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Essor de la filière lait « issu d’animaux nourris sans OGM » ?
À deux reprises, en juillet et en septembre 2018, les Parlementaires français ont refusé d’inscrire dans la loi l’obligation d’étiquetage pour les aliments issus d’animaux nourris aux OGM [1]. En parallèle, la filière lait tente de s’organiser et de se structurer spontanément pour pouvoir proposer des produits laitiers « sans OGM » notamment sous la pression de la demande de consommateurs européens.
Depuis 2010, 100 % du lait livré par les éleveurs autrichiens aux entreprises autrichiennes proviennent d’animaux nourris sans OGM (voir encadré ci-dessous). En 2018, plus de 50 % des produits laitiers vendus sur le marché allemand étaient étiquetés « sans OGM ». À l’international, le succès de ces produits progresse également (Suède, Danemark, Pays-Bas, Pologne ou encore République Tchèque). En France cependant, l’apparition de ces produits se fait discrète. Leur production constitue pourtant un débouché majeur puisque la France est le 2e producteur européen de lait et le principal exportateur de lait à destination de l’Allemagne. Pour répondre à la demande, les producteurs et les collecteurs s’organisent et doivent s’adapter à des contraintes étrangères et différentes (voir encadré ci-dessous).
Conditions de labellisation
En France, la législation [2] [3] permet une certification volontaire « issu d’animaux nourris sans OGM » avec deux taux de présence fortuite dans la nourriture animale : 0,9 % et 0,1 %. Actuellement les industriels proposent principalement des produits avec un taux limite à 0,9 %. La loi impose une durée minimale de conversion à une alimentation sans OGM des animaux de six mois et une interdiction de la coexistence d’une alimentation différenciée OGM/non OGM au sein d’un atelier de transformation d’une même espèce.
En Allemagne, un label « Ohne Gentechnik » (qu’on pourrait traduire par « sans génie génétique ») créé par le ministère de l’Agriculture est géré depuis 2008 par l’association Vlog [4]. Pour être certifié sans OGM, le lait doit être issu d’animaux nourris sans OGM. Le taux maximal de présence accidentelle d’OGM est de 0,1 % et avec une durée de conversion minimale de trois mois.
À l’avenir, les suites résultant de la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne sur les « nouveaux OGM » sont à mettre en œuvre [5]. Aujourd’hui, ni le producteur, ni le consommateur n’ont les moyens de savoir si l’alimentation des animaux est exempte d’organismes issus des nouvelles techniques comme la mutagénèse ou de graines issues de variété rendue tolérante aux herbicides (VrTH). Selon l’interprétation adoptée des conséquences de cet arrêt, les exigences d’autorisation, de traçabilité et d’étiquetage des OGM vont fortement impacter cette filière.
Le 19 octobre 2018 s’est tenue une table ronde organisée par des acteurs importants de la filière laitière française [6]. Elle a permis de faire le point sur les opportunités et les difficultés soulevées par le développement des démarches non-OGM dans cette filière autant pour l’exportation que pour le marché national.
La ressource protéique sans OGM
Le plus gros frein au développement de la filière laitière sans OGM est la faible disponibilité mondiale en protéine végétale non-OGM (soja, colza). Aujourd’hui en France, les animaux sont principalement nourris avec des tourteaux de soja GM importés depuis des pays hors Union européenne (Brésil, Argentine, États-Unis) car les éleveurs français ont une faible autonomie en protéines végétales. Malgré quelques initiatives visant à renforcer cette autonomie, l’autosuffisance nationale permettant une alimentation sans OGM généralisée des animaux demandera beaucoup plus d’efforts de production et de réels choix de politique publique aux niveaux national et européen.
Le secteur de la production de nourriture animale végétale est fortement concurrencé par d’autres filières soutenues par les pouvoirs publiques. Par exemple, la politique énergétique européenne favorable aux biocarburants (colza) fait monter les prix des matières premières.
Le plan protéine français
25 juin 2008 : la loi relative aux organismes génétiquement modifiés prévoit dans son article 1 : « Six mois après la publication de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif aux possibilités de développement d’un plan de relance de la production de protéines végétales alternatif aux cultures d’organismes génétiquement modifiés afin de garantir l’indépendance alimentaire de la France » [7].
10 août 2010 : le ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche accuse l’absence de publication du rapport mais assure avoir mis en place un soutien à la filière française des protéagineux sur la période 2010-2012 (voir la réponse à la question parlementaire n°78347 publiée au JO le 10/08/2010).
16 décembre 2014 : le Plan protéines végétales pour la France est présenté par le ministre de l’Agriculture pour renforcer l’autonomie productrice française avec notamment une orientation des aides de la PAC 2015/2020 pour soutenir certaines productions.
