UE : les lois nationales de coexistence des OGM sont politiques
La coexistence entre cultures GM et non GM est compliquée, voire impossible dans de nombreux cas, des contaminations croisées pouvant avoir lieu dès les parcelles (vent, insectes…), mais aussi ensuite tout au long des filières (depuis la récolte, le stockage, la transformation, jusqu’à la distribution…). Cet article décrit les lois de coexistence de quelques pays de l’Union européenne. Si l’on découvre que pour certains de ces pays, ces lois ont été un prétexte pour bannir les OGM, pour d’autres, comme l’Espagne pourtant leader des OGM en Europe, elles n’ont même pas été promulguées, permettant la prolifération incontrôlée de ces cultures.
Dans l’Union européenne, très peu de pays cultivent du maïs génétiquement modifié MON810 (et à elle seule, l’Espagne en cultive plus de 92%). Ils sont plus nombreux à en avoir interdit la culture (1)… Outre les interdictions, la législation européenne permet aussi de restreindre la culture des plantes génétiquement modifiées (PGM). Elle délègue en effet aux États membres la gestion de la coexistence des filières OGM et non OGM, considérant que la réalité agricole de chaque État, voire de chaque région, est différente. Cependant, les lois qui encadrent la coexistence doivent être « proportionnées », de sorte que « les mesures de coexistence doivent éviter tout fardeau inutile pour les agriculteurs, les producteurs de semences, les coopératives et les autres opérateurs associés » (2). Depuis 2010, les nouvelles lignes directrices sur la coexistence (3) reconnaissent la possibilité, pour certaines zones géographiques particulières, de se déclarer « zone sans OGM » afin d’éviter des contaminations. Cependant, « de telles exclusions devront reposer sur la démonstration par les États membres que, pour ces régions, d’autres mesures ne suffisent pas pour atteindre des niveaux de pureté suffisants ». Or, rien n’est dit sur ce qui sera valide ou non comme « démonstration »… Cela dépendra, vraisemblablement, de la pression que les entreprises mettront pour attaquer en justice des lois nationales de coexistence qui pourraient faire de l’ombre à leurs intérêts.
Des interdictions à peine déguisées
Ainsi, la région de Bruxelles s’est déclarée récemment zone sans OGM (4) : « toute mise en culture de [PGM] en plein air (…) est interdite pour des raisons de coexistence ». Cette décision ne sera vraisemblablement jamais attaquée. Il est certain que l’enjeu agricole reste modeste. Le secteur primaire emploi 0,09 % des travailleurs de la région, en 2009. Ce qui correspond à 21 exploitations, la moitié d’entre elles cultivant moins de deux ha… Pas de quoi fouetter un maïs transgénique…
Sans interdire, les lois de coexistence peuvent fortement restreindre les cultures de PGM. Ainsi, la Lettonie (5) impose une distance minimale d’isolement de 14 kilomètres entre la bordure d’une surface agricole où sont cultivés des végétaux GM et celle d’une surface agricole où est cultivée la même espèce en agriculture biologique ou conventionnelle. Cette disposition s’applique aussi aux frontières nationales, aux territoires naturels protégés (sites Natura 2000), aux réserves naturelles hautement protégées, comme celles où sont implantées les niches écologiques du crapaud calamite, au Parc naturel de Milzukalns, aux arboretums protégés à l’instar du Jardin botanique national de Lettonie ; et à certains sites gérés par les collectivités locales. Étant donné la superficie de cet État balte, il est peu vraisemblable qu’un cultivateur arrive à trouver une place pour cultiver des PGM, d’autant que ce dernier ne pourra, sur son exploitation agricole, cultiver les mêmes espèces végétales non GM. Il devra en outre obtenir plusieurs agréments écrits, notamment de la part des apiculteurs dont les ruches sont enregistrées et situées à une distance d’isolement de 14 km. A cela s’ajoute des contraintes pour le transport, le stockage, la gestion de résidus culturaux GM, etc. Mission impossible !
