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L’avis de la Haute autorité provisoire sur le Mon810 soulève des questions et réveille les lobbies
Le 9 janvier 2008, Jean-François Legrand, Sénateur UMP de la Manche et Président du comité de préfiguration d’une Haute Autorité sur les OGM, a déclaré que des éléments scientifiques nouveaux instauraient des « doutes sérieux » quant à l’innocuité environnementale du maïs Mon810 de Monsanto [1]. Ces doutes concernent entre autres les impacts du maïs Mon810 sur la faune environnante (notamment le lombric, espèce clé des écosystèmes), sur des insectes non cibles (lépidoptères) et sur la faune aquatique (du fait de la persistance sur de longues distances du transgène et de la toxine en milieu aquatique). Le comité a également montré l’insuffisance des analyses toxicologiques présentes dans le dossier européen d’autorisation ; et il a émis des doutes sur la qualité des précédentes évaluations sur les distances de disséminations du pollen. Le comité recommande des études sur la variabilité de la protéine insecticide Bt, sur les impacts du maïs Mon810 sur les abeilles ainsi que sur d’autres animaux que le rat, modèle utilisé actuellement en laboratoire. Des études d’impacts du maïs Mon810 sur les différents systèmes agricoles et des études sur son intérêt pour l’agriculture en général sont également conseillées par le comité. Seule qualité mise en avant par les experts : le maïs Mon810 entraîne une forte diminution de la présence des mycotoxines… mais la comparaison a été réalisée avec un maïs hybride non traité chimiquement.
Levée de boucliers
Cet avis a été accueilli favorablement par des chercheurs (Gilles-Eric Séralini, de l’Université de Caen, ou Pierre-Henri Gouyon, du Museum d’Histoire Naturelle…), des associations de protections de l’environnement, des syndicats comme la Confédération paysanne, la Coordination Rurale… Mais ce sont les réactions négatives qui ont surtout marqué les médias. En tête de cortège, le Président de l’Assemblée Nationale, Bernard Accoyer, pour qui cette décision ne se base pas sur des arguments scientifiques : « Nous ne pouvons nous satisfaire de tels verdicts d’un comité nommé avec peut-être un peu de précipitation, qui serait l’autorité incontestable […]. J’attends que la France prenne des décisions qui soient fondées sur de véritables conclusions scientifiques et non pas sur des préjugés, une certaine peur de l’avenir » [2]. Monsanto a de même émis « des doutes sérieux » [sur cette évaluation de la Haute Autorité]. Mais la réaction la plus surprenante est venue des membres même de la Haute autorité provisoire : douze des 15 membres du collège scientifique et deux du collège économique, éthique et social de la Haute Autorité – qui comporte au total 34 membres + un Président) ont précisé que l’expression « doutes sérieux » ne se trouve pas dans le projet d’avis et qu’ils n’ont pas qualifié les éléments nouveaux comme « négatifs ». Selon eux, les termes exacts du document « représentent des interrogations quant aux conséquences environnementales, sanitaires et économiques et soulignent la publication de plusieurs faits scientifiques nouveaux qui concernent l’impact du MON 810 ». Le texte dénonce également le manque de temps, qui « ne leur a pas permis de réaliser une expertise plus complète et de relire sereinement l’avis avant sa diffusion » [3]. Des conditions de fonctionnement qui devraient rejoindre les demandes des opposants aux PGM qui insistent pour que les avis de la Haute Autorité à venir soient pris en séance plénière.
Le Sénateur Legrand persiste et signe
Mais le sénateur Legrand se défend : « le texte a été relu ligne par ligne, mot par mot, référence scientifique par référence scientifique. Et il a été validé par tout le monde, y compris par les 14 scientifiques en question. Le comité a mis en avant quatre faits scientifiques nouveaux et neuf questions insuffisamment prises en compte dans l’évaluation des OGM. Que l’on veuille jouer sur la sémantique me paraît curieux comme débat […]. J’ai commis une faute lors de la présentation de l’avis aux ministres Jean-Louis Borloo et Nathalie Kosciusko-Morizet. J’ai dit : « Voilà le résultat écrit de nos observations » puis j’ai conclu, au regard des faits scientifiques nouveaux et des questions en suspens, qu’il existe des « doutes sérieux » [sur le MON810]. Cette expression ne figure pas dans le document. Mais le comité constate qu’il n’y a encore pas d’études sur les effets endocriniens [modifiant le taux de certaines hormones, NDLR], tératogènes [provoquant des malformations, NDLR] et transgénérationnels du MON810 : il y a de quoi émettre des « doutes sérieux » ! […] Je ne dirai qu’une chose : les lobbies sont puissants. C’est pour cela que j’ai deux certitudes : la future Haute autorité sur les OGM devra inclure des membres sans lien direct ou indirect avec les OGM et la seule réponse au doute, c’est de diligenter une recherche publique indépendante « [4].
