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UE – Des conseillers recommandent la révision de la loi OGM

Par Charlotte KRINKE

Publié le 20/11/2018

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Le 25 juillet dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que les produits issus de la mutagénèse étaient bien des OGM. Comment appliquer cet arrêt ? Les conseillers scientifiques de la Commission proposent tout simplement de ne pas l’appliquer et, pour cela, de changer la directive qui encadre les OGM. Et outrepassent ainsi leur rôle. Explications.

Le 13 novembre, le « Groupe de conseillers scientifiques principaux » du mécanisme de conseil scientifique de la Commission européenne (dit « SAM » pour Science Advice Mechanism) a publié une déclaration sur le statut juridique des produits issus des nouvelles techniques de modification génétique [1].

Cette déclaration intervient dix mois après un premier rapport du SAM sur le sujet et près de quatre mois après l’arrêt de la Cour de justice de l’UE selon lequel les organismes génétiquement modifiés par des techniques de mutagénèse sont tous des OGM, tels que définis par la directive européenne 2001/18 [2] [3] [4]. L’arrêt précisait que ceux qui ont été modifiés exclusivement par des «  techniques/méthodes de mutagénèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps » peuvent échapper aux obligations de la directive européenne mais que les États peuvent les encadrer au niveau national, sous réserve de respecter les règles du marché intérieur [5].

En septembre 2017, Inf’OGM pointait la dimension politique, sous camouflage scientifique, du premier rapport du SAM [6]. Avec sa déclaration du 13 novembre, le SAM se dévoile un peu plus car, sans apporter d’argument scientifique nouveau, il recommande cette fois clairement que la règlementation européenne sur les OGM soit révisée. Le moment choisi pour publier la déclaration n’est pas anodin puisque les discussions concernant la réglementation internationale des OGM se déroulent en Égypte du 17 au 29 novembre entre les 171 pays qui ont ratifié le Protocole de Cartagena. Alors que l’arrêt de la Cour de justice s’oppose à toute déréglementation des nouveaux OGM, la déclaration du SAM laisse entendre que cette position de l’UE ne serait pas définitive.

Des arguments scientifiques orientés

Pour fonder sa recommandation, le Groupe de conseillers scientifiques adopte ce qu’on pourrait appeler un raisonnement circulaire. Celui-ci se fonde sur le postulat suivant : « les nouvelles techniques de mutagénèse dirigée peuvent modifier une séquence d’ADN de manière précise, en une ou plusieurs positions ciblées du génome ». Cette affirmation n’est pas étayée par une référence qui confirmerait le niveau scientifiquement établi de précision ou l’absence d’autres modifications génétiques non désirées et d’impacts sanitaires et environnementaux. Mais elle permet au SAM de construire un raisonnement aboutissant à la conclusion souhaitée : les techniques sont précises et ne provoquent que des mutations identiques aux mutations naturelles, elles créent donc des produits qui peuvent apparaître naturellement. Dès lors, les nouveaux produits présentent moins de risques que ceux obtenus par d’anciennes techniques. Et surtout, étant similaires à ce que la nature peut faire, ils ne peuvent pas être détectés dans les filières. Il faut donc changer la réglementation applicable aux OGM : les techniques étant précises, nul besoin de les encadrer.

Dans le détail, le SAM fonde d’abord son argumentation sur une distinction entre les techniques de mutagénèse aléatoire (qui couvriraient selon lui les techniques exemptées de la réglementation OGM) et les techniques de mutagénèse dirigée (qui seraient les seules nouvelles techniques que la Cour voudrait réglementer). Les risques liés aux secondes sont, affirme-t-il sans référence scientifique à l’appui, bien moindres que les risques liés aux premières. Le SAM s’appuie sur cette distinction pour sous-entendre que l’arrêt de la Cour aboutit à une incohérence. Cette incohérence consisterait à soumettre tous les OGM à une même réglementation, quel que soit leur niveau de risque.

Opposer la mutagénèse aléatoire à la mutagénèse dirigée n’a toutefois pas de fondement juridique ni scientifique. Les expressions « mutagénèse aléatoire » et « mutagenèse dirigée » tirent leur nom d’une étape particulière parmi un ensemble d’étapes obligatoires pour générer des modifications génétiques par mutagénèse. Cet ensemble d’étapes passe aussi, au-delà de la mutagénèse elle-même, par la multiplication (mise en culture) de plantes entières ou de cellules isolées in vitro, le tri des plantes ou des cellules mutées, leur régénération si besoin est, des rétrocroisements… Autant d’étapes qui génèrent chacune leur lot de modifications du matériel génétique, comme le rappelle d’ailleurs le SAM. 

Mais la prise en compte de la totalité de ces procédés importe peu au Groupe de conseillers scientifiques : pour lui, la nécessité d’évaluer la sécurité doit découler uniquement du nouveau trait du produit final revendiqué par son obtenteur, quel que soit le procédé utilisé.

C’est donc uniquement à partir de son postulat non référencé que le SAM affirme qu’il faut s’intéresser au seul produit final. Ne pas le faire aboutirait selon lui à « la situation (…) où deux produits identiques doivent répondre à des exigences réglementaires complètement différentes, du fait qu’ils sont produits par des méthodes différentes ». Le SAM ne cite toutefois aucune étude scientifique pour corroborer l’affirmation selon laquelle ces produits seraient identiques. Il semble avant tout vouloir mettre en avant une prétendue aberration de la réglementation OGM et de l’arrêt de la Cour en vertu desquels des produits identiques sont évalués différemment.