Mais les règles strictes ne sont pas réservées aux petits pays. La Bulgarie est un pays dont le potentiel économique s’est révélé au cours de ces dernières décennies (6). Les céréales (blé, maïs, orge, etc.) dominent, avec environ 50% des terres arables en 2010. Puis, viennent le tournesol et le colza. Un phénomène de concentration des terres s’opère, phénomène principalement imputable au secteur céréalier auquel la PAC et des investissements étrangers ont davantage profité. La Bulgarie dégage ainsi un excédent croissant de son commerce extérieur grâce aux produits agricoles (qui a plus que doublé entre 2009 et 2010). Un terreau idéal pour tenter la culture de MON810… Pourtant, après avoir été tentée par les cultures transgéniques (la Bulgarie en a cultivé jusqu’à 13 000 ha en 1999), ce pays a changé de cap. Ce n’est pas pour autant un pays, comme la Hongrie ou l’Autriche, qui a misé sur l’agriculture biologique. Toujours est-il que la loi cadre (7) a été amendée en mars 2010 pour interdire la culture des OGM (dont les essais en champ) dans les zones protégées (parcs naturels, zones Natura 2000, etc.), sur 30 km autour de ces zones, dix km autour des ruches et sept km autour des cultures biologiques. En cas d’infraction, une amende pouvant aller jusqu’à 500 000 euros est prévue par la loi.
Allemagne : un entre-deux
L’Allemagne a adopté, dès 2008, un décret relatif aux bonnes pratiques professionnelles lors de la production de PGM (8). Cette année-là, 3 273 hectares de maïs MON810 étaient recensés par les autorités. Si les distances d’isolement entre parcelles de maïs transgéniques et celles de maïs conventionnelles (150 mètres) ou bio (300 mètres) ne sont pas excessivement grandes, le décret prend en compte de nombreux autres facteurs qui participent aussi, sinon parfois plus, à la présence non désirée de transgènes dans des récoltes conventionnelles ou bio. Au niveau du champ, la réglementation impose une surveillance des repousses après la récolte et l’année suivante, et une rotation des cultures. Ainsi, une surface de cultures peut être cultivée avec du maïs non génétiquement modifié au plus tôt la deuxième année suivant l’année ou n’apparaîtront plus de repousses. D’autres contraintes encadrent cette activité. Le producteur doit stocker (article 6) les semences ou les plantes GM dans des conteneurs fermés et à l’écart de toute semence ou plante non GM du même type, et il doit stocker les récoltes de PGM, dans la mesure où elles peuvent se reproduire, dans des locaux de stockage fermés. Ces conteneurs et locaux de stockage doivent être signalés, sauf s’ils sont situés sur une exploitation qui produit des OGM. L’article 7 stipule que le producteur doit transporter les semences et les récoltes de PGM dans des conteneurs fermés ou, si le transport se fait sur des véhicules dont la surface de chargement est ouverte, en couvrant soigneusement les récoltes. La récolte est aussi encadrée (article 8) : « Lors de la récolte, la pénétration de produits génétiquement modifiés dans les terrains de tiers doit être limitée au maximum par le choix d’une technique de récolte appropriée ». Étant donné que l’Allemagne a quasiment abandonné les cultures GM dès l’année suivante, les autorités n’ont pas eu à préciser ce qu’elles entendaient par « technique de récolte appropriée ». L’article 9 précise le nettoyage des outils.
