 juin 2021, le collectif Objectif Zéro OGM a mandaté le sénateur Joël Labbé pour remettre les 125 000 signatures au gouvernement [7].
Le 15 juillet 2021, finalement, le gouvernement a accepté de rencontrer les représentants du collectif Objectif Zéro OGM. Pour les militants, le gouvernement joue la montre en commandant de multiples rapports. Dans leur communiqué de presse, ils se disent » sidérés de l’aplomb avec lequel le gouvernement s’installe dans une illégalité de longue durée « .
Le 13 octobre 2021 se tenait l’audience publique du Conseil d’État sur le recours (n°451264) contre le gouvernement pour son retard à appliquer les injonctions du Conseil d’État de février 2020. Le rapporteur public – dont les conclusions seront rendues publiques sous forme écrite avec la décision du Conseil d’État – a préconisé que la CJUE soit saisie de deux questions préjudicielles à traiter dans le cadre d’une procédure accélérée.
La Confédération Paysanne estime que ce nouveau renvoi à la CJUE alimente la stratégie des entreprises et du ministère de l’Agriculture de « faire durer la procédure le plus longtemps possible tandis qu’ils œuvrent par ailleurs à convaincre le législateur de modifier la loi au nom de laquelle ils ont été condamnés…« [8].
Le 8 novembre 2021, le Conseil d’État a donc suivi l’avis du rapporteur public et a décidé de nouveau de saisir la CJUE pour clarifier l’étendue de la réglementation OGM et préciser ceux qui ne peuvent bénéficier de l’exemption prévue par la directive 2001/18 [9]. Il a aussi constaté que l’État français n’avait pas exécuté les injonctions de sa décision de février 2020 et condamné ce dernier à agir sous astreinte dans un délai de trois mois.
Le 20 avril 2022, la section du rapport et des études (SRE) du Conseil d’État, en charge du suivi de l’exécution des décisions de justice, a estimé que la première injonction au gouvernement avait été exécutée et a considéré que le délai laissé au gouvernement pour la deuxième injonction n’était expiré [10].
Le 20 juin 2022, s’est tenue, à la CJUE, l’audience publique suite aux questions préjudicielles que lui avait posées le Conseil d’État par sa décision du 8 novembre 2021. La CJUE rendra sa décision le 27 octobre 2022. [11].
Le 27 octobre 2022, l’Avocat général de la CJUE a rendu son avis. Ce dernier ne présage pas du jugement final, les juges étant libres ou non de le suivre [12] . Dans ses conclusions, l’Avocat général propose à la CJUE de tout simplement ignorer les deux questions posées par le Conseil d’État, mais de répondre à une question qui ne lui est pas posée sur « la mutagénèse aléatoire in vitro ». Ce dernier « propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles déférées par le Conseil d’État (France) [en indiquant que] (…) la mutagenèse aléatoire appliquée in vitro relève de l’annexe I B, point 1, de ladite directive ». Cette annexe définit les techniques qui donnent des OGM mais dont les produits sont exemptés des prérogatives de cette directive. Autrement dit, l’Avocat général propose d’expliquer au Conseil d’État français qu’il s’est trompé et qu’il faut exempter les OGM issus d’une mutagenèse aléatoire appliquée in vitro visant à soumettre des cellules de plantes à des agents mutagènes chimiques ou physiques.
[1] , « OGM : le Conseil d’État suit les organisations contre le gouvernement », Inf’OGM, 10 février 2020
[2] , « France – Des OGM autorisés… bientôt interdits », Inf’OGM, 26 mai 2020
[3] , « Comment radier une variété « nouvel OGM » du catalogue ? », Inf’OGM, 31 juillet 2020
[4] , « Nouveaux OGM : le HCB valide le projet de décret », Inf’OGM, 23 juillet 2020
[5] Avis circonstancié de la Commission européenne relatif aux projets de décrets et arrêté français portant sur la modification de la liste des techniques d’obtention d’OGM ayant fait l’objet d’une utilisation traditionnelle sans inconvénient avéré pour la santé publique ou l’environnement, et modifiant le Catalogue officiel des espèces et variétés français
[6] , « Nouveaux OGM : la Commission européenne veut bloquer la France », Inf’OGM, 20 octobre 2020
[7] , « Une pétition pour arrêter la « deuxième vague » des OGM », Inf’OGM, 23 mars 2021
[8] Confédération paysanne, « Conseil d’État : le rapporteur public renvoie la patate chaude des OGM cachés à la justice européenne », 13 octobre 2021
[9] ,
, « OGM non transgéniques – La justice européenne à nouveau saisie », Inf’OGM, 17 novembre 2021
[10] , « OGM : Le Conseil d’Etat valide à mi-mot l’inaction du gouvernement », Inf’OGM, 20 avril 2022
[11] Communiqué de presse de la Confédération paysanne : « La justice européenne convoque une nouvelle audience sur les OGM ce 20 juin », 16 juin 2022
[12] , « OGM – La justice européenne va-t-elle exempter des nouvelles techniques ? », Inf’OGM, 27 octobre 2022