22 novembre 2018 : publication par la Commission européenne d’un rapport sur le développement des protéines végétales dans l’Union européenne autant pour l’alimentation animale que pour l’alimentation humaine.
La présence d’OGM ne peut-être détectée directement dans le lait. Par conséquent, la garantie de produits laitiers « sans OGM » ne peut se faire que par le contrôle de l’alimentation des animaux. La certification « issu d’animaux nourris sans OGM » exige donc des modalités de traçabilité et d’analyse de la nourriture animale appropriées et exigeantes. À ce jour, seules des initiatives localisées des filières elles-mêmes s’intéressent à l’évolution de ce secteur et de ses pratiques [8].
La valorisation des produits laitiers sans OGM
La filière laitière sans OGM croît car elle rencontre le désir de certains consommateurs prêts à payer un peu plus pour ce produit [9]. En Allemagne, comme dans d’autres pays, le marché est porteur, on l’a vu. Et l’offre et la demande s’étendent également de plus en plus aux fromages et aux crèmes (voir graphique).
En France, cette valorisation n’est pas aussi simple. Le « sans OGM » existe [10] mais ce n’est qu’une différenciation parmi d’autres et toujours entre produits conventionnels. Contrairement à l’Allemagne, d’autres qualités sont préférées par les consommateurs français (par exemple le pâturage, le bien-être animal ou la rémunération équitable pour le producteur). De plus, d’autres certifications garantissent une alimentation sans OGM des animaux et sont gages d’une certaine qualité : le label biologique et certaines AOP.
L’avenir de la filière
Il semble y avoir en France un total désintérêt de la part des politiques publiques pour le secteur des animaux nourris sans OGM en plus d’une volonté de ne pas informer le consommateur en rejetant l’étiquetage obligatoire sur les produits finaux d’une nourriture animale OGM. Ce secteur tends alors à s’organiser lui-même mais exprime le souhait d’une harmonisation et coordination européenne pour des définitions communes des différenciations de produits. De trop nombreux cahiers des charges différents noient les critères de différenciations les uns dans les autres.
En France, le Cniel prévoit la création d’un plan filière ou d’un cahier des charges dans ce sens qui sera soumis à son conseil d’administration en février 2019. Mais il semble qu’aucun changement substantiel n’aura lieu nationalement au niveau des quantités de production et des habitudes des consommateurs tant que de grands distributeurs comme Danone ou Lactalis ne s’engageront pas franchement.
Dans d’autres pays, les lobbys pour le sans OGM sont plus importants et l’opinion publique plus sensibilisée à cette question en particulier.
Cependant, le succès de la commercialisation des produits laitiers sans OGM dans certains pays européens ne garantit pas l’existence d’une filière totalement vertueuse. En effet, quelle place cela donne-t-il aux producteurs biologiques qui sont engagés dans ces démarches de production écologique et de qualité des produits plus exigeante et depuis plus longtemps ?
On peut aussi noter au niveau des réunions de la filière organisées en France (la table ronde précédemment citée) une représentation des grosses coopératives, collecteurs et distributeurs avec une absence totale de représentants des producteurs, bios ou non, ou de coopératives petites et moyennes.
[1] , « OGM : l’étiquetage des produits « animaux » abandonné », Inf’OGM, 26 septembre 2018
[3] , « Que dit l’étiquetage « avec ou sans OGM » en France et en Europe ? », Inf’OGM, 1er septembre 2020
[4] Verband Lebensmittel ohne Gentechnik (Association alimentation sans génie génétique).
[5] , « Europe – Les nouveaux OGM sont des OGM comme les autres », Inf’OGM, 25 juillet 2018
[6] Organisé par le FEEDSIM (le réseau national interprofessionnel de la filière de la nutrition animale) en présence de représentants de la Coopérative Unéale (grande coopérative laitière implantée sur tout le nord de la France), du Cniel (Centre National Interprofessionnel de l’Économie Laitière) et de la Sodiaal (la plus grande coopérative laitière française).
[7] voir Loi française sur les OGM.
[8] Le service Res’alim : Observation de l’alimentation bovine laitière et l’Observatoire de l’alimentation des vaches laitières à l’initiative du Cniel, de l’Institut de l’Élevage et de France Conseil Élevage.
[9] Aujourd’hui les producteurs de lait sans OGM reçoivent une prime de 10€ par tonne de lait pour couvrir les coûts supplémentaires de production. Le prix de vente reste très proche du prix du lait conventionnel. Le prix du lait bio est lui bien plus élevé en comparaison.
[10] À travers de nombreux « labels » conçu par les marques :
Lactalis : l’appel des Prés ;
Sodiaal : Laitiers responsables ;
Gillot : Vachement bon ; le lait Prospérité Fermière ; etc.