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L’entreprise Soy mène campagne contre le décret français « sans OGM »
Depuis juillet 2012, les produits français peuvent arborer légalement un étiquetage « sans OGM » [1]. Deux ans après son entrée en vigueur, certaines marques constatent la difficile mise en œuvre de cet étiquetage. C’est le cas de Soy qui propose une gamme de produits bio à base de protéines végétales, et notamment de haricot mungo, appelé communément, à tort, soja vert ou soja (pour les germes). Deux problèmes majeurs selon l’entreprise : l’impossibilité de préciser par un étiquetage visible, en face avant, que le « soja » est sans OGM, et la concurrence déloyale des produits non français qui ne sont pas soumis à la même réglementation [2].
Dans l’esprit des consommateurs, deux produits alimentaires, le maïs et le soja, sont souvent associés aux OGM. Il existe effectivement des variétés de soja et de maïs GM (dont le fameux maïs MON810) mais elles sont, majoritairement, destinées à l’alimentation animale. Cependant, pour les consommateurs, les fameuses pousses de haricot mungo sont apparentées à du soja. Cette confusion récurrente est à l’origine d’une dérogation (NI n°2004-113 du 16 août 2004 [3]) accordée en 2004 par la DGCCRF (répression des fraudes) aux producteurs de maïs et de haricot mungo. Avant même, l’existence d’un étiquetage sans OGM français (le décret date de 2012), on pouvait retrouver sur les boîtes de conserve de « pousses de soja » ou de maïs doux, un étiquetage « sans OGM ».
En 2012, la France définit, via un décret, les conditions précises pour bénéficier d’un étiquetage « sans OGM ». Ce décret est venu bousculer cette dérogation et perturber du même coup producteurs et consommateurs. Comme le précise la note de 2012 (NI n°2012-39) [4], qui est venue abroger et remplacer celle de 2004, la dérogation n’est plus valable. Il faut impérativement qu’une espèce existe sous une forme transgénique pour qu’elle puisse bénéficier du label (article 3, alinéa 2). Comme le haricot mungo génétiquement modifié n’existe pas (encore), les « pousses de soja » ne peuvent plus être étiquetées « sans OGM ». Mais la confusion entre ces deux espèces végétales qui existait en 2004 existe toujours en 2012 ! Dès lors, l’entreprise Soy considère que le décret, sur ce point précis, n’a pas apporté la clarification nécessaire. Précisons que le Comité Économique Éthique et Social (CEES) du Haut conseil sur les Biotechnologies avait demandé, dans son avis rendu en 2009 [5], que la dérogation soit prolongée.
Une seule dérogation, mais pas pour le haricot mungo
Ainsi, de façon stricte, lorsqu’il n’existe pas d’équivalent GM d’un produit végétal, ce dernier ne peut pas être valorisé par l’étiquetage sans OGM. L’entreprise a ainsi remplacé en face avant « soja sans OGM » par « filière sans OGM ». Mais « filière sans OGM » est une allégation qui n’existe pas et la DGCCRF a alors demandé à Soy de la retirer de ses produits. Un changement qui a été noté par les consommateurs de la marque, soulevant alors questions et inquiétude.
Une seule dérogation a finalement été obtenue, mais qui concerne les animaux nourris à l’herbe sur prairie naturelle. Après une âpre bataille, les associations opposées aux OGM ont réussi à faire admettre à la DGCCRF qu’il fallait prendre en compte une seule catégorie « alimentation animale » et non faire une catégorie spéciale pour chaque espèce fourragère. Ce qui est logique : l’étiquetage ne concerne pas l’herbe mais les animaux.