Pour son premier avis, le comité de préfiguration de la Haute Autorité aura donc fait mieux que la commission précédente (la CGB), dont les avis sur les dossiers d’autorisation, toujours positifs, ne récoltaient guère de réactions. On se demande comment la prochaine Haute Autorité pourra répondre sereinement aux demandes d’autorisation expérimentales ou commerciales…
Le gouvernement déclenche la clause de sauvegarde…
Malgré cette polémique, le gouvernement a annoncé, le 11 janvier, sa décision d’activer la clause de sauvegarde dans les jours qui viennent, permettant d’interdire, pour une durée donnée, l’utilisation commerciale d’une PGM. Pour cela, le gouvernement a repris l’intégralité des questions posées par la Haute Autorité ainsi que les études scientifiques conduisant à de telles interrogations. Selon l’article L. 535-2 du Code de l’environnement, traduction en droit interne de la clause de sauvegarde, l’entreprise concernée par l’autorisation suspendue, en l’occurrence ici Monsanto, a 15 jours pour y répondre à réception de la lettre recommandée, soit jusqu’à vendredi 1er février 2008. Contactée par Inf’OGM, Monsanto nous a précisé qu’elle répondra « très sérieusement » à cette demande. C’est maintenant à la Commission européenne de saisir ses experts afin de décider, sur base de leur avis, si elle propose aux autres Etats membres de contester ou non cette décision française comme elle a pu le faire par le passé avec l’Autriche et la Pologne (cf. ci-dessous).
Depuis cette décision, Xavier Beulin, représentant de la FNSEA, a annoncé se retirer du Comité de Préfiguration de la Haute autorité car il « considère que ce Haut comité a servi uniquement de faire-valoir à un compromis » (5). De même le ministre espagnol de l’Agriculture a critiqué « des décisions unilatérales » qui risquent de créer des distorsions sur le marché international des céréales. L’Espagne cultive environ 60 000 hectares de maïs transgénique.
Le maïs Mon810 est autorisé à la culture dans l’Union européenne et donc en France depuis avril 1998. Il est actuellement en cours de réévaluation au niveau européen car une demande de renouvellement d’autorisation, rendue nécessaire par la directive européenne 2001/18, a été déposée en avril 2007 par Monsanto. La démarche actuelle française se base sur le droit de chaque Etat membre à prononcer une interdiction de commercialisation d’une PGM en cas de nouvelles données scientifiques arguant de risques potentiels sur l’environnement et / ou la santé (clause de sauvegarde de la directive 2001/18).
…mais accorde une enveloppe à la recherche sur les biotechnologies.
Dans le communiqué de presse annonçant le déclenchement de la procédure en vue de mettre en place la clause de sauvegarde, le gouvernement a aussi annoncé « un plan sans précédent d’investissement dans les biotechnologies végétales de 45 millions d’euros, soit une multiplication par 8 des budgets actuels ». Plus récemment, Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, précisait, lors d’une visite au centre Inra d’Orléans où sont expérimentés des peupliers transgéniques (cf. brève ci-dessous) : « Le gouvernement a pris la semaine dernière une décision équilibrée. D’un côté, nous avons appliqué le principe de précaution en suspendant la culture du maïs transgénique MON810 suite aux “interrogations” formulées par la Haute Autorité sur les OGM. Mais, pour autant, nous n’avons pas mis un coup d’arrêt aux biotechnologies. Nous avons au contraire le devoir de relancer les recherches dans ce domaine si nous voulons répondre aux défis alimentaires et environnementaux de demain. Alors que la Terre va bientôt compter 9 milliards d’habitants, la France doit garder sa recherche agronomique, qui est la deuxième au monde. C’est une question d’indépendance nationale ». L’amalgame entre OGM et biotechnologies, souvent dénoncé par les associations, semble donc toujours en vigueur. Par ailleurs, la ministre n’a pas précisé la destination de ces nouvelles subventions, mentionnant seulement que cette enveloppe alimenterait les appels à projets « allant du très fondamental au très appliqué », via l’Agence nationale de la recherche (ANR) et l’Inra. Elle a également souhaité que cet effort soit mené avec l’Allemagne qui vient aussi d’adopter un plan pluriannuel de recherche d’une ampleur équivalente en lien avec le secteur privé. Notons qu’en 2007, l’ANR n’a reçu que six projets de recherche sur les OGM, contre 20 en 2006. Enfin, sur le fond du dossier, la ministre a tenu à préciser : « Diaboliser les OGM globalement, cela n’a pas de sens. Il n’y a rien de commun entre le maïs MON810, les peupliers d’Orléans et les tabacs génétiquement modifiés qui fabriquent des substances anti-cancéreuses. Il faut regarder chaque OGM au cas par cas ».
Le débat est encore loin d’être résolu, et la clause de sauvegarde n’est qu’un élément parmi d’autres pour évaluer la politique actuelle du gouvernement en la matière.