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Les États pourront-ils vraiment interdire les OGM importés ?
Le 22 avril 2015, la Commission européenne a formalisé une proposition de modification du règlement 1829/2003 qui fournirait aux États membres un nouvel outil pour interdire les OGM pour l’alimentation humaine ou animale [1]. Dans la foulée, elle pourrait valider d’ici quelques jours l’autorisation de nouveaux OGM, pour l’alimentation humaine et animale, qui viennent s’ajouter à la cinquantaine d’OGM déjà autorisés pour ces deux usages. Selon Margrethe Vestager, Commissaire en charge de la concurrence, cette proposition est la principale suite donnée par la Commission européenne à son annonce de vouloir modifier la procédure d’autorisation des OGM [2] comme Jean-Claude Junker, président de la Commission européenne, s’y était engagé au moment de son arrivée en fonction, sans préciser à ce moment-là les modalités de cette réforme [3].
La proposition de la Commission instaurera un mécanisme similaire à celui intégré récemment à la directive 2001/18 [4], pour les cultures de plantes génétiquement modifiées (PGM). Avec cette nouvelle proposition, les États disposeraient d’une deuxième voie pour interdire l’utilisation d’OGM dans l’alimentation humaine et animale, en plus de la mesure d’urgence existante. Maintenant que la Commission européenne a présenté officiellement cette proposition, elle va être discutée par les États membres et le Parlement européen. Une procédure qui pourrait s’avérer longue, celle sur la culture ayant pris quatre ans.
Objectif : interdire nationalement la commercialisation d’une PGM
La procédure adoptée en janvier 2015 et concernant la culture d’OGM permet aux États d’agir soit au cours de la procédure d’autorisation soit à son issue. Dans la proposition présentée le 22 avril et concernant les importations à destination de l’alimentation humaine et/ou animale, l’interdiction ne pourrait être prise qu’une fois l’OGM autorisé (même si l’État membre a la possibilité d’informer de ses intentions d’interdire en cours de procédure d’autorisation). La Commission européenne ne détaille pas les arguments qui pourraient être évoqués à l’appui d’une interdiction, la justification devant être développée au cas par cas. Seul requis : les arguments en lien avec les risques pour la santé humaine ou l’environnement ne pourront pas être pris en compte, à l’instar de la procédure d’interdiction pour la culture, ces arguments restant réservés à l’Agence européenne de sécurité alimentaire (AESA). Rappelons que les États membres peuvent utiliser ces arguments scientifiques, mais uniquement dans le cadre d’un procédure d’urgence (règlement 1829/2003) et clause de sauvegarde(directive 2001/18).
Quels impacts sur l’alimentation des Européens ?
En pratique, cette proposition aura un impact très limité sur les denrées destinées à l’alimentation humaine. Du fait d’un étiquetage obligatoire des aliments qui contiennent plus de 0,9% d’OGM, et d’une opinion publique largement opposée à les retrouver dans l’assiette, de tels produits ont peu à peu été éliminés des étals des supermarchés et ne concernent qu’une trentaine de produits [5]. La cinquantaine d’OGM autorisée pour l’alimentation humaine permet donc surtout qu’en cas de contamination par ces OGM-là, les produits contaminés ne soient pas retirés de la vente. En effet, un produit alimentaire qui contient un OGM non autorisé, quelle que soit sa quantité, doit être retiré du marché. Si l’OGM est autorisé et présent en quantité inférieure à 0,9%, le consommateur n’en saura rien. Enfin, au-delà de 0,9%, l’étiquetage est obligatoire. Or, la proposition de la Commission européenne ne permettra d’interdire que les denrées étiquetées (avec plus de 0,9% d’OGM par ingrédient). L’interdiction d’un État ne concernera en définitive que très peu de produits. Un OGM interdit dans un État pourra continuer à être présent dans des denrées alimentaires sous forme de traces (c’est-à-dire à un taux inférieur à 0,9 % par ingrédient)…
En revanche, l’interdiction d’OGM pour l’alimentation animale peut davantage bouleverser le marché. L’Europe souffre actuellement d’un déficit de protéines végétales pour nourrir le bétail… Elle importe donc massivement du soja (sous forme de graines ou de tourteaux) pour nourrir ses animaux, lequel soja est principalement transgénique. Ainsi, l’interdiction d’un OGM au niveau national concernera principalement les importateurs et les fabricants d’aliments pour bétail. Or, les aliments pour animaux sont nécessairement étiquetés lorsqu’ils contiennent des OGM, mais le type d’OGM présent (Mon810, Mon863, etc.) n’est jamais explicité sur l’emballage. Les importateurs devront-ils faire des tests qualitatifs pour identifier l’OGM présent dans leurs importations ?
