n°132 - janvier / février 2015

UE : vers une centralisation à Bruxelles des autorisations des OGM ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 18/12/2014

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Succédant à la Commission « Barroso », une nouvelle Commission européenne dirigée par le luxembourgeois Jean-Claude Juncker est entrée en fonction le 1er novembre 2014. Elle est maintenant attendue sur plusieurs dossiers importants liés aux OGM : nouvelles techniques, évaluation des risques environnementaux, seuil d’OGM non autorisés dans les lots de semences…

Dans la continuité de la précédente Commission, Jean-Claude Juncker a confirmé la politique de simplification administrative [1]. Il a ainsi missionné son premier Vice-Président, Frans Timmermans, pour « travailler avec le Parlement européen et le Conseil afin d’éliminer toute législation excessive tant aux niveaux européen que nationaux » [2]. Une approche qui inquiète certains acteurs de la société civile comme l’Observatoire européen des entreprises (CEO) qui, par la voix de Martin Pigeon, explique à Inf’OGM que « sous couvert de simplification administrative, ce sont des décisions politiques importantes qui vont être prises de facto, et pas toujours dans le bon sens pour la protection de l’environnement et de la santé ». Le dossier OGM peut-il être soumis à cette simplification administrative ? Nous allons voir que toutes les portes sont ouvertes et que les États membres pourraient se retrouver, en bout de course, à ne plus intervenir dans l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux, voire dans les procédures d’autorisation… D’autant que Juncker a d’ores et déjà annoncé que la Commission allait justement revoir « la législation sur l’autorisation des Organismes Génétiquement Modifiés » [3].

Des Commissaires sous influence ?

Jean-Claude Juncker, premier ministre du Luxembourg de 1995 à 2013 et président de l’Eurogroupe de 2005 à 2013, a été, quatre jours après sa nomination, visé par un scandale lié à des « accords fiscaux secrets entre le Luxembourg et plus de 300 multinationales » [4]. Scandale sans suite.

Ensuite, la nomination des Commissaires a été l’occasion d’un déballage médiatique important de cas de conflits d’intérêts. Mais, pour Martin Pigeon, « la société civile a finalement eu moins de poids qu’en 2009 [date de nomination de la précédente Commission] car si la reprise médiatique de nos informations a été importante, le monde politique ne s’en est pas saisi, préférant clairement aboutir à un accord politique de nomination des Commissaires ». Ainsi, le nouveau Commissaire pour le climat et l’énergie, l’espagnol Cañete, aurait été validé malgré ses liens étroits avec l’industrie pétrolière en échange de la nomination de Pierre Moscovici, nouveau Commissaire aux affaires économiques et financières, lui-même critiqué pour son passé de Vice-Président du Cercle de l’Industrie, un important lobby industriel [5]. Jonathan Hill, Commissaire aux services financiers, a refusé de fournir la liste complète des clients de son cabinet de lobbying actif depuis 1998. Et, le maltais Karmenu Vella, ancien directeur de l’entreprise de batiment Corinthia’s Mediterranean Construction Co, a été nommé Commissaire à l’environnement…

Martin Pigeon résume : l’organigramme proposé par Juncker est construit selon la politique « les braconniers font les meilleurs gardes-chasse », une approche soufflée par les Amis de la Commission européenne, un « groupe informel de représentants d’entreprises et d’anciens hauts fonctionnaires passés dans le secteur privé » [6]. Regrettant la nomination de Cañete, Pervenche Berès, eurodéputée socialiste, a tout de même trouvé matière à satisfaction avec l’élargissement au développement durable du mandat de Frans Timmermans, premier Vice-Président socialiste de la Commission Juncker [7]. Pour calmer les ardeurs, J.-C. Juncker a simplement annoncé que les rendez-vous des Commissaires avec les lobbyistes seraient rendus publics et que le registre des lobbies serait obligatoire (8). Une intention déjà annoncée à maintes reprises [8] et qui reste encore à concrétiser.

