n°129 - juillet / août 2014

Semences bio : comment renforcer leur disponibilité ?

Par Frédéric PRAT

Publié le 19/08/2014, modifié le 06/12/2023

Partager

 

Depuis plusieurs années, le marché du bio progresse en France (+ 85% de surfaces en bio en cinq ans [1]). Mais la demande est supérieure à l’offre (les importations représentent aux alentours de 25% de ce marché), la production française doit encore se renforcer, notamment dans la production de semences bio [2]. Mais quelles semences doit-on utiliser pour l’Agriculture biologique (AB) ? L’affaire, au niveau réglementaire du moins, semble simple : on produit bio avec des semences bio, point final. Oui, mais… Mais c’est quoi au juste une semence « bio » ? Entre les exigences réglementaires, souvent pensées pour la bio en circuits longs, et les désirs des autres bios plutôt en vente directe ou circuits courts, découvrons l’éventail des pratiques et des améliorations possibles.

 

JPEG - 116.4 ko
Crédits : Len Matthews

Une des « contraintes » de l’agriculture biologique, c’est l’utilisation, par les producteurs, de semences elles-mêmes définies, dans la législation européenne, comme biologiques : « pour la production de produits autres que les semences et le matériel de multiplication végétative, seuls les semences et le matériel de reproduction produits selon le mode biologique sont utilisés. À cet effet, la plante-mère, dans le cas des semences, et la plante parentale, dans le cas du matériel de reproduction végétative, ont été produites conformément aux règles établies dans le présent règlement [de la production en agriculture biologique] pendant au moins une génération ou, s’il s’agit de cultures pérennes, deux saisons de végétation » [3].

Semences bio : obligations de moyens… et de résultats

Produire des semences en bio exige donc de respecter une double obligation : de moyens, puisque cette production doit suivre le cahier des charges de l’AB (cf. encadré) ; et de résultats, puisque ces semences sont soumises aux mêmes réglementations que les semences conventionnelles (taux de germination, pureté variétale, pureté spécifique, éventuellement contrôle sanitaire des germes de maladies véhiculés par les semences et bien entendu les critères d’enegistrement des variétés au catalogue : distinction, homogénéité, stabilité (DHS) et, pour les espèces agricoles, valeurs agronomique, technologique et environnementale (VATE)). Le respect de ces deux obligations est indispensable pour mettre sur le marché des semences labellisées « bio ». Mais est-ce que la logique « bio » peut et doit se fondre dans le moule de la logique « conventionnelle » ? N’y a-t-il pas une démarche spécifique à la bio que ces critères pervertissent ? Pour Guy Kastler, délégué général du Réseau Semences Paysannes (RSP), les critères DHS et VATE, et certaines normes sanitaires, entravent les possibilités d’adaptation locale sans intrants chimiques et les transformations artisanales et diminuent les qualités nutritionnelles et gustatives.

Par ailleurs, Rey et al. [4] soulignent que les demandes des bios en semences diffèrent selon les types de débouchés : semences de variétés populations pour les circuits courts, et semences conventionnelles non traitées, notamment en maraîchage, pour les circuits plus longs, nécessairement plus standardisés. Christian Leclerc, secrétaire général du Comité Technique Permanent de la Sélection (CTPS) – comité consultatif notamment pour l’inscription des variétés au catalogue – nous en donne une explication de texte : « Dans une économie de filières, une description variétale stable est la garantie d’échanges sains, loyaux et marchands ». D’où la nécessité de variétés DHS, donc plutôt issues du conventionnel (mais non traitées). Isabelle Goldringer (Directrice de recherche à l’UMR de Génétique Végétale du Moulon, Inra de Versailles-Grignon) précise : « Les nouvelles variétés DHS sont adaptées à une agriculture biologique relativement « intensive ». Elles permettent aux agriculteurs qui les adoptent d’améliorer leur production et peuvent constituer un levier à la conversion d’agriculteurs qui hésitent à franchir le pas de l’AB. D’autres agriculteurs, insérés dans des systèmes de valorisation plus locaux, ont besoin de variétés populations adaptées à leur contexte pour assurer la stabilité de leur production et développer des qualités spécifiques » [5]. Dans ce texte, nous tenterons de distinguer semences labellisées bio (donc respectant les critères DHS et VATE) et semences bio (au sens de la logique inhérente à la bio : moins d’intrants, relocalisation, souveraineté, autonomie)…