Il est important de noter que fonder l’évaluation de la sécurité du produit sur le seul nouveau trait revendiqué plutôt que sur la technique utilisée pour le mettre au point alignerait la réglementation de l’Union européenne sur celle des États-Unis, du Canada, du Brésil ou de l’Argentine, principaux partenaires commerciaux de l’Union européenne et principaux producteurs mondiaux d’OGM. Les enjeux économiques semblent d’ailleurs avoir directement pesé sur l’orientation de la déclaration du SAM. Certes, ce dernier affirme qu’il se concentre sur les enjeux scientifiques, mais il souligne le bien-fondé de ses recommandations en agitant le chiffon rouge des conséquences économiques et politiques de l’arrêt de la Cour sur le secteur de l’innovation et de la recherche, sur le commerce international ou encore sur le poids de l’Union européenne dans le débat international concernant la réglementation de ces techniques.

Une déclaration hors mission et hors mandat

Par le contenu de sa déclaration, le Groupe de conseillers scientifiques outrepasse le cadre de ses attributions.

Si c’est déjà le cas avec ses « considérations sanitaires  », c’est également et particulièrement le cas lorsqu’il traite de la question de l’identification et de la détection et affirme que les entreprises auront bien du mal à fournir une méthode de détection des produits issus des nouvelles techniques de modification génétique qui réponde aux exigences réglementaires européennes. La mission du Groupe de conseillers scientifiques est notamment de « fournir à la Commission des conseils scientifiques indépendants sur certaines questions de politique lorsque de tels conseils sont essentiels à l’élaboration des politiques ou de la législation de l’UE et ne font pas double emploi avec des conseils prodigués par des organes existants » [7].

Or sur la question des risques sanitaires, l’Autorité européenne de sécurité des aliments a déjà été saisie par la Commission européenne au sujet des impacts de certaines de ces techniques en termes de biosécurité. Quant à la question de la détection, la Commission européenne y travaille déjà depuis début octobre avec le Réseau européen de laboratoires sur les OGM (ENGL) [8]. Le SAM ne l’ignore d’ailleurs pas, puisqu’il rappelle que l’ENGL « va analyser plus en détail ces questions de détection, identification et quantification ». Mais cela ne l’empêche pas d’affirmer que les produits issus des nouvelles techniques ne sont pas détectables, et ce sans aucune référence scientifique à l’appui. Une affirmation qui n’incite pas l’ENGL à produire des conclusions opposées…

Mais surtout, la déclaration publiée le 13 novembre ne répond pas à une demande de conseils de la Commission européenne (interrogé par Inf’OGM, le SAM confirme que la Commission européenne n’a pas sollicité son avis). Or le Groupe de conseillers scientifiques ne peut pas s’auto-saisir : c’est le commissaire pour la recherche, la science et l’innovation qui doit lui adresser la demande de conseils, en la délimitant précisément dans un document de cadrage.

Tout au plus le président du groupe peut-il « conseiller à la Commission de consulter le groupe sur une question de politique donnée » [9]. Et c’est précisément ce que le Groupe de conseillers scientifiques considère faire en publiant une déclaration telle que celle du 13 novembre. Une interprétation large de ses attributions puisque, ici, la déclaration s’apparente sur le fond davantage à une recommandation, est signée par le Groupe de conseillers scientifiques dans son ensemble, et non par son seul président, et anticipe en outre sur le résultat de la consultation… [10]

SAM et OMC : même combat ?

La déclaration paraît dans un contexte de pression déjà important sur la réglementation applicable aux OGM en général, et sur la directive 2001/18 en particulier. Cette pression s’est manifestée récemment à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) où les États-Unis, rejoints par l’Argentine et le Paraguay, ont soutenu que l’application de la réglementation OGM aux organismes issus des « biotechnologies de précision » crée des barrières injustifiées au commerce de ces produits. Dix États membres de l’OMC ont par ailleurs signé une Déclaration non contraignante et ouverte à la signature d’autres États dont l’objectif principal est de « coordonner les efforts pour faire en sorte que les approches réglementaires de cet ensemble de techniques (NDLR : les « biotechnologies de précision »), y compris l’édition génomique, soient fondées sur des données scientifiques et harmonisées à l’échelle internationale » [11].

[5Cour de justice, Confédération paysanne e.a. contre Premier ministre et Ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, 25 juillet 2018, affaire C-528/16, point 51 et point 82

[7Article 2, paragraphe 2, Décision C(2015)6946 telle qu’amendée par la Décision C(2018)1919.

[9Article 2bis, Décision C(2015)6946 telle qu’amendée par la Décision C(2018)1919.

[10Le Groupe de conseillers scientifiques du SAM avait eu recours à cette même pratique à propos des microplastiques, en juillet 2018.

[11Organisation Mondiale du Commerce, Comité des mesures sanitaires et phytosanitaires, Déclaration internationale concernant les applications agricoles des biotechnologies de précision, 26 octobre 2018

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