n°95 - novembre / décembre 2008

Encadrement des PGM en Europe : quelle évolution prévue ?

Par Eric MEUNIER, Anne FURET

Publié le 01/11/2008

Partager

La France, en tant que Présidente de l’UE, a lancé un travail pour modifier l’encadrement des plantes transgéniques. Depuis cet été, des fonctionnaires des Etats, réunis au sein d’un groupe ad hoc, travaillent sous la responsabilité du ministre de l’Environnement. Le 20 octobre, les ministres européens de l’Environnement ont discuté des conclusions intermédiaires de ce groupe [1]. La Commission européenne n’est pas en reste puisqu’un groupe de « Sherpas » composé de fonctionnaires des Etats-membres [2] travaille à « l’amélioration » des procédures d’autorisation de PGM. Dans un contexte favorable à des autorisations de plus en plus nombreuses et rapides des OGM (cf. encadrés ci-dessous sur le contexte européen et mondial), et en dépit du manque de transparence sur leur fonctionnement, les travaux du groupe ad hoc (centré sur la culture) et du groupe de Sherpas (centré sur les importations) requièrent toute notre attention.

Les sherpas veulent une accélération des procédures d’autorisation

Travaillant dans une opacité certaine, le groupe européen de Sherpas, établi par et dépendant uniquement du Président de la Commission européenne (CE) José Manuel Barroso, a démarré ses travaux au cours de l’été. Composé de représentants des Etats-membres et de fonctionnaires européens – la France est représentée par François Pérol, secrétaire général adjoint à l’Elysée [3] – ce groupe a pour objectifs affichés d’obtenir que les décisions prises sur le dossier OGM soient « plus claires, plus transparentes pour l’opinion publique » et de « discuter éventuellement d’améliorations de procédures », plus précisément sur les lignes directrices. Mais à y regarder de plus prêt, il semble que ces objectifs affichés occultent quelques axes de travail des Sherpas. Mi-juillet, s’est tenue la première réunion. A l’ordre du jour notamment : l’amélioration de la procédure décisionnelle et la question de l’absence de majorité qualifiée au sein du Conseil. Car actuellement, les décisions d’autorisation ou non reviennent systématiquement à la Commission, les Etats-membres ne parvenant pas à une majorité qualifiée ; les relations entre le prix des denrées alimentaires et les PGM ; et la conformité à la décision de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) de 2006. La deuxième réunion de ce groupe, le 10 octobre dernier, a déjà beaucoup fait parler d’elle : les Amis de la terre Europe ont divulgué les conclusions de la rencontre et ces dernières confirment que ce groupe travaille à accélérer les procédures d’autorisations et à les harmoniser avec celles des Etats-Unis. Mais plus notables encore, les conclusions de cette rencontre montrent que ce groupe souhaite peser de tout son poids sur les réflexions plutôt « progressistes » actuellement menées dans le cadre du groupe ad hoc. Ainsi, est-il demandé que les Premiers ministres se saisissent de la question pour « canaliser » les ministres de l’Environnement dans les débats du Conseil des 20 octobre et 4 et 5 décembre [4].

Le groupe ad hoc : une réflexion tuée dans l’œuf ?

Les missions officielles du groupe ad hoc sont de réfléchir au renforcement de l’évaluation des OGM en matière environnementale, à l’opportunité et au contenu d’une évaluation socio-économique, à l’amélioration du fonctionnement de l’expertise, à la fixation de seuils d’étiquetage harmonisés concernant la présence fortuite d’OGM autorisés dans les semences, et à la prise en compte de certains territoires sensibles et/ou protégés. Les Etats devront se positionner sur ces pistes d’évolutions lors du Conseil environnement des 4 et 5 décembre 2008. Mais, à la lumière des retours du Conseil du 20 octobre, des orientations se dessinent déjà.

Veut-on vraiment renforcer l’évaluation environnementale ?