Pour plusieurs raisons, les coûts de production des semences labellisées « biologiques » sont plus élevés qu’en conventionnel : rendements plus faibles en production, désherbage manuel ou mécanique, fumier composté (au lieu de fumier frais ou d’engrais chimiques), recours aux cultures intercalaires pour reposer et nourrir le sol, absence de recours aux raccourcisseurs de paille et aux défoliants (hormones de synthèse), etc. Ces surcoûts sont de l’ordre de 30 à 100% selon les espèces [6]. Mais gardons en tête toujours la même rengaine : ce renchérissement n’est qu’apparent puisque le prix de vente des semences conventionnelles ne prend pas en compte tous les coûts environnementaux, sociaux, etc. qui, s’ils l’étaient, mettraient les semences conventionnelles hors de prix.
Par ailleurs, avec 5,4% (en 2011) de la surface agricole utile dans l’UE (3,6% en France) [7], les semenciers professionnels ne trouvent pas toujours un intérêt commercial à se lancer dans cette aventure, surtout que les producteurs bios, refusant par essence l’artificialisation de leurs milieux avec des intrants, recherchent des semences adaptées et/ou adaptables à leurs terroirs : le nombre de variétés différentes attendu est très important, mais le marché pour chacune d’entre elles est nécessairement restreint et le nombre de sociétés produisant des semences bio l’est aussi. D’où des dérogations possibles pour les agriculteurs bio, prévues par le règlement européen de l’AB [8] avec, en cas d’insuffisance de semence bio sur le marché, la possibilité d’utiliser des semences conventionnelles, mais non traitées.

Traduction de François Delmond, producteur de semences bio (entreprise Germinance) : « la semence bio (et le matériel de reproduction : plant de pomme de terre par exemple) est un produit qui bénéficie paradoxalement, selon la réglementation européenne, et à la différence de tous les autres produits bio, d’une dérogation permanente : c’est le seul produit qui peut être produit à partir d’une semence non bio ! Ce que dénonce, en France, entre autres, les entreprises artisanales membres des Croqueurs de Carottes [association de sauvegarde des variétés potagères traditionnelles, NDLR] et du RSP, en produisant et diffusant des semences issues de semences bio. D’autres entreprises en Europe ont fait le même choix.
De même qu’une terre, pour bénéficier de la certification bio, doit avoir été cultivée plusieurs années en bio (en général trois ans), de même pour nous, une semence doit avoir été multipliée plusieurs générations en bio (en général trois, soit six ans pour les espèces bisannuelles). En deçà, comme la terre, nous considérons la semence comme en « conversion » vers la bio
 ».

A noter qu’en dehors du cas où un semencier conventionnel veut se démarquer de ses concurrents, le conventionnel n’a aucun intérêt à produire des semences bio puisque d’une part, s’il y a pénurie de semences bio, le paysan sera forcé d’acheter des semences conventionnelles ; et d’autre part, puisque, du fait du « renchérissement » des semences bio, les semenciers font des profits moindres avec les semences bio qu’avec les semences conventionnelles. Les trois grands semenciers historiques français de potagères (Clause, Tézier, Vilmorin), rachetés par le groupe Limagrain, l’ont bien compris : ils ne font pas de semences bio ou très peu (Tézier), juste histoire d’être présents sur le marché pour le surveiller et se faire la main au cas où il se développerait.

Le site français des semences bio

 

Le site officiel des variétés disponibles en semences issues de l’agriculture biologique permet :
• aux professionnels de l’agriculture biologique, de trouver plus facilement les semences biologiques des variétés des espèces qu’ils cherchent,
• aux fournisseurs de semences, de proposer aux agriculteurs les variétés qu’ils commercialisent et de tenir à jour instantanément les disponibilités,
• aux agriculteurs, qui ne trouvent pas les variétés adaptées à leur besoins, de faire rapidement une demande de dérogation auprès de leur organisme certificateur,
• aux organismes certificateurs, de suivre régulièrement les demandes de dérogations de leurs clients.
http://www.semences-biologiques.org
http://www.gnis.fr/index/action/page/id/69/title/Les-autres-sites-geres-ou-proches-du-Gnis

