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Des OGM au menu de la COP 30
À l’heure où les États discutent à Belém (Brésil) des outils à mettre en place pour lutter contre le changement climatique, Inf’OGM souhaite apporter un éclairage particulier sur la place des biotechnologies dans ces négociations. Les entreprises des biotechnologies déploient plusieurs promesses : les OGM permettraient de lutter contre la faim dans le monde, mais aussi de lutter contre le changement climatique.
A plusieurs reprises, à l’occasion de la COP (Conférence des Parties) climat, l’industrie des biotechnologies a tenté de pousser ses innovations comme des outils pertinents dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.
Les industries biotechs en force à la COP30
A la COP 30, la présidence brésilienne s’active pour promouvoir les agrocarburants, qui émettraient moins de gaz à effet de serre que les carburants fossiles. Elle souhaite convaincre 19 autres pays (dont l’Inde, l’Italie et le Japon) de rejoindre son « Engagement de Belém pour les carburants durables» (ou Belém 4X)1 dont l’objectif est d’en quadrupler la production et l’utilisation d’ici à 2035. Or, à plus d’un titre, les agrocarburants sont problématiques. Au Brésil, comme nous le mentionnons dans notre podcast2, les agrocarburants sont souvent produits à partir de canne à sucre. Parmi les entreprises impliquées dans cette industrie au Brésil, on retrouve l’entreprise française Tereos3, qui possède notamment la marque de sucre Beghin-Say. Le Brésil a autorisé plusieurs levures transgéniques pour transformer officiellement la bagasse en éthanol. La bagasse, c’est le résidu fibreux de la canne à sucre une fois qu’on l’a pressée pour en extraire le sucre. La bagasse est considérée comme un déchet. Donc, en théorie, il n’y a pas de concurrence avec les cultures vivrières.
Cependant, une étude de la Fondation Getulio Vargas, réalisée en 2024, remet en cause cette image idyllique. Marcello Santana, chercheur à l’École brésilienne d’économie et de finances, qui dépend de cette fondation, explique qu’il existe deux façons d’augmenter la production de canne à sucre : replanter plus souvent ou étendre cette culture à de nouvelles superficies.
Citons directement la conclusion de cette étude : « notre étude a révélé que lorsque la production d’éthanol augmente au Brésil, seulement 8% du nouvel éthanol provient de la canne à sucre qui a été plantée de manière plus intensive. Les 92% restants proviennent de nouvelles zones ». Et de poursuivre : « dans cette recherche, nous avons identifié que 20% de ces nouvelles zones étaient à l’origine des forêts, ce qui implique la déforestation pour produire les plantes nécessaires pour produire ce biocarburant. 70% des nouvelles zones étaient soit des pâturages, soit elles cultivaient d’autres cultures, tels que le blé et le maïs ».
Pour le dire autrement, les carburants produits à partir de canne à sucre et de levures transgéniques ont participé à la déforestation au Brésil. Cette publicité d’un biocarburant produit uniquement par fermentation d’un déchet ne tient donc pas la route.
Les entreprises de l’agro-industrie ont décidé de s’impliquer massivement au sein de la COP 30. Ainsi, Bayer a payé 161 000 euros pour devenir un sponsor « diamant » de la COP30 et avoir sa place à l’Agrizone, le pavillon « agriculture durable » de la conférence. Elle a aussi restauré un bâtiment historique à Belém pour en faire la « Casa Bayer », un lieu de rencontre pour les acteurs politiques, économiques et civils pendant la COP. Bayer y met en avant ses semences, qu’elle qualifie de résilientes face au climat4.
De nombreuses autres conférences ou ateliers organisés par des multinationales vendent le paquet « agritech » (numérique, génétique, robotique) pour que l’agriculture devienne plus résiliente au changement climatique ou permette de réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES)5. Syngenta propose ainsi une discussion pour les experts intitulée « Farming for the Future: Boosting Agricultural Productivity While Protecting the Planet »6. Parmi les intervenants, notons la présence de Teresa Cristina Vendramini, ancienne présidente de la Société Rurale Brésilienne (Sociedade Rural Brasileira, SRB), qui a toujours soutenue la culture de soja génétiquement modifié pour tolérer des herbicides (notamment le RoundUp). Or, ces cultures ont participé à la déforestation de l’Amazonie et du Cerrado7 et, à ce titre, sont des émettrices importantes de GES.