La France annonce vouloir proposer la mise en place de protocoles précis d’évaluation des OGM, et la prise en compte, pour les PGM produisant des pesticides, du nécessaire rapprochement entre l’évaluation des PGM et des produits phytosanitaires. Sans plus de précisions sur ce point, il est difficile de déterminer si ce travail ira dans le sens d’un renforcement de l’évaluation avant autorisation ou d’un renforcement du suivi de biovigilance post autorisation. L’argumentation présentée par la France pour suspendre l’autorisation du maïs Mon 810 contient de nombreux arguments intervenant avant la délivrance d’une autorisation (cf. Où en est-on du moratoire français sur le Mon 810 ? ) et laisse présager que la France souhaitera renforcer cette dynamique plutôt que la surveillance post autorisation. Parallèlement au travail de ce groupe, l’Agence Européenne de Sécurité des Aliments (AESA) a été chargée par la CE de réfléchir à une mise à jour de ces lignes directrices concernant ces évaluations environnementales [5]. Il paraît difficile d’imaginer que l’AESA aille dans le sens d’une évaluation plus renforcée, ses travaux précédents (notamment sur l’évaluation sanitaire) plaidant pour une tendance inverse. Les premiers retours du groupe ad hoc montrent que les participants sont favorables à une harmonisation des méthodes d’évaluation entre les différents Etats-membres mais aucune précision n’a été apportée à propos des évaluations à long terme. Pour le groupe de Sherpas, aucune modification ne semble nécessaire en ce domaine et l’AESA a vu la confiance de ce groupe de travail affirmée officiellement [6].

Les Etats craignent l’intégration de critères socio-économiques

En ce qui concerne l’évaluation socio-économique, il s’agirait notamment de tenir compte de la prévention des contaminations dans l’attribution d’une autorisation. Dès lors, ces critères pourraient justifier une suspension, ou une modulation sur tout le territoire européen ou dans certaines zones spécifiques.

Actuellement, la référence à la prise en compte d’aspects autres que les aspects purement scientifiques dans le processus d’autorisation est déjà présente dans les considérants des règlements 178/2002 et 1829/2003 et dans les articles 7 et 19 du règlement 1829/2003. Ces textes octroient la possibilité pour la CE, lorsqu’elle fait une proposition de décision, de prendre en compte d’autres « facteurs légitimes ».

De fait, la question devrait non pas porter sur la mise en place de telles procédures mais sur une possible obligation de les conduire. Car pour l’instant, ni l’évaluation scientifique environnementale [7], ni les décisions de la CE ne font état d’une prise en compte des aspects socio-économiques [8]. Lors de l’examen des moratoires autrichien et hongrois, le conseil européen a déjà mis l’accent sur la prise en compte de facteurs autre que scientifique, en demandant une prise en compte plus systématique de ces facteurs. Dans ces conditions, les Etats souhaitent-ils prendre en compte d’une manière effective et systématique des facteurs économiques et sociaux dans le processus d’autorisation ? Si oui de quelle manière ? Dans une évaluation scientifique ? En donnant la possibilité aux Etats de moduler les autorisations d’OGM ?

Pour l’heure, et d’après le communiqué de presse du Conseil environnement, les Etats restent très prudents sur une telle prise en compte :


- ils souhaitent s’inscrire dans le cadre de l’OMC, qui tendent à considérer que des barrières au commerce sont non-justifiées dès lors qu’elles se fondent sur des critères non scientifiques ;


- pour eux, cette évolution ne doit pas conduire à allonger les procédures d’autorisations.

Les Etats semblent tout de même prêts à réfléchir à la mise en place d’un cadre méthodologique pour identifier ces critères légitimes et pour les évaluer. Mais, à ce stade, aucun engagement n’existe sur la prise en compte de critères socio-économiques dans les autorisations. Le contexte international pèse de tout son poids sur cette question ! Par ailleurs, ces points d’accords font curieusement échos aux conclusions du groupe de Sherpas du 10 octobre [9].