Production paysanne de semences de sorgho
Production paysanne de semences de sorghoCrédits : Icrisat

Éliminer progressivement les semences conventionnelles

Cette possibilité de dérogation, logique au début de la mise en place du règlement bio et prévue au départ jusqu’à fin 2003, a été prolongée, sans date de fin cette fois-ci. Le nouveau règlement CE n°1452/2003 du 14 août 2003 sur ces dérogations précisait en effet dans ses considérants : « il est clair que, pour un certain nombre d’espèces cultivées dans la Communauté, les quantités de semences et de matériels de reproduction végétative issus de l’agriculture biologique disponibles après le 31 décembre 2003 seront insuffisantes ». Ce pragmatisme, bien que nécessaire, a aussi freiné le développement de la production des semences biologiques. « Mais, à partir de 2008-2009, l’UE a demandé aux États de lutter contre ces dérogations, et la vente de semences biologiques a décollé » [9]. Dacian Ciolos, le commissaire européen à l’Agriculture, a d’ailleurs encouragé à limiter ces dérogations [10], constatant, en février 2014, que pour le bio « nous sommes face à un tel succès que la tendance est de pousser aux dérogations pour augmenter la production. (…) [Mais] l’important est de ne pas tromper la confiance du consommateur » [11]. La Commission recommande aux parties prenantes concernées de créer une base de données à l’échelle européenne sur la disponibilité des semences biologiques. Selon elle, « il est également nécessaire d’intensifier la recherche sur les techniques de sélection en faisant également porter les travaux sur l’utilisation de populations locales et d’espèces semi-domestiquées pour la production de semences biologiques en garantissant leur compatibilité avec les principes et objectifs de la production biologique » [12].

Les semences bio peuvent être soit achetées à des semenciers, spécialisés ou non en bio, soit auto-produites à la ferme (semences de ferme [13] et semences paysannes [14]).

Les semences biologiques disponibles sur le marché en France sont enregistrées dans la base de données (bdd) www.semences-biologiques.org. Les autres pays européens ont soit mis en place leur propre base de données, soit utilisent une base de données commune (http://www.organicxseeds.com), soit encore n’ont pas de système transparent (comme par exemple l’Espagne) [15]. En théorie, c’est donc seulement si la variété souhaitée n’est pas présente dans la base de données que l’agriculteur peut demander une dérogation. Certains pays sont allés plus loin, en publiant une liste d’espèces et de sous espèces hors dérogation, pour lesquelles l’offre variétale est considérée comme suffisante : seuls des experts habilités peuvent alors encore autoriser des dérogations, par exemple pour des variétés locales spécifiques (300 espèces ou types variétaux en Suisse, 70 aux Pays-Bas et… seulement 16 en France, où existe aussi une catégorie intermédiaire temporaire, qui mène au « hors dérogation », avec six espèces).

Où en est-on de ces dérogations en France ? Une vaste étude conduite entre 2010 et 2012 [16] montre que l’offre et l’utilisation des semences biologiques s’améliorent au fil des années : en moyenne, entre 45 et 70% des semences sont bio pour les céréales ; et entre 75% et 100% en maraîchage. Ce qui signifie que toutes les autres semences non bio utilisées sont des semences conventionnelles non traitées. Comment améliorer cette situation ?
Trois grandes pistes d’amélioration ont été identifiées dans l’étude de Rey, sur les plans économique, technique et réglementaire [17].

Produire plus de semences bio, pour les filières longues et courtes

D’un point de vue économique, Rey et al. recommandent de faciliter la concertation entre tous les acteurs pour identifier les variétés demandées mais manquantes en AB, d’analyser régulièrement les raisons des dérogations, et surtout de prendre en charge financièrement le risque d’une telle production, par exemple via une aide spécifique à la production de semences bio, une aide à la conversion ou au maintien des multiplicateurs de semences bio, ou à l’investissement spécifique de cette branche (serre).

Hybride, CMS, et plante mutée : tout est permis pour les semences ?

