Nouvelles techniques de modification génétique
Les plantes transgéniques ne sont pas les seuls organismes vivants dont le patrimoine génétique a été modifié en laboratoire. Si les plantes modifiées par mutagenèse sur plante entière les ont précédées (voir Qu’est-ce que la mutagénèse ?), d’autres techniques se sont principalement développées avant 2001 et sont promues depuis quelques années (mutagenèse dirigée par oligonucléotides, nucléases à doigts de zinc, cisgenèse, Crispr/Cas, TALEN…).
Malgré le caractère nouveau de ces techniques, la Commission européenne a proposé en juillet 2023 aux états-membres et au Parlement européen de ne pas soumettre les OGM obtenus par ces techniques aux règles en vigueur (étiquetage, traçabilité, évaluation des risques avant commercialisation…) [1].
Des nouvelles techniques très complexes
Depuis dix ans, les semenciers et entreprises de biotechnologie font la promotion de ces nouvelles techniques en arguant d’une meilleure maîtrise, plus grande précision et de progrès technique. Autant d’arguments déjà mis en avant par les mêmes industriels à la fin des années 90, pour promouvoir la transgenèse. Ce qui s’est avéré faux (cf. Qu’est-ce qu’un OGM ? Qu’est-ce que la transgenèse ? ).
Si les multinationales et la Commission européenne utilisent une sémantique visant à laisser entendre que ces techniques seraient simples à utiliser et maîtrisée, la réalité est inversement proportionnelle. Car concrètement, ces nouvelles techniques reposent sur des protocoles de plus en plus complexe. Prenons l’exemple du maïs waxy de Corteva tel que décrit dans un dossier aux Etats-Unis et annoncé comme modifié par Crispr/Cas [2]. Pour obtenir ce maïs, les techniciens ont du suivre un protocole complexe : isolation de cellules de maïs – multiplication sur milieu artificielle – perforation des parois cellulaires – introduction de plusieurs transgènes codant le complexe Crispr/Cas – expression du complexe Crispr/Cas par des cellules – coupure du génome par Crispr/Cas en plusieurs endroits – réparation du génome par la cellule avec introduction de mutations – multiplication des cellules – sélection de cellules ayant une nouvelle caractéristiques – multiplication de ces cellules – régénération de plantes à partir de ces cellules multipliées – croisement multiple d’une plante OGM obtenue avec une variété élite pour modifier cette dernière et obtenir un OGM commercialisable.
Malgré cette complexité, l’entreprise Corteva affirme dans son dossier étatsunien que « les mêmes modifications [de la séquence des protéines] pourraient avoir été obtenues par des techniques d’amélioration conventionnelle« .
Ces nouvelles techniques donnent-elles des OGM ?
Au sens strict et légal du terme, selon la directive 2001/18, un OGM est « organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ». En 2018, la Cour de justice de l’Union européenne a rappelé à la Commission européenne et aux états-membres que toute techniques de modification génétique sans historique d’utilisation sans risque donne des OGM qui doivent être soumis à la réglementation OGM de l’Union européenne [3].
Face à cette décision de justice, la Commission européenne a donc proposé aux instances européennes en juillet 2023 d’adopter un nouveau cadre réglementaire pour ces OGM. Avec sa proposition, la Commission européenne souhaite que ces OGM obtenus par de nouvelles techniques ne fassent plus l’objet d’évaluation de risques, ne soient plus tracés ni étiquetés. Tant que cette proposition n’est pas formellement adoptée – si elle devait l’être – toute technique de modification génétique sans historique d’utilisation sans risque donne donc des OGM réglementés.
Peu de nouveaux OGM commercialisés…
Depuis dix ans, les Etats-Unis ont délivré près d’une centaine de feux verts de commercialisation d’OGM obtenus par de nouvelles techniques génomiques. Paradoxalement, très peu de ces OGM ont été concrètement commercialisés. En 2023, seuls six OGM modifiés par un protocole faisant appel à une nouvelle technique étaient recensés [4]. Il s’agit de :
– une moutarde au « piquant » réduit, par Pairwise (commercialisée en 2023) ;
– un soja à la composition en acide gras modifié, par Calyxt (la commercialisation, démarrée en 2019 fut finalement réduite progressivement face à des rendements moindres que ceux annoncés) ;
– un canola tolérant des herbicides modifiés, par Cibus ;
– deux pommes de terre à brunissement retardé et induisant moins d’acrylamide à la friture, de Simplot ;
– un colza Clearfield tolérant des herbicides, par BASF (commercialisé en France notamment).
Ailleurs dans le monde, de rares cas de commercialisation ont eu lieu, comme la tomate GABA au Japon.
… mais des brevets !
Toutes ces nouvelles techniques entrent dans le champ de la brevetabilité du vivant ! Voici à titre d’exemples quelques brevets délivrés pour certaines de ces nouvelles techniques : Cibus a déposé un brevet pour un canola obtenu par mutagénèse dirigée par oligonucléotides [5] ; Cellectis a déposé des brevets pour la technologie des nucléases à doigts de zinc, Corteva domine les brevets sur Crispr…
De fait, l’objectif principal de l’utilisation de ces techniques semble bien être l’appropriation du vivant via ces brevets. Devant le rejet massif des plantes transgéniques par la société civile, les multinationales semencières et de biotechnologies ambitionnent d’obtenir de faire valoir des droits de propriété industrielle type « brevet » (sur produits ou procédés) sur des plantes OGM qu’elles espèrent dérèglementées. Cette dérèglementation impliquant la suppression de toute traçabilité et de toute information du public, cela permettrait aux multinationales d’échapper à la fois à la législation sur les OGM et à l’ire du public contre les OGM [6].
Techniques nouvelles mais paradigmes anciens
Nouvelles ou pas, ces techniques relèvent de vieux paradigmes : au niveau génétique, celui d’un génome vu comme simple succession de lettres, comme un jeu de Lego ; au niveau agronomique, celui d’une vision simpliste des écosystèmes basée sur le principe « action / réaction » : une « mauvais herbe », un herbicide – une pyrale, un insecticide… Ajoutons un troisième paradigme, économique celui-ci : le brevet permet l’innovation alors que cet outil est actuellement, au contraire, utilisé pour augmenter les monopoles.
Or, le vivant doit être vu, étudié, respecté, dans sa complexité et sa globalité. Des acteurs demandent aussi que « l’amélioration variétale » soit conduite de façon préférentielle dans un contexte local et par les acteurs concernés (recherche participative) [7]. Changer de paradigme, c’est construire un nouveau chemin qui reste encore largement à inventer.