Des OGM dans les semences sans étiquetage ?

Sur la question de la présence « fortuite » d’OGM dans les semences, la position française va dans le sens d’une « légalisation » européenne des pratiques de non étiquetage des « faibles » contaminations OGM dans les semences importées. Actuellement, la Commission européenne considère qu’en l’absence de seuils d’étiquetage, tout lot de semences contenant des traces de semences GM autorisées doit être étiqueté. Mais les services de la répression des fraudes (notamment en France) appliquent des seuils de tolérance de 0,5%. La France semble donc vouloir valider ces pratiques, qui nuisent pourtant à l’information du public, et permettent de fait les contaminations par les OGM. Notons que le 20 octobre, aucune discussion n’a été prise sur ce point [10].

Division des Etats sur une reconnaissance des zones sans OGM

L’article 19 de la directive 2001/18 prévoit que l’autorisation des OGM indique explicitement les conditions de protection des écosystèmes/environnement particuliers et/ou zones géographiques particulières. Actuellement, les autorisations de PGM « oublient » de mentionner cette protection et les Etats-membres ont déjà signifié que les systèmes agricoles et les écosystèmes particuliers n’étaient pas suffisamment pris en compte dans les procédures d’autorisation (lors de la validation des moratoires autrichiens et hongrois par exemple). Il s’agit en quelque sorte d’un appel du pied pour une prise en compte plus systématique… Sur ce point, le Conseil environnement du 20 octobre s’est montré divisé : la CE rappelle qu’il est possible de mettre en place des zones sans OGM si toutes les parties concernées sont d’accord (cf. la possibilité d’exclure les OGM des parcs naturels régionaux dans la loi française) ; « certains Etats » souhaitent bénéficier de pouvoirs accrus dans la protection de certains « écosystèmes ou agro-systèmes » ; d’autres semblent se satisfaire du cadre actuel. Nous n’avons pu obtenir plus de renseignement sur l’identité des délégations qui ont pris position.

Les « oublis »…

Le programme de travail des deux groupes a laissé de côté plusieurs demandes que la société civile européenne exprime depuis de nombreuses années (cf. page 7). Ainsi, la question de l’étiquetage des produits animaux ayant été nourris avec des PGM n’est pas abordée, alors qu’elle se trouve dans la droite ligne de l’ambition des Sherpas d’avoir des procédures d’autorisations claires et transparentes pour mieux informer le consommateur. Sur cette question de transparence, la composition et le fonctionnement du groupe de Sherpas ne laissent pas non plus augurer d’améliorations notables puisque la CE ne rend public aucun document sur ses travaux.

D’autre part, la question de l’amélioration des évaluations sanitaires n’est pas au programme (le groupe ad hoc ne travaillant que sur les évaluations environnementales). Cette dernière fut pourtant l’objet d’un travail conséquent de l’AESA qui, en 2008, publiait un avis recommandant d’appliquer le concept d’équivalence en substance beaucoup plus ouvertement en n’exigeant plus d’études de toxicité d’une PGM lorsque celle-ci a été considérée comme similaire dans sa composition à la même plante non GM : un rejet pur et simple du principe de précaution pour les évaluations sanitaires qu’aucun des deux groupes de travail n’aborde…

Enfin, notons que la question récurrente de l’impossible traçabilité des PGM qui contiennent plusieurs évènements transgéniques (il est impossible à ce jour de différencier un lot de maïs Mon810*NK603 d’un lot de maïs Mon810 et NK603) n’est au programme d’aucun des deux groupes. La démarche de la commissaire européenne à la santé qui consiste à tolérer des PGM non autorisées aurait pourtant mérité qu’un des deux groupes se penche sur cette question. En effet, tolérer des PGM n’implique pas forcément de les laisser se perdre dans la nature, ce qui aujourd’hui est pourtant le cas puisqu’aucune traçabilité n’est possible.