De son côté, CropLife8 organise plusieurs événements pour les délégations, qui visent à faire reconnaître les apports des « solutions agricoles innovantes », notamment en biotechnologie9. L’argumentation générale est de dire qu’une agriculture plus productive grâce à des technologies modernes émet moins de GES par calories produites.
Les OGM promus dès les premières COP
L’idée que les OGM sont des alliés pour le climat ne date pas d’aujourd’hui. Petit retour historique.
Nous avons déjà évoqué dans notre podcast deux OGM éligibles aux crédits carbones10. En 2003, à Milan (Italie), lors de la COP 9, a été adopté que les entreprises et gouvernements des « pays du Nord » pourraient implanter des cultures d’arbres transgéniques à croissance rapide dans les « pays du Sud », dans le cadre des « Mécanismes de Développement Propre » que définit le Protocole de Kyoto. L’argument simpliste était que plus les arbres poussent vite, mieux ils peuvent jouer le rôle de puits de carbone. Outre les critiques formulées sur ces puits de carbone (besoin de protéger les arbres pour qu’ils ne meurent pas, interdiction d’usage du bois pour les populations locales…), l’utilisation des arbres transgéniques a été dénoncée comme empirant une solution déjà mauvaise du fait des risques propres qu’ils comportent.
Des projets d’arbres pour stocker plus de carbone continuent toutefois de se développer, comme en témoigne l’entreprise Living Carbone. En avril 2025, Microsoft s’est engagée à acheter 1,4 million de tonnes de crédits carbones à Living Carbon pour un projet de reforestation mené sur un peu plus de 10 000 hectares de terres minières dans la région des Appalaches. Ces crédits carbones sont certifiés par Isometric11. Nous estimons que, sur cette surface, entre 15 et 20 millions d’arbres devront être plantés. De quel type d’arbre s’agit-il ? Impossible de le savoir. En tout cas, Isometric n’a pas exclu explicitement les arbres OGM de sa méthodologie. L’information est d’autant plus difficile à obtenir que les agences étasuniennes ont considéré que ces peupliers transgéniques pouvaient être plantés sans autorisation. Et aucune obligation de tenir un registre public n’est exigée.
L’autre « innovation » est la technologie NUE, pour Nitrogen Use Efficiency, ou « efficacité de l’utilisation de l’azote ». Mis au point par Arcadia BioScience, ce procédé est censé créer des plantes transgéniques qui permettraient d’épandre moins d’engrais azotés. Or, les engrais industriels émettent du protoxyde d’azote, un puissant gaz à effet de serre. Arcadia BioScience a signé des accords de licence avec des grandes entreprises semencières, comme Monsanto (désormais Bayer), Dupont et Vilmorin. En 2012, la technologie NUE a été rendue éligible aux crédits carbones12. Cette technologie est-elle efficace ? Impossible de le savoir : aucune donnée objective n’a été publiée. Verra, le certificateur de crédit carbone, qui avait validé cette technologie, l’a abandonnée en 2023. Interrogé par Inf’OGM, Verra nous précise que c’est « faute d’utilisation ».
Une deuxième méthodologie plus large a été accréditée : elle comprend des semences NUE, mais aussi des pratiques de gestion des engrais. Elle a été elle utilisée dans 35 projets, mais impossible de savoir si ces projets concernent ou pas l’utilisation de semences NUE. Concrètement, les plantes transgéniques NUE sont des variétés hybrides F1 sélectionnées pour être cultivées selon les principes de l’agriculture industrielle. Donc, si ces semences permettent réellement une meilleure absorption des engrais azotés, ce qui encore une fois n’a jamais été démontré sur le terrain, ceci ne compensera pas les émissions de gaz à effet de serre inhérentes à ce type d’agriculture.