Les États exclus de l’évaluation des risques…

La plus médiatique des discussions sur le dossier OGM, celle sur les interdictions nationales de mise en culture, semble se terminer, avec l’accord trouvé le 3 décembre 2014 entre la Commission, le Conseil et le Parlement européen [9]. Reste son adoption formelle par les États membres et le Parlement. S’il est validé, alors les États membres se verront dotés d’un outil supplémentaire pour interdire sur tout ou partie de leur territoire, la mise en culture des OGM. Cette possibilité présente, a minima, deux inconvénients : d’une part l’État devra obtenir l’accord de l’entreprise s’il ne veut pas courir le risque de se voir attaqué auprès de l’OMC ou d’un tribunal d’arbitrage (si malgré les promesses de Juncker, l’accord de libre-échange avec les États-Unis maintient ces tribunaux pour gérer les litiges entre État et entreprise) ; et, d’autre part, les États membres ne pourront évoquer des arguments environnementaux et sanitaires qui relèvent déjà des prérogatives de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA). Il ne restera aux États alors que des arguments de moindre portée, comme la protection de pratiques agricoles particulières, le trouble à l’ordre public, ou des critères socio-économiques difficiles à étayer.

Ainsi, derrière ce nouveau système de recours qui instaure une nationalisation des interdictions, ne serait-ce pas, paradoxalement, la centralisation au niveau européen du dossier (et donc la mise à l’écart des États membres) qui se joue ? S’il est impossible à l’heure actuelle de l’affirmer, les dernières décisions et les déclarations récentes de la Commission nous incitent à penser que cette évolution est en marche.

Tout d’abord, en théorie, la nouvelle procédure d’interdiction nationale s’ajoute aux deux autres outils d’interdiction : la clause de sauvegarde et la mesure d’urgence. Mais l’existence même de cette nouvelle procédure pourrait conduire la Commission, au cours de sa fameuse « révision », à proposer d’abandonner ces deux outils. En effet, les clauses ou mesures prises n’ont jamais été considérées comme valides scientifiquement par l’AESA et Eric Poudelet, de la DG Sanco, devant le Parlement britannique, soulignait qu’ : « aujourd’hui, le cadre législatif pour la culture des OGM [ndlr, la directive 2001/18] est pour tous les États membres ; il y a une harmonisation totale pour la culture. Du fait des clauses de sauvegarde adoptées par certains États membres, nous avons vu que ce cadre n’est pas approprié. Nous avons proposé un nouveau système de recours pour la culture ».

Alors est-il possible que les comités d’experts nationaux des États membres soient un jour « exclus » de l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux qui seront de la seule compétence de l’AESA ? C’est du moins ce que souhaite Europabio, qui, en 2011, demandait à la Commission européenne que « le vote des États membres [soit] basé sur l’opinion de l’AESA » [10] et réitérait récemment sa demande pour que la Commission déclare « formellement que tout vote allant contre l’évaluation des risques de l’AESA relève de choix politiques et non de considérations de sécurité » [11]. Quant à exclure les États membres de la procédure d’autorisation en elle-même, réponse en 2015… Et cela pourrait être tentant pour la Commission européenne, car elle considère que les États membres sont responsables des délais importants dans le traitement des demandes d’autorisation. Mais, prudent, Eric Poudelet explique que le travail de la Commission est de « trouver une solution qui permet le soutien le plus large possible d’États membres […] Si nous forçons la procédure sous trois mois, nous sommes sûrs que nous aurons un résultat pire que si nous prenons le temps d’informer et convaincre les États membres ». Si les discussions « scientifiques » entre l’AESA et le pétitionnaire auront sans doute toujours lieu, en sera-t-il de même entre la Commission européenne et les comités d’experts des États membres, comme le Haut Conseil des Biotechnologies en France ?

… voire des décisions sur les autorisations ?

Le vote sur le maïs TC1507 a laissé des traces. Le 11 février 2014, 19 États membres votaient contre son autorisation. Pourtant, en l’absence de majorité qualifiée, la décision finale revient à la Commission européenne. Craignant que la Commission autorise ce maïs à la culture, plusieurs États membres ont dénoncé la procédure [12] que J.-C. Juncker a donc décidé de réformer. Il a demandé à la DG Sanco de voir comment « les règles [de prise de décision] peuvent être changées afin d’assurer que les opinions majoritaires soient mieux prises en compte » [13]. Interrogé par Inf’OGM, le porte-parole de la DG Sanco, Enrico Brivio, nous a simplement précisé que « plusieurs hypothèses [sont] sur la table pour savoir comment la procédure de comitologie peut être modifiée, ou non ». Lesquelles ? Mystère !