À moins d’une obligation d’étiquetage identifiant précisément le ou les OGM présents dans un lot importé, il sera quasiment impossible pour les éleveurs de savoir s’ils utilisent un OGM interdit pour nourrir leurs animaux. Ils pourront donc acheter un produit contenant un OGM interdit sans le savoir. Seront-ils responsables ?
Ainsi, la mise en place d’une interdiction des OGM dans l’alimentation animale doit nécessairement s’accompagner d’une structuration des filières pour permettre que l’offre d’aliments qui ne comportent pas des OGM interdits puisse suivre la demande. Une telle mesure peut difficilement se faire du jour au lendemain. La Commission européenne demande d’ailleurs aux États membres de laisser un « délai raisonnable » aux opérateurs, sans toutefois préciser quel doit être ce délai et comment le mettre en œuvre.
Un casse-tête qui favorisera l’entrée d’OGM ?
Mais c’est loin d’être la seule difficulté posée par ce projet de réglementation. C’est un véritable casse-tête qui risque de se mettre en place : chaque État ou chaque région pourrait avoir sa propre politique vis-à-vis d’un ou plusieurs OGM. Une disparité que l’on imagine difficilement lisible pour les opérateurs et qui risque d’instaurer des distorsions de concurrence, pourtant contraires aux principes de l’UE. Il faudrait donc a minima que cette proposition de la Commission s’accompagne de l’obligation d’étiqueter les produits issus d’animaux nourris aux OGM. Sans un tel étiquetage, les opérateurs se retrouveront avec des contraintes supplémentaires, sans pouvoir valoriser leurs produits et sans information des consommateurs. D’autre part, ce projet ne permettra pas aux États membres d’interdire des produits issus d’animaux qui auraient été nourris avec des OGM interdits sur leur territoire, en provenance d’autres pays de l’UE… Seuls opérateurs pouvant a priori valoriser leurs productions : les français, allemands ou autrichiens, qui disposent d’un étiquetage « sans OGM » national et pour autant qu’ils en respectent les conditions ; et les filières bio européennes dont le cahier des charges exclut les OGM.
Le contrôle du respect d’une interdiction à l’échelle nationale ou régionale pourrait également s’avérer difficile dans la mesure où la différenciation d’un produit animal en ce qui concerne son alimentation ne peut se faire que par la traçabilité écrite… En effet, un œuf issu d’une poule nourrie aux OGM ne peut se distinguer d’un autre œuf issu d’une poule nourrie sans OGM.
Le projet de la Commission européenne n’en est qu’au début, mais soulève déjà de nombreuses questions quant à sa faisabilité. Par la voix de José Bové, les Verts au Parlement européen expliquent que ce projet est « conforme à l’objectif de la Commission européenne qui veut faciliter l’entrée des OGM dans l’UE », dénonçant par ailleurs l’incohérence d’un système qui amènerait un État membre attaqué devant l’OMC à être défendu par « un Commissaire européen qui se sera prononcé en faveur de cet OGM » [6]. Greenpeace et Amis de la Terre Europe craignent également une accélération des autorisations face à des États livrés à eux-mêmes [7] [8].
Outre cette accélération crainte par la société civile, il est envisageable que cette proposition confirme un objectif de centralisation des autorisations au seul niveau européen comme Inf’OGM en avait fait l’hypothèse en décembre 2014 [9].
[2] Compte-rendu suite à la réunion des commissaires par Margrethe Vestager, le 22 avril 2015 à 12h02 : http://ec.europa.eu/avservices/video/player.cfm?ref=I102060
[4] , « UE : chaque État pourra-t-il vraiment interdire les OGM ? », Inf’OGM, 25 février 2015
[5] , « Que dit l’étiquetage « avec ou sans OGM » en France et en Europe ? », Inf’OGM, 1er septembre 2020
[6] Communiqué de presse, 22 avril 2015
[8] http://www.greenpeace.org/eu-unit/en/Publications/2015/Juncker-breaks-promise-to-make-EU-GMO-decisions-more-democratic/
[9] , « UE : vers une centralisation à Bruxelles des autorisations des OGM ? », Inf’OGM, 18 décembre 2014