Des réglementations a minima
Plusieurs États se sont dotés, en revanche, de mesures minimalistes. Ce sont clairement des pays qui défendent les OGM, lors des votes au Conseil de l’UE, ou qui cultivent (ou ont cultivé) des PGM, comme la Suède, la République tchèque, les Pays-Bas… En France, en 2007, alors que 22 000 ha de maïs MON810 étaient cultivés, le ministère précisait, dans une note, « une distance d’isolement entre cultures GM et non GM de 50 mètres, soit le double de la pratique actuelle », celle défendue par l’AGPM, un lobby des OGM. Depuis 2008, moratoire oblige, aucune loi de coexistence n’a été formellement adoptée. Un projet d’arrêté, notifié à la Commission en janvier 2012, a finalement été retiré suite au changement de majorité. Ce dernier ne préconisait des mesures qu’en vue de respecter le seuil de 0,9%, rendant problématique le respect de l’étiquetage « sans OGM » : pour le maïs 50 mètres ou une bordure de 9 mètres constituée d’une variété non GM de classe de précocité identique ; pour les pommes de terre, 5 mètres et une interdiction de cultiver des variétés non GM pendant quatre ans sur la parcelle. Cet arrêté se situait en deçà de l’avis du comité scientifique du Haut Conseil sur les Biotechnologies. Il préconisait, pour respecter un seuil de 0,1% d’OGM dans une parcelle de maïs conventionnel d’une taille similaire, une distance d’isolement de 100 mètres, ou de 50 mètres si le semis est décalé de deux jours. Et de 20 mètres pour les pommes de terre. Espérons que la prochaine mouture de cette réglementation sera plus respectueuse de la liberté de produire et de consommer sans OGM, garantie par la loi de 2008.
La République tchèque a voté un arrêté en 2010 qui impose des distances d’isolement absolument ridicules : entre 3 et 10 mètres, pour les pommes de terre, 10 mètres pour le soja et 70 mètres pour le maïs (ou 68 mètres si l’agriculteur cultive un rang de maïs non GM en bordure de sa parcelle). Dans le cadre de l’agriculture biologique, les distances sont presque doublées. Les distances sont un peu plus grandes en ce qui concernent l’obligation d’informer les voisins. Par exemple, dans le cadre de la production de maïs biologique, le transgéniculteur doit notifier sa volonté de cultiver des PGM à tous ses voisins jusqu’à 400 mètres.
Aux Pays-Bas, un projet d’arrêté a été notifié à la Commission européenne en 2005. De fait, aucune culture GM n’a été répertoriée dans ce pays. Concrètement, le cultivateur d’OGM est tenu de respecter au moins les distances d’isolement suivantes : entre 3 et 10 mètres pour les pommes de terre, entre 1,5 et 3 mètres pour les betteraves et entre 25 et 250 mètres pour le maïs. Les distances maximales sont obligatoires si l’agriculteur voisin souhaite cultiver des productions dont le cahier des charges impose le « sans OGM ».
La Slovaquie impose globalement des distances équivalentes. Elle précise cependant le cas des choux et des colzas, pour lesquelles elle impose 400 mètres pour séparer les cultures transgéniques et conventionnelles et 600 mètres pour les cultures biologiques. Cette distance est tout à fait insatisfaisante pour le colza, des études ayant déjà montré que la dispersion de son pollen pouvait atteindre plusieurs kilomètres. Le colza est une des plantes les plus difficiles à contenir. C’est d’ailleurs pour des raisons de coexistence que la France avait adopté un moratoire sur deux colzas transgéniques de Bayer (Ms1*Rf1 et Topas 19/2). Leurs autorisations ont expiré en avril 2007.
Espagne : le maïs GM est cultivé sans contraintes
Le champion des PGM dans l’UE n’a pas encore adopté de règles de coexistence : un comble. Et cela entraîne des perturbations environnementales et économiques graves. Dès 2004, plusieurs cas importants de contaminations avaient été révélés par des agriculteurs ou des associations. Ainsi, en 2007, 30 de 40 échantillons d’alimentation animale bio analysés sont aussi positifs (9). Depuis, les choses ne se sont pas arrangées. Ainsi un reportage réalisé par France24 (10) évoque qu’en Aragon, l’une des principales provinces espagnoles à faire du maïs OGM, 80 % de la production de maïs conventionnel ou biologique est contaminée. Antonio Ruiz, par exemple, président de l’association des agriculteurs bio de l’Aragon, a arrêté de cultiver du maïs, même s’il a des demandes pour cette production. Conséquence : alors que les productions biologiques ont explosé en Espagne (+118% entre 2004 et 2009), elles ont diminué en Aragon (-12,53%) (11).