OGM dans l’UE : un encadrement perfectible
Après vingt ans d’existence de la directive 2001/18, cet article dresse le bilan de sa mise en œuvre. Dans quelle mesure les besoins de précaution et de transparence qui ont fait naître la réglementation européenne sur les OGM sont-ils satisfaits ? Les points défaillants sont nombreux : contournée par une autre directive pour les autorisations, déficiente sur l’étiquetage, absence de l’évaluation de la réglementation, etc.
La directive 2001/18 est guidée par des objectifs principaux : la protection de l’environnement et la protection de la santé humaine et animale [1] face aux risques qu’implique la dissémination d’organismes génétiquement modifiés. Elle vise aussi à assurer un étiquetage clair et une traçabilité des OGM grâce à un cadre législatif « complet et transparent ». Ces objectifs ont-ils été atteints ?
Une culture commerciale devenue « à la carte »
Après 20 ans, il ne reste plus qu’un seul OGM autorisé à la culture commerciale sur le territoire de l’Union européenne (le maïs MON810, maïs génétiquement modifié pour produire une toxine qui cible les insectes nuisibles du maïs) [2]. Dix-huit pays ont adopté des mesures nationales (moratoires) pour interdire cette culture sur leur territoire. La France l’a fait dès 2008, ce qui a donné lieu à un contentieux judiciaire important avant qu’une exemption nationale de culture soit autorisée par la réglementation elle-même, grâce à révision de la 2001/18 adoptée en janvier 2015 (voir encadré ci-dessous).
Interdiction de culture commerciale justifiée par des aspects socio-économiques
L’évaluation socio-économique s’intègre dans la réglementation européenne avec la directive 2015/412, dite Op-out [3], pour donner la possibilité aux États de ne pas autoriser la culture d’un OGM pour des motifs autres que ceux liés à la santé ou à l’environnement : objectifs de politique environnementale, aménagement du territoire, affectation des sols, incidences socio-économiques, etc.
Avant cette révision, huit pays avaient déjà adopté un moratoire sur la culture : France, Allemagne, Pologne, Autriche, Hongrie, Bulgarie, Grèce, Italie. Par la suite, dix autres pays ou régions ont utilisé la directive 2015/412 pour adopter un tel moratoire [4].
Une culture expérimentale nationalisée
La principale source d’autorisation de culture d’OGM en Europe provient des autorisations d’essais en champs délivrées à des entreprises ou à des centres de recherche. Ceux-ci sont gérés directement par les États membres qui sont responsables de l’autorisation et du suivi des essais en champ réalisés sur leur territoire. La Commission demande seulement la liste des demandes d’autorisation en champ avec leur notification. En juin 2020, Inf’OGM a effectué un bilan et une analyse des autorisations des essais en champ [5]. Depuis, six autres notifications d’essais en champ de plantes génétiquement modifiées ont été transmises à la Commission [6]. Ce qui porte le nombre de dossiers notifiés de 2003 à août 2021 à 886. Les essais en champs ont pour la plus grosse partie concernés du maïs génétiquement modifié en Espagne au cours des années 2000. Depuis 2011, un déclin des essais en champs apparaît pour atteindre un nombre de notifications qui se compte sur les doigts d’une main en 2020.
Mise sur le marché d’OGM : la 2001/18 concurrencée par la 1829/2003
Si la culture d’OGM transgéniques dans l’Union européenne n’a jamais été très importante – par rapport à d’autres pays – et que cette culture est en déclin, de très nombreux OGM sont autorisés sur le marché en tant que produit ou élément de produit et entrent sur le territoire européen via les importations (principalement soja) [7] [8].
La directive 2001/18 encadre l’autorisation de toute dissémination volontaire dans l’environnement d’un OGM : mise sur le marché, cultures ou importations en tant que produit. Mais en réalité, toutes les demandes d’autorisation de mise sur le marché passent aujourd’hui par le règlement 1829/2003 à cause d’un glissement de la pratique de la Commission. Même celle concernant la culture, la seule plante transgénique aujourd’hui autorisée à la culture commerciale en Europe, le maïs MON810, l’a été sous ce règlement [9]. Cela principalement car, bien que les deux textes aient des procédures similaires, dans le cadre du règlement 1829/2003, qui concerne « les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés », les procédures d’évaluation notamment sont moins exigeantes [10]. De plus, ce glissement s’accompagne d’autres allègements qui entament les objectifs de précaution et de transparence de l’encadrement des OGM [11].
Ainsi, sous la directive 2001/18, il y a actuellement huit OGM autorisés à la mise sur le marché (tous des œillets génétiquement modifiés, car ils ne peuvent pas faire l’objet d’une autorisation à destination alimentaire). Le règlement 1829/2003 regroupe toutes les autorisations d’autres plantes génétiquement modifiées car elles ont fait l’objet d’une demande d’autorisation en tant que produit à destination alimentaire. Il s’agit de soja, du maïs, du coton, du colza et d’une betterave sucrière. Il sont à destination de l’alimentation animale ou humaine et de la production d’agrocarburant pour le colza.
Un étiquetage déficient
La réglementation européenne impose un étiquetage obligatoire des produits contenant des OGM ou élaborés à partir d’OGM. Tous les aliments qui contiennent plus de 0,9 % d’OGM par ingrédient doivent être étiquetés. Il y a peu de produits alimentaires contenant des OGM ou à base d’OGM dans l’UE aujourd’hui car les consommateurs n’en sont pas friands et que les distributeurs essaient de séparer les filières. Il existe cependant des exceptions à l’étiquetage : les produits issus d’animaux nourris avec des OGM, les produits servis dans les restaurants et cantines et les OGM cachés (c’est-à-dire les OGM issus de mutagénèse in vitro, qui devraient être étiquetés mais qui ne le sont pas).