Autre enjeu pour l’entreprise Soy, la possibilité d’étiqueter en face avant du produit, c’est-à-dire sur la surface la plus visible pour les consommateurs (contrairement à la liste des ingrédients, qui est en face arrière du produit et généralement en caractères plus petits). Lorsqu’un produit contient plusieurs ingrédients, cet étiquetage visible n’est possible que lorsque l’ingrédient principal représente 95% du poids total du produit. Ce qui n’est pas le cas pour une grosse partie des produits Soy. Plusieurs organisations, membres du CEES au moment de ces débats, comme la Confédération paysanne, France Nature Environnement (FNE) ou les Amis de la Terre, regrettent cette condition. Elles souhaitent que la législation évolue sur ce point. Ces dernières demandaient un seuil de 50 %. Ce sont les partisans des OGM qui, pour réduire à néant cette étiquetage face avant, ont exigé, et obtenu, un seuil si élevé. Ainsi Frédéric Jacquemart, président du GIET (et ancien président d’Inf’OGM), nous précisait récemment que pour lui, « le décret devrait être amendé de manière à ce que l’étiquetage « sans OGM » soit plus utilisé et qu’il soit un réel levier pour relancer les filières « sans OGM ». Ainsi, si aucun ingrédient n’est à plus de 0,9% d’OGM, le produit final devrait pouvoir bénéficier d’un étiquetage face avant ».
Concurrence déloyale avec des produits « sans OGM » européens
L’entreprise estime enfin que le décret français instaure une situation de concurrence déloyale entre les produits français « sans OGM » et leurs homologues issus de l’Union européenne. En effet, la France n’est pas le seul pays de l’UE à avoir élaboré un tel étiquetage, mais elle est la seule à mettre cette condition du seuil de 95%. Les produits sans OGM européens peuvent légalement être vendus en France avec un étiquetage sans OGM en face avant même s’ils ne respectent pas la réglementation française, pour autant qu’ils respectent celle du pays d’où ils proviennent. Interrogée par Inf’OGM, l’entreprise reconnaît que cette concurrence déloyale n’est pas très importante, car peu de produits issus de l’UE se placent sur la même gamme que les leurs. Mais cela jette une fois de plus le doute dans l’esprit des consommateurs, qui semblent oublier que les produits issus de l’agriculture biologique sont nécessairement produits sans recours aux OGM ! Le règlement européen bio autorise cependant 0,9 % d’OGM par ingrédient si cette présence est fortuite et techniquement inévitable. D’ailleurs, la DGCCRF nous précise que le décret 2012-128 prévoit un étiquetage « sans OGM conformément à la réglementation bio » pour les produits issus d’animaux nourris sans OGM (article 5). Mais les produits bio contenant exclusivement des végétaux ne peuvent bénéficier d’un étiquetage en face avant « sans OGM » que « si les conditions pour étiqueter en face avant sont respectées (article 13 du décret) et uniquement si l’opérateur peut justifier d’une absence d’OGM au seuil de 0,1%. Un ingrédient biologique d’origine végétale ne peut être qualifié de « sans OGM » du seul fait de son mode de production puisque l’absence d’OGM n’est garantie qu’à hauteur de 0,9% par le règlement (CE) n°834/2007 ».
L’Union européenne est assez sensible aux distorsions sur les marchés et à l’harmonisation des réglementations. En matière d’OGM, c’est d’ailleurs le niveau européen qui prime, sauf pour certains sujets. Les États membres peuvent adopter des réglementations pour « gérer » la coexistence, si elles respectent un cadre défini au niveau européen. De même, l’UE tolère que des États adoptent des réglementations nationales pour l’étiquetage « sans OGM ». L’élaboration d’un étiquetage sans OGM commun à l’ensemble des pays est d’ailleurs l’un de ses projets. La Commission européenne a lancé en 2011 une vaste étude sur cet étiquetage pour faire un état des lieux de l’existant et jeter les bases d’un étiquetage commun. Mais depuis, les résultats de son étude préliminaire se font toujours attendre [6]. D’après nos informations, le rapport de la Commission devrait être dévoilé une fois la nouvelle Commission européenne en place, d’ici fin 2014 au plus tard.
Cependant, pour les associations, l’harmonisation d’un étiquetage « sans OGM » au niveau européen ne doit pas exonérer le législateur d’un renforcement de la législation européenne en vigueur. Elles continuent de réclamer un étiquetage « OGM » des produits issus d’animaux nourris aux OGM. Et certaines vont jusqu’à exiger que par OGM, on entende l’ensemble des modifications génétiques artificielles et directement induites (la cisgenèse, la mutagénèse dirigée par méga-nucléase, etc.) et non pas la seule transgenèse.