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Nouveaux OGM : les experts s’en remettent aux semenciers
La réunion biennale des représentants des comités d’experts nationaux sur les OGM a eu lieu à Berlin en novembre 2019. L’association des semenciers allemands était conviée à une session dédiée à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne de juillet 2018, qui, rappelons-le, précisait que toutes les nouvelles techniques de mutagénèse donnent des OGM réglementés. Au cours de cette session, au cours de laquelle la société civile n’a pas fait de présentation, l’association des semenciers allemands a présenté son analyse critique de cet arrêt.
Tous les deux ans depuis 2006, les comités nationaux d’experts sur les OGM de chaque État membre de l’Union européenne (en France, il s’agit du HCB) se réunissent pour « des échanges scientifiques internationaux d’expérience […] pour renforcer l’évaluation des risques et assurer la biosécurité » [1]. La réunion des 6 et 7 novembre 2019 derniers était la première rencontre de ces représentants après que la Cour de justice de l’Union européenne ait arrêté que toutes les techniques de mutagénèse sans historique d’utilisation sans risque donnent des OGM réglementés [2].
Les semenciers allemands conviés autour de la table
Une partie de la réunion était dédiée à échanger sur « les conséquences et implications » de cet arrêt, avec le témoignage de l’Association allemande des obtenteurs [3]. Cette dernière a expliqué aux experts nationaux qu’elle perçoit négativement cette décision pour des raisons économiques.
Les semenciers ont d’abord rappelé que la mise au point d’une nouvelle variété, de l’étape de recherche fondamentale à celle de la production commerciale, peut prendre « jusqu’à 25 ans pour un coût allant de 1,5 à 5 millions d’euros ». Dans ce cadre, les nouvelles techniques de modification génétique, y compris les techniques ou méthodes nouvelles de mutagénèse auxquelles s’appliquent l’arrêt de la CJUE, permettraient d’induire « une altération précise et intentionnelle d’une propriété végétale, d’améliorer l’efficacité des procédés d’amélioration en l’absence de rétro-croisements laborieux et chronophages et en réduisant le temps nécessaire en recherche et développement ». Ces techniques pourraient être utilisées sur la plupart des cultures, expliquent-ils, et « limitent les altérations aux seuls effets désirés ». Les semenciers nient donc les effets non intentionnels qui sont pourtant bien documentés.
Pas d’encadrement législatif des nouveaux OGM
L’arrêt de la CJUE aura plusieurs conséquences selon l’association allemande des obtenteurs. La première d’entre elles serait que « des plantes ayant la même mutation seront soumises à des requis réglementaires très différents ». Puisque selon eux les nouvelles techniques de modification génétique n’entraînent aucun effet non intentionnel, une plante mutée issue d’une technique de sélection traditionnelle serait strictement identique à une plante ayant la même mutation mais obtenue par de nouvelles techniques de mutagénèse (un OGM réglementé).
Une seconde conséquence de l’arrêt de la CJUE serait, comme cela a déjà été argumenté lors de l’encadrement législatif des OGM transgéniques dans les années 90, que les activités économiques de recherche et développement n’auraient plus lieu en Europe. Selon les semenciers allemands, réglementer les nouvelles techniques de mutagénèse par la législation OGM « empêcherait les petites et moyennes entreprises de développer et utiliser ces méthodes, éroderait la compétitivité, […] favoriserait l’avantage économique des entreprises hors de l’Union européenne et chasserait l’excellence scientifique européenne hors d’Europe ». Une affirmation qu’un article scientifique récent [4] a néanmoins relativisé mais qui reste un argument des entreprises demandant la dérèglementation des nouveaux OGM. Pas à court d’arguments, les semenciers allemands ajoutent que les agriculteurs, transformateurs et autres consommateurs européens auraient moins de choix dans les produits à leur disposition. Sans compter que la capacité de l’Union européenne à atteindre ses « objectifs de mise en place d’une agriculture européenne durable » serait compromise !
Quand les experts veulent remplacer les politiques…
Pour toutes ces raisons, l’association des semenciers allemands souhaite que les plantes développées avec « les dernières méthodes d’amélioration variétale ne soient pas soumises à la législation OGM si la [modification génétique] est le fruit d’une mutagénèse spontanée ou induite » [5], si elle contient uniquement une « insertion stable de matériel génétique provenant d’une espèce végétale sexuellement compatible » ou enfin, si « la nouvelle combinaison de matériel génétique avait pu être obtenue par recombinaison naturelle ». Elle conclut que « les variétés végétales développées avec les dernières méthodes d’amélioration ne devraient pas être soumises à des réglementations différentes ou additionnelles si elles avaient pu être obtenues par d’anciennes méthodes d’amélioration ou par procédé naturel ». Si on prend en compte les seules affirmations des entreprises – à savoir l’absence d’effet non intentionnel ou la maîtrise et précision de ces nouvelles techniques -, il ne resterait guère plus que les OGM transgéniques qui seraient réglementés.
Les experts nationaux présents à cette réunion ont conclu que « la majorité des comités consultatifs est tombée d’accord sur la nécessité de changer la réglementation européenne sur les OGM » [6]. Une réflexion sur la pertinence de préparer une déclaration commune à propos d’une « future réglementation raisonnable sur les nouvelles techniques moléculaires » est annoncée. Une décision pour le moins étonnante car on notera que l’organisation de l’atelier sur l’arrêt de la CJUE n’a pas veillé à contre-balancer la parole des semenciers allemands avec celle d’associations, syndicats paysans, transformateurs, ou entreprises qui réclament la mise en œuvre de l’arrêt de la CJUE sans changement de la législation européenne. Et les comités scientifiques nationaux n’ont pas dans leur mission sociétale de faire des recommandations législatives, sauf à en avoir reçu le mandat précis, ce qui n’est pas indiqué dans le compte-rendu.
[1] http://www.zkbs-online.de/ZKBS/EN/9th%20MEACB/9th%20MEACB_node.html;jsessionid=0AED36DAAE188A5391D93F5528CA322A.2_cid350
[2] Une exemption concerne les techniques de mutagénèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps, voir , « Europe – Les nouveaux OGM sont des OGM comme les autres », Inf’OGM, 25 juillet 2018
[3] http://www.zkbs-online.de/ZKBS/SharedDocs/Downloads/EN/Matzk_MEACB_2019.html;jsessionid=121A19C71D4929C55B54CC917E1E80CA.1_cid332?nn=12430034#download=1
[4] www.researchgate.net/publication/338069904_The_Economics_of_Regulating_New_Plant_Breeding_Technologies_-_Implications_for_the_Bioeconomy_Illustrated_by_a_Survey_Among_Dutch_Plant_Breeders
[5] On précisera ici que seules les mutations peuvent être spontanées. La technique de mutagénèse ne peut être spontanée puisque nécessairement induite par un facteur quelle que soit sa nature.
[6] cf. note 1.