Les enjeux des discussions techniques

La modification des seuils dans les semences fera nécessairement l’objet d’une nouvelle directive. Pour le reste, la France envisagerait donc a priori d’appliquer différemment la législation communautaire actuelle (évaluations, facteurs légitimes, écosystèmes particuliers…), sans la réécrire.

Plus globalement, les contextes européen et international témoignent d’une grande pression sur l’UE sur le dossier OGM. Les Etats-Unis souhaitent rendre synchrones les délivrances des autorisations de PGM, en agissant d’une part, sur le Codex alimentarius, pour obtenir une procédure accélérant les autorisations de PGM en cas de contamination, et d’autre part directement sur l’UE, expliquant ainsi la position de l’AESA sur une application plus ouverte du concept d’équivalence en substance (pas d’études de toxicité si les plantes et PGM sont équivalentes).

L’accélération des autorisations peut se faire via une surveillance post autorisation plus poussée et des évaluations pré autorisation plus flexibles. L’évaluation économique pourrait être refusée ou dé-cidée globalement et non au cas par cas.

Pour Guy Kastler, de Nature et Progrès, si des évaluations environnementales et économiques globales (au niveau communautaire par exemple) sont prises en compte, ceci permettra d’engager des évaluations locales plus fines et d’aboutir à des suspensions (locales elles aussi) d’autorisation à la culture. A l’inverse, une évaluation sur la santé pourra difficilement être réalisée à un niveau local. Sur la question des semences, la France ne devrait probablement pas défendre le zéro technique.

Afin de ne pas gêner le marché de l’alimentation animale et les importations, l’encadrement pourra donc être plus flexible avant et renforcé après autorisations. Mais ne gérer que l’aval d’une dissémination est rarement une bonne solution…

En l’état actuel des travaux, nous ne pouvons qu’observer une certaine continuité dans les positions européennes. Le libre-échange risque fort de l’emporter face aux préoccupations de sécurité sanitaire ou environnementale, et la confidentialité des débats est toujours de mise… Alors que l’attention des citoyens est accaparée par la crise financière, il convient de ne pas oublier que l’avenir des OGM en Europe se joue sans doute dans les tous prochains mois.

Eléments de contexte

Contexte européen


- Présidence française de l’UE.


- La Hongrie et la Grèce ont renouvelé leur moratoire, l’AESA les a rapidement réfutés.


- Un travail de la CE est en cours pour tolérer l’importation de produits contaminés par des PGM qui ne sont ni autorisées, ni en cours d’autorisation.


- L’Agence Européenne de Sécurité des Aliments (AESA) tente de simplifier les procédures d’évaluation des PGM (disparition des tests de toxicité sur animaux lorsque une PGM est considérée comme équivalente dans sa composition à la même plante non transgénique).

Contexte mondial

Les Etats-Unis font pression sur l’Europe dans le conflit qui les oppose devant l’OMC, afin de réduire les barrières à la commercialisation des OGM dans l’UE.

Au sein du Codex alimentarius, les Etats-Unis ont obtenu en août la mise en place d’un système d’échange d’informations « pertinentes » entre un pays ayant autorisé une PGM et un pays faisant face à une contamination non intentionnelle et à faible taux dans des produits alimentaires par celle-ci. L’objectif de cette procédure est bien évidemment de ne pas gêner les flux commerciaux.

[7Seule une disposition de la directive 2001/18 (Annexe II) prévoit que les « modifications de la gestion, y compris le cas échéant, les pratiques agricoles » peuvent être à l’origine d’effets négatifs sur l’environnement, et peuvent être pris en compte dans l’évaluation.

[8La Commission n’a pas montré dans ses décisions qu’elle prenait en compte d’autres facteurs que les facteurs scientifiques : ses décisions se réfèrent en effet uniquement aux conclusions de l’AESA.

Actualités
Faq
A lire également