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États-Unis – Le principe de précaution pour les animaux OGM ?
Aux États-Unis, un projet de lignes directrices, mis sur la table par l’Agence en charge de l’Alimentation et des Médicaments (FDA), prévoit de réglementer tout animal dont le génome a été modifié. L’approche choisie englobe quasiment toutes les biotechnologies modernes de modification génétique, au-delà des seules techniques consistant à insérer de l’ADN exogène. De quoi mécontenter les acteurs pro-OGM. Le dossier qui pourrait être requis pour obtenir une autorisation de commercialisation répond en partie aux rêves les plus fous des militants européens critiques des OGM…
Aux États-Unis, les modifications génétiques du génome d’animaux entrent dans la catégorie juridique des « nouveaux médicaments vétérinaires ». Elles sont en effet couvertes par la définition légale des médicaments, laquelle inclut tous les éléments (autres qu’alimentaires) « qui sont destinés à agir sur la structure ou sur toute fonction du corps humain ou d’autres animaux » [1].
Depuis 2009, l’encadrement de ces animaux était donc assuré par l’Agence en charge de l’Alimentation et des Médicaments (FDA) qui restreignait son travail aux seuls animaux génétiquement modifiés « ayant des constructions d’ADN recombinant héritable » [2]. Un animal modifié génétiquement par insertion d’une séquence génétique exogène était donc réglementé contrairement à un animal modifié génétiquement pour avoir une mutation, une délétion de séquences mais pas d’insertion. Mais, en 2017, la FDA a entamé un processus de révision de ses lignes directrices, deux ans avant le ministère de l’Agriculture (article d’Inf’OGM à paraître). Ces lignes directrices n’auront pas force de loi mais les entreprises seraient avisées de les respecter si elles ne veulent pas essuyer un refus systématique de leur demande d’autorisation…
Les États-Unis rattrapent la législation européenne
Les animaux génétiquement modifiés (OGM) que la FDA envisage d’encadrer demain ne seront plus ceux ayant connu en laboratoire une insertion d’ADN exogène mais tous ceux modifiés génétiquement pour avoir une « altération volontaire » de leur génome, quelle que soit la nature de cette altération. En choisissant cette formulation plus large, la FDA élargit volontairement son champ d’intervention à toutes les « technologies moléculaires modernes, qui peuvent inclure les changements aléatoires ou ciblés de séquence d’ADN dont les insertions de nucléotides, les substitutions ou les délétions ». Et, anticipant la mise au point d’autres techniques, la FDA ajoute à sa liste toutes « autres technologies qui introduisent des changements spécifiques dans le génome d’un animal ». Ces lignes directrices s’appliqueront aussi aux descendants éventuels de ces animaux.
Une exception néanmoins, ces lignes directrices précisent ne pas concerner « l’amélioration par sélection ou d’autres technologies de reproduction assistée parmi lesquelles la mutagénèse aléatoire suivie de sélection phénotypique », sans que ces termes ne soient définis.
Les États-Unis appliquent le principe… de précaution !
Les lignes directrices détaillent également les informations demandées par la FDA, censées lui permettre de prévenir tout risque éventuel. Sans être nommé, un principe de précaution semble bien à la base de cette proposition. Ainsi, avant toute autorisation commerciale de ces animaux GM, la FDA souhaite notamment s’assurer que la ou les modification(s) génétique(s) générée(s) ne pose(nt) pas de risque sanitaire ou environnementaux, ou encore que « toutes questions de sécurité aient bien été prises en compte par le pétitionnaire ».
Le dossier demandé aux pétitionnaires devra comporter une description de l’animal GM, le nom et la fonction de la séquence d’ADN modifiée volontairement, et le nombre et lieu de ces modifications dans le génome. Une nouvelle information, non exigée dans les lignes directrices de 2015, est celle devant renseigner « des modifications hors-cible, d’insertions [de nucléotides] non prévues, de substitutions [c’est-à-dire de mutation] ou de délétions », ainsi que la « caractérisation complète » du site de la modification. La FDA prend ici acte que de tels effets non intentionnels ont lieu lors de la mise en œuvre d’une nouvelle technique de modification génétique. Par précaution, elle impose ainsi à tout pétitionnaire de rechercher ces effets non intentionnels et de les décrire.
Les États-Unis reconnaissent que les nouveaux OGM sont détectables et traçables
La FDA demande à ce que « la méthode par laquelle la modification a été introduite dans l’animal » et celle suivie pour produire sa descendance soient renseignées dans la demande. Seront aussi requises toutes informations montrant que les caractéristiques génétiques et phénotypiques sont stables et prévisibles ainsi qu’une méthode permettant de détecter et tracer les modifications. Enfin, une évaluation des risques devra être faite, bien que sous forme minimaliste, en évaluant si des différences de physiologie ou de composition peuvent « soulever des préoccupations toxicologiques ». Une évaluation des risques que pourraient poser ces animaux GM à l’environnement et un suivi post-commercialisation seront enfin exigés.
Les promoteurs d’OGM pris de court
L’ensemble des informations requises par le ministère dans son projet de lignes directrices ne correspond pas aux arguments dits « scientifiques » des promoteurs des OGM en Europe. Ces derniers ne cessent depuis un an de demander une révision de la réglementation européenne, qui porte, il est important de le préciser, aussi bien sur les végétaux que sur les animaux. À l’appui de leur demande, ils argumentent que les nouvelles techniques de modification génétique n’auraient aucun effet hors-cible car elles seraient sûres et précises. Et les OGM obtenus ne seraient ni détectables ni traçables. À l’instar d’Alison Van Eenennaam, chercheuse à l’université de Californie Davis dont on a récemment entendu parler sur l’affaire des taureaux GM de Recombinetics [3], les promoteurs des OGM arguent donc que cela n’a politiquement et techniquement pas de sens de réglementer des OGM qui peuvent apparaître « naturellement et portant exactement la même séquence d’ADN ».
Certaines entreprises ont réagi dès 2017 en choisissant de s’orienter vers des marchés moins exigeants en termes d’autorisation préalable à la commercialisation [4]. Parmi elles, Recombinetics justement, qui s’est fait connaître en modifiant génétiquement des taureaux pour qu’ils n’aient pas de corne. Partie notamment au Brésil pour les commercialiser, cette entreprise a vu ce marché se fermer brusquement cette année suite à une publication scientifique de chercheurs de la FDA montrant que des effets non intentionnels étaient bien présents dans le génome de ces taureaux. Des effets non renseignés par l’entreprise dans son dossier de demande d’autorisation au Brésil, comme Inf’OGM vient de le rapporter…
À ce jour, ces nouvelles lignes directrices sont toujours en attente de finalisation. La FDA les a rendues publiques en 2017 mais a indiqué à Inf’OGM être active « pour finaliser le travail [et que] le public sera informé lorsque ces lignes directrices révisées seront disponibles ». Rappelons que ces lignes directrices n’ont pas de caractère contraignant. Cependant, la FDA explique les considérer comme « importantes pour la structure et le contenu des demandes d’autorisation » qui lui seront soumises [5]. Le message est donc clair. La FDA pourrait refuser toute demande d’autorisation qui ne les respecte pas…
[1] https://www.fda.gov/regulatory-information/search-fda-guidance-documents/cvm-gfi-187-regulation-intentionally-altered-genomic-dna-animals
[3] , « Bovins OGM : sans corne mais avec des gènes en plus… », Inf’OGM, 1er octobre 2019
[5] voir la note 1.