 

Entre « l’approche bio » et la réglementation, il y a parfois un gouffre. Ainsi, par exemple, si les OGM sont interdits en AB, la réglementation européenne tolère dans les produits bio un seuil de présence fortuite inférieur à 0,9%. Dans le domaine des semences, certains agriculteurs bio sont préoccupés non seulement par les OGM, mais aussi par d’autres techniques comme les hybrides F1 ou la technique de fusion de cytoplasmes utilisée notamment pour créer une stérilité mâle cytoplasmique (connue sous son sigle anglais CMS (cf. Qu’est-ce que la stérilité mâle cytoplasmique (CMS) ?). Cette technique permet de créer des hybrides CMS, très utilisés par les sélectionneurs… y compris en bio, notamment sur choux, chicorées sauvages, endives, colzas… ! (cf. encadré). Autorisée en bio dans le règlement européen, cette technique est fortement remise en cause par nombre d’agriculteurs bio, notamment en France, en Suisse et en Allemagne, pays où plusieurs organisations l’ont interdite dans leur cahier des charges [18]. Les instances professionnelles françaises de l’agriculture biologique se sont aussi prononcées contre cette utilisation et il en sera prochainement ainsi au niveau international (recommandations IFOAM). Principaux arguments : cette technique permet d’introduire des gènes venus d’une autre espèce végétale, et donc l’intégrité de la cellule n’est pas respectée. Cette technique produit des OGM au sens de leur définition réglementaire [19], mais ses produits sont exclus du champ d’application de la réglementation OGM. Mais la mise en œuvre de telles interdictions s’avère difficile. Ainsi, seuls Bio Breizh (APFLBB) et Nature & Progrès ont exclu toute plante issue de CMS de leurs cahiers des charges. Quant au label Bio Suisse, il a adopté une position anti CMS au printemps 2013, mais « s’est clairement prononcé contre une interdiction immédiate des variétés issues de CMS parce que les alternatives manquent et que l’interdiction serait difficile à contrôler » [20]. Le directeur de Sativa Rheinau, une entreprise suisse de production de semences bio, se veut toutefois rassurant : « Nos travaux de sélection avancent assez vite pour le chou chinois et chou-pomme, et nous pourrons proposer dans quelques années des variétés populations capables de satisfaire aux exigences de la production biologique professionnelle suisse ». Mais il tempère aussitôt pour le brocoli et le chou-fleur : « Nos travaux de sélection, qui visent des variétés populations, sont ici plus difficiles que prévu » [21]. Et il s’inquiète des dérives à venir : « les sélectionneurs conventionnels utilisent déjà aujourd’hui différentes nouvelles méthodes qui sont incompatibles avec la pensée bio (…). Et ça va continuer avec des méthodes qui s’apparenteront de plus en plus à des manipulations génétiques ». Pour les plantes issues de la mutagénèse [22], technique elle aussi exclue du champ d’application de la réglementation OGM, c’est le même débat : autorisées en AB, ces plantes mutées artificiellement sortent également de l’approche bio, tant le génome est bouleversé par ces mutations provoquées [23]. On pourrait déjà interdire toutes les variétés sélectionnées pour résister à un désherbant car elles sont inutiles en bio. Faute d’une production spécifique bio, les variétés mises au point avec ces nouvelles techniques vont bientôt arriver sur le marché sans devoir être étiquetées et évaluées spécialement. Et s’il n’y a pas d’informations sur les techniques utilisées, ni d’alternatives équivalentes sélectionnées en bio, l’agriculture biologique sera, comme pour les CMS, de nouveau obligée de tolérer ces variétés pendant longtemps…