Quelles que soient ces « hypothèses », la pression se fait de plus en plus sentir. En juillet 2014, EuropaBio, encore elle, demandait à la Commission et à l’AESA de « mettre en place un plan d’action afin de gérer la soixantaine de produits bloqués dans la procédure d’autorisation et respecter les délais définis par la loi » [14]. Dès lors, la Commission peut proposer de changer les règles de calcul mathématique lors des votes sur une demande d’autorisation. Elle peut aussi proposer que le système de recours prévu pour les autorisations à la culture soit aussi utilisé mais cette fois pour les importations. Ce qui permettrait, potentiellement, de centraliser au seul niveau européen toutes les décisions d’autorisation. Et le tout, sous couvert « d’assurer que les opinions majoritaires soient mieux prises en compte »…

On sent donc poindre une envie de renverser la législation en place. Mais la Commission va procéder par petite touche en ajoutant un article à tel texte, un règlement par-ci, un règlement par-là. Eric Poudelet justifiait cette démarche devant le Parlement Britannique expliquant que changer une législation est « extrêmement difficile » et que « si nous avions proposé un nouveau système d’autorisation, cela aurait pris des années et des discussions sans fin avec le Parlement et les États membres ». Faut-il rappeler que la modification de la directive 2001/18 pour permettre des interdictions nationales a pris, de fait, des années ? Que veut-il souligner par une telle déclaration ? La DG Sanco va réviser la façon d’autoriser les OGM par petites touches : est-ce un stratagème pour mieux morceler l’opposition des États et de la société civile et éviter de dévoiler au grand jour la stratégie de la Commission européenne ?

Eric meunier

OGM : les DOSSIERS en suspens pour la Commission


Un sujet indirect, suivi par la Commission européenne, pourrait avoir un impact sur le dossier OGM : les traités bilatéraux avec le Canada et les États-Unis. Sur ce sujet, Juncker s’est engagé à ne pas accepter « que les juridictions nationales des États membres soient limitées par un quelconque régime spécial dédié aux conflits d’investisseurs ». Un point important qui, sur le dossier OGM, permet aux États membres d’espérer que leur politique nationale ne sera pas contestée par les entreprises devant un tribunal privé… La Commission est responsable des discussions avec le Canada et les États-Unis. Ses avancées sont suivies de près par la société civile et le Parlement européen.

Sur le dossier OGM plus directement, le lithuanien Vytenis P. Andriukaitis a hérité du portefeuille de Commissaire à la santé et à la sécurité des aliments (DG Sanco). Quatre chantiers sont toujours en cours.

Le premier chantier concerne les demandes d’autorisation en attente de réponse. Un second est celui de la tolérance d’OGM non autorisés dans les lots de semences commerciales. A ce jour, c’est le seuil de 0,1% (seuil à partir duquel un OGM peut être qualitativement détecté) qui s’applique. Mais les entreprises dénoncent ce seuil et préféreraient s’approcher du 0,9% [15]. Un troisième chantier est celui de l’étiquetage sans OGM. La Commission a lancé en 2011 un travail de synthèse sur l’étiquetage « sans OGM » que différents pays de l’Union européenne ont mis en place en vue de décider d’une politique communautaire. En novembre 2014, Inf’OGM écrivait que « le rapport de la Commission devrait être dévoilé une fois la nouvelle Commission européenne en place, d’ici fin 2014 au plus tard » [16]. Quatrième sujet en attente, et celui-ci depuis 2008 : le statut « OGM » ou « non OGM » des produits issus des nouvelles techniques de biotechnologie. Or, Eric Poudelet, fonctionnaire à la DG Sanco, interrogé par le Parlement britannique le 1er décembre 2014, précisait que la nouvelle Commission pourrait prendre encore quelques mois avant de « relancer un débat avec des scientifiques, des semenciers, des agriculteurs et des citoyens pour essayer de trouver une position qui réponde aux soucis de chacun » [17]. Dernier chantier oublié dans les tiroirs de la Commission : la demande unanime des États membres, en décembre 2008, d’un renforcement de l’évaluation des risques environnementaux. Une demande sur laquelle la Commission européenne est toujours attendue…

[6« The crusade against ‘red tape’ », CEO et les Amis de la Terre Europe, octobre 2014, p13, http://corporateeurope.org/power-lobbies/2014/10/crusade-against-red-tape-how-european-commission-and-big-business-push

[10« Approvals of GMOs in the European Union », EuropaBio, oct. 2011, recommandation n°3, page 7

[13cf. note 3

[15« Adventitious Presence of GM Seeds in Conventional Seeds », 2013, document soumis par EuropaBio au gouvernement anglais, https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/305383/20140218_RFI_6298_-_DOC_1.zip

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