Lors de la COP 25, en 2019 à Madrid (Espagne), la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté le Pacte vert. Dans une version provisoire, qu’Inf’OGM13 s’est procurée, la Commission annonce que l’innovation, et notamment les « nouvelles techniques génomiques », sont nécessaires pour « s’adapter au changement climatique et améliorer la durabilité des systèmes alimentaires ». La mention des OGM à peine déguisée derrière cette nouvelle expression a disparu de la version finale. Mais en 2021, lors de la COP 26 à Glasgow (Écosse), l’idée est à nouveau revenue sur la table des négociateurs.
C’est à l’occasion de cette même COP 26 que l’initiative américano-émiratie « AIM [Agricultural Innovation Mission] for Climate » a été officiellement lancée14. Il s’agissait là encore de promouvoir les OGM et une réglementation moins contraignante pour faciliter leur diffusion. Parmi les entreprises impliquées, on trouve par exemple Pivot Bio, qui modifie génétiquement des microbes pour leur faire produire de l’azote. Karsten Temme, dirigeant de et co-fondateur de l’entreprise, explique que, dans le cadre de son partenariat avec « AIM for Climate », son entreprise « [rassemblera] les meilleurs esprits et les meilleures idées afin d’accélérer le rythme de développement de nos produits et d’accroître l’accès des agriculteurs à une source d’azote fiable et durable ». Interrogé par Inf’OGM, un représentant de la Commission européenne confie que cette dernière a annoncé, au titre de son partenariat avec « AIM for Climate », 750 millions d’euros d’investissements dans la recherche et l’innovation « pour une agriculture intelligente face au climat pour les années 2021 et 2022 confondues ». Ce montant correspond au financement disponible dans le cadre des appels à projets des programmes de travail d’Horizon Europe pour les années 2021 et 2022, en particulier les sujets du cluster Horizon Europe 6 (« Alimentation, bioéconomie, ressources naturelles, agriculture et environnement ») et de la mission « Un accord sur les sols pour l’Europe ».
1 Biocarburants avancés Canada, « Biocarburants avancés Canada salue l’engagement du Canada vis-à-vis de Belém 4X en faveur des carburants durables », 7 novembre 2025.
2 « Agrocarburants, pire que le pétrole ? », Inf’OGM, 1er octobre 2025
3Christophe Noisette, « Brésil – Le sucre de canne transgénique arrive », Inf’OGM, 9 mars 2018.
4 Channel World Seed by ISF, « #WorldSeed2025: « Climate Resilience Starts with Seeds: Our roadmap to Brazil COP30 » », 19 mai 2025.
5 « Agritech : nouvelle dépendance pour les paysans », Inf’OGM.
6 Syngenta Group, « COP30 in Brazil: Five Innovative Solutions for Sustainable Agriculture and Global Food Security », 13 octobre 2025.
7 Christophe Noisette, « Soja : le Cese condamne la déforestation importée », Inf’OGM, 25 juin 2020.
Christophe Noisette, « Le soja en Amérique latine : chance ou cauchemar ? », Inf’OGM, le journal, n°157, novembre/décembre 2019.
8 Denis Meshaka, « Des multinationales pro-OGM gèrent indirectement la banque de semences du Svalbard », Inf’OGM, 28 novembre 2024.
9 CropLife Brasil, « A CropLife Brasil estará na COP30, em Belém, levando a voz da agricultura tropical para o centro do debate climático », 8 novembre 2025.
10 « L’arbre qui cache les biotech », Inf’OGM, 15 octobe 2025.
11 Isometric, « Reforestation ».
12 Arcadia Biosciences, « U.N. Clean Development Mechanism Approves Arcadia Biosciences Methodology, Links Carbon Credits to Crop Genetic Improvements for First Time », 19 décembre 2012.
13 Christophe Noisette, « Changement climatique : « ne changeons rien » ! », Inf’OGM, le journal, n°158, janvier/mars 2020.
14 Charlotte Krinke, « Le changement climatique : une opportunité pour les OGM ? », Inf’OGM, 15 décembre 2022.