Sur le plan technique, il s’agirait de renforcer les programmes de sélection pour la bio ou en bio, en déterminant les stratégies de sélection les plus efficaces. On sait par exemple que plusieurs « écoles » d’amélioration variétale coexistent, parfois en s’affrontant. Le recours à l’amélioration classique, en station, est questionné en bio, puisqu’en recherchant des variétés distinctes homogènes et stables (les fameux critères DHS du catalogue), pour tout type de milieu (donc accompagnées de force intrants – fertilisants, pesticides…), elle est surtout au service de l’agriculture conventionnelle (quelques exceptions existent cependant comme le centre allemand de Sativa-Rheinau [24] ou néerlandais de De Bolster [25]. Reste la recherche dans des fermes sous divers protocoles et types de gestion. Prenons l’exemple du blé tendre. Les deux premières variétés de blé tendre pour l’agriculture biologique, Hendrix et Skerzzo, ont été inscrites en 2011 par l’Inra, après avoir été évaluées, pour la première fois, par le CTPS, sur des critères universels mais déclinés spécifiquement pour l’usage en AB : le rendement et la qualité boulangère, en l’absence d’herbicides, de fongicides et d’engrais chimiques. Dans un article récent [26], Bernard Rolland, chercheur à l’Inra, décrit la méthode de sélection pour les variétés de blé tendre Hendrix et Skerzzo : « [Premièrement], les géniteurs étaient des variétés modernes mais rustiques, sélectionnées initialement pour des systèmes à faibles intrants mais qui n’ont pas été retenues pour l’inscription en conditions standards. Nous avons « repêché » ces variétés à partir de 2003 pour les tester en AB. Deuxièmement, les essais au champ ont été réalisés en deux phases : d’abord selon une conduite bas intrants [27], puis en conditions AB ». Autre méthode, complémentaire de cette dernière : la recherche participative sur des variétés populations directement dans les fermes, méthode décrite dans le dernier numéro d’Inf’OGM [28]. Les paysans boulangers en bio cultivent des blés populations ou des blés anciens, comme le rouge de Bordeaux, qui correspondent à leur attente.

La troisième piste d’amélioration pour la production de semences bio est le volet réglementaire. En effet, non homogènes et non stables, il est difficile, dans l’état actuel de la législation, d’inscrire au catalogue officiel les variétés populations. Rey et al, mais aussi le RSP, préconisent de créer un « cadre juridique spécifique adapté concernant i) la commercialisation de semences de populations hétérogènes, et ii) la gestion dynamique in situ à la ferme de la biodiversité cultivée dans un cadre collectif ». Pour eux, la période de « mise à plat de la réglementation européenne sur la commercialisation des semences et des plants » [29] est propice à formuler des propositions, notamment via les réseaux porteurs de ces enjeux : IFOAM et ECO-PB [30]. Une expérimentation de culture de populations hétérogènes va être lancée (2015-2018), à la demande de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne, qui disposent respectivement de blé et de maïs en populations hétérogènes. L’expérience visera à déterminer si la mise en culture de ces populations est viable en termes de traçabilité et si l’on peut envisager l’établissement d’un catalogue pour ces populations hétérogènes, à l’instar du catalogue existant pour les variétés pures [31].

Adieu les semenciers conventionnels ?

On a vu dans un précédent article que le marché mondial des semences était en train de se concentrer dans les mains d’une poignée d’entreprises : si autour de 70 % des semences utilisées sur la planète restent produites par les agriculteurs, dix entreprises semencières mondiales contrôlent 75% des semences commercialisées et les trois premières d’entre elles en commercialisent 53 % [32]. Parier sur le fait qu’elles ouvriront un secteur de production spécifique en semences bio n’est pas le bon choix : les techniques utilisées, on l’a vu, font de plus en plus appel à des manipulations génétiques, même si officiellement et juridiquement elles ne portent pas le nom d’OGM. C’est pourquoi, pour respecter l’approche globale de la bio, il est important que les paysans se réapproprient davantage la sélection de leurs propres variétés, en développant notamment la formation. Mais, parce que, faute de temps ou de technicité requise, les paysans ne produiront pas tous leurs semences, il faudra également continuer à développer des entreprises spécifiques de sélection et de production de semences bio, avec des règles économiques et juridiques adaptées (subventions, formation, évolution du cadre législatif). Les pouvoirs publics et la recherche doivent appuyer ces deux dynamiques.