La directive 2001/18 dit que « les États membres et la Commission se rencontrent régulièrement et échangent des informations sur l’expérience acquise en matière de prévention des risques liés à la dissémination et à la mise sur le marché d’OGM » (article 31). Elle prévoit une évaluation tous les trois ans de l’application de la directive avec un rapport que la Commission doit publier en se basant sur les informations que les États membres doivent lui fournir [12]. Puis, « la Commission publie une synthèse se fondant sur les rapports visés » précédemment. La Commission devait élaborer et envoyer un tel rapport au Parlement et au Conseil tous les trois ans à partir de 2001. Il aurait donc dû y avoir six rapports a minima depuis 2001. La directive précise qu’un tel rapport pouvait être accompagné « le cas échéant, d’une proposition visant à modifier la présente directive ».
La réglementation OGM : mal évaluée
Sur la page « évaluation de la législation OGM » du site internet de la Commission européenne [13], il est mentionné que deux cabinets de conseil différents ont évalué la législation existante sur les OGM entre 2009 et 2011, en se concentrant sur les aspects liés à la culture des OGM et aux denrées alimentaires humaines et animales et sont plus restreintes que l’évaluation de l’ensemble de la dissémination et de la mise sur le marché d’OGM comme initialement prévu. Ces évaluations ne sont donc pas menées par la Commission elle-même sur la base de ses échanges avec les États membres. D’autre part, Inf’OGM a demandé au gouvernement français les rapports que la France aurait pu écrire et transmettre à la Commission tous les trois ans : cette demande est restée sans réponse.
À la place de l’évaluation prévue par la directive 2001/18, la Commission a réalisé des études ponctuelles sur des thématiques spécifiques dont la dernière en date a été publiée en avril 2021 [14]. Cette dernière mentionne que « l’étude fournit des éléments de fait confirmant les conclusions des évaluations antérieures de la législation sur les OGM, qui indiquaient que certaines des nouvelles techniques créent de nouvelles difficultés pour le système réglementaire ».
Cependant, ce passage du rapport ne se reporte pas aux conclusions mentionnées et ne précise pas la source de cette affirmation.
La directive est aujourd’hui remise en cause par la Commission européenne et certains États membres. La réglementation sur les OGM n’est plus adaptée et doit faire peau neuve selon leurs dires. Pourquoi ce constat n’est-il pas appuyé par une réelle évaluation au fil du temps de la directive et son application comme cela aurait dû être fait ? Vingt ans de législation européenne sur les OGM montrent que la culture des plantes transgéniques est restée très marginale en Europe et que les OGM sont présents en Europe lorsque le respect de la précaution et de la transparence sont détricotés. Or, quelle évaluation d’une législation peut honnêtement conclure que la transparence et la précaution ne sont plus souhaitables pour encadrer ce qu’elle encadre ?
[1] Ils sont énoncés aux considérants 4 et 5 : « Les organismes vivants disséminés dans l’environnement, en grande ou en petite quantité, à des fins expérimentales ou en tant que produits commerciaux, peuvent se reproduire dans l’environnement et franchir les frontières nationales, affectant ainsi d’autres États membres. Une telle dissémination peut produire des effets irréversibles sur l’environnement » et « la protection de la santé humaine demande qu’une attention particulière soit accordée au contrôle des risques résultant de la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés (OGM) dans l’environnement ».
[2] D’autres plantes transgéniques ont pu être autorisées mais ont depuis été retirées parfois sans jamais avoir été cultivées : la pomme de terre Amflora, trois variétés de colza et six variétés de maïs, voir , « Les OGM autorisés dans l’Union européenne », Inf’OGM, 21 juin 2017
[3] , « UE – Interdictions des OGM : qui, de l’OMC ou de la Commission, aura le dernier mot ? », Inf’OGM, 15 juillet 2015
[5] , « UE – Moins d’essais en champs, mais avec des nouveaux OGM », Inf’OGM, 2 juin 2020
[6] Un essai d’arbre en Suède, deux tabacs en Espagne, une pomme de terre en Suède, un orge en Islande et un peuplier en Belgique.
[7] , « Les OGM autorisés dans l’Union européenne », Inf’OGM, 21 juin 2017
[8] , « Qui cultive des OGM et où en produit-on dans le monde ? », Inf’OGM, 18 novembre 2022
[9] DÉCISION D’EXÉCUTION (UE) 2017/1207 DE LA COMMISSION du 4 juillet 2017 renouvelant l’autorisation de mise sur le marché de produits du maïs génétiquement modifié MON 810 (MON-ØØ81Ø-6) en application du règlement (CE) no 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil [notifiée sous le numéro C(2017) 4453]
[10] , « UE – Les procédures 1829/2003 et 2001/18 imposent-elles les mêmes obligations ? », Inf’OGM, avril 2009
[11] voir , « OGM dans l’UE : une directive progressivement allégée », Inf’OGM, 30 décembre 2021
[12] Tous les trois ans, « les États membres envoient à la Commission un rapport sur les mesures prises pour la mise en œuvre de la présente directive. Ce rapport comporte un compte rendu succinct de leur expérience de la mise sur le marché d’OGM en tant que produits ou éléments de produits conformément à la présente directive ».
[13] Evaluation of GMO legislation,
consulté le 21 juillet 2021.
[14] ,
, « OGM – La Commission européenne envisage de changer la législation », Inf’OGM, 29 avril 2021