Pour conclure, laissons la parole à François Delmond, producteur de semences bio (Germinance) : « Qu’est-ce qu’une semence bio ? : elle doit avoir un bon « disque dur » (la graine produite en bio, exempte de pesticides, germant bien conformément à la législation générale et d’un bon état sanitaire) ; et un bon « logiciel » : une variété adaptée aux conditions de culture bio, donnant un produit alimentaire de qualité optimale, et obtenue selon des méthodes conformes à la règlementation bio (pas d’OGM donc pas de CMS obtenue par fusion de protoplastes non plus (cf. encadré ci-dessous)) et à l’éthique de la bio (pas de méthodes de sélections brutales, intrusives, qui, en général, conduisent à des variétés ne donnant pas un aliment de qualité optimale). On peut aller encore plus loin. Il y a deux autres « logiciels » à prendre en compte : le savoir-faire associé à la variété (méthodes de culture adaptées) et les informations données par le semencier à son client sur la semence qu’il vend (âge de la semence, taux de germination). En dehors de quelques Croqueurs de Carottes, les semenciers ne « donnent » pas cette information à leurs clients (avec la bénédiction du législateur). C’est un peu comme si un marchand de voitures d’occasion les vendait sans fournir les données objectives sur leur âge et leur kilométrage… Et les paysans acceptent ça ! ».

[14 milliards d’euros TTC de chiffre d’affaires en 2012 (contre 2,1 milliards d’euros en 2007 et, source : http://www.agencebio.org/la-bio-en-france

[2à noter que la production de semences biologiques a progressé de 84%, passant de 1300 ha (en 2007) à près de 2400 ha en 2012, p. 417 in Rey, F et al, Semences biologiques en France : quelles pratiques ? Quelles attentes ?, Innovations agronomiques 32(2013), 413-425

[3article 12, paragraphe 1, alinéa i) du règlement (CE) N°834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques et abrogeant le règlement (CEE) n°2092/91

[4Rey, F et al, Semences biologiques en France, article cité

[6Rey, F et al., article cité

[8(CE) n°889/2008

[10et à terme à les éliminer, avec un point d’étape en 2021

[12COM(2014) 179 final, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Plan d’action pour l’avenir de la production biologique dans l’Union européenne, 24 mars 2014, http://ec.europa.eu/agriculture/organic/documents/eu-policy/european-action-plan/act_fr.pdf

[13semences commerciales reproduites à la ferme

[14semences sélectionnées directement dans les fermes

[15L’Union européenne a mis en place un portail vers toutes ces bdd : http://ec.europa.eu/agriculture/organic/eu-policy/eu-rules-on-production/seeds-database/index_fr.htm

[16Rey, F et al., article cité

[17Ibid, p.423-424

[18Ce fut d’abord Ecopb – consortium européen de sélectionneurs bio, dont l’Institut technique d’agriculture biologique (Itab) est membre, qui a travaillé au début des années 2000 sur une définition des techniques de sélection acceptables en bio (tout ce qui ne transgresse pas la cellule végétale). Puis c’est l’Association des Producteurs de Fruits et Légumes Bio de Bretagne (APFLBB) accompagnée par l’Itab qui s’est mobilisée pour exclure la CMS de son cahier de charges, suivie par Nature et Progrès (N&P). Mais personne n’a encore exclu la totalité des plantes issues de mutagénèse car il ne resterait pas grand chose, voire rien du tout pour certaines espèces comme le colza, le tournesol oléique, le riz français…

[19article 2, directive 2001/18/CE

[20« Renoncer aux CMS dès que les conditions le permettront », Bioactualités 7/13 : 12-13, septembre 2013 http://www.bioactualites.ch/fileadmin/documents/bafr/magazine/archives/2013/ba-f-201 3-07.pdf

[21ibid., p.13

[23cf. par exemple R. Batista et al., « Microarray analyses reveal that plant mutagenesis may induce more transcriptomic changes than transgene insertion », PNAS 1 05 (9) : 3640-3645, mars 2008. Dans cette publication, on apprend qu’un riz muté a eu plus de 50 gènes affectés

[27Fertilisation azotée à 70 unités par ha et emploi d’un herbicide, pas de raccourcisseur de paille, ni fongicide, ni insecticide

[30IFOAM : Fédération internationale des mouvements de l’agriculture biologique et ECO-PB : Consortium européen pour l’amélioration végétale en AB. ECO-PB présentera d’ailleurs une motion en ce sens à la prochaine assemblée générale d’IFOAM en octobre 2014 à Istanbul

Actualités
Faq
A lire également