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Un veau doublement artificiel, cloné et OGM
Des chercheurs étasuniens viennent d’annoncer la naissance du premier veau génétiquement modifié résistant au virus de la diarrhée virale bovine (BVD). La BVD est particulièrement contagieuse. Elle peut causer de sévères infections respiratoires et intestinales et des problèmes reproductifs. Dans les systèmes industriels, cette maladie peut générer des pertes économiques lourdes, notamment du fait de la concentration et de l’homogénéité génétique. Les systèmes pastoraux la gèrent en favorisant et en entretenant l’immunité de leurs animaux.
Un article scientifique récent annonce la naissance d’un veau modifié génétiquement pour « résister » au virus de la diarrhée virale bovine (BVD) [1]. Le début de l’histoire commence comme celle de la brebis Dolly : clonage d’animaux à partir de cellules somatiques (non sexuelles, à deux jeux de chromosomes). Les cellules concernées dans le cas de ce veau cloné GM sont des cellules de peau – appelées fibroblastes primaires – prélevées chez une femelle de race bovine Gir (Bos indicus TO470). L’ADN de ces cellules a alors été modifié par l’outil moléculaire CRISPR/Cas9. Le noyau modifié a été introduit dans un ovocyte préalablement énucléé. Puis, les embryons issus de cette fusion ont été implantés dans des vaches porteuses. Des fibroblastes témoins non « crispérisés » ont aussi été fusionnés avec un ovocyte énucléé et les embryons implantés dans un deuxième lot de vaches porteuses. Au bout de 100 jours de gestation (sur 285), deux fœtus, génétiquement modifiés ou non, ont été prélevés pour isoler leurs cellules primaires et réaliser des tests comparatifs. Un veau modifié a été mis au monde par césarienne, à terme. Les chercheurs de l’USDA et de deux entreprises (Recombinetics et Acceligen) affirment qu’aucune modification hors-cible n’a été décelée et que ce veau (une génisse en fait), actuellement âgé de 20 mois, semble normal et en bonne santé, sans effets indésirables apparents.
- Représentation schématique du clonage reproductif
- La modification génétique apparaît sous le mot « edit »
En quoi consiste la modification génétique des fibroblastes ?
Le virus de la BVD est étudié depuis 50 ans, notamment pour mettre en place des stratégies de vaccination qui ne remportent que peu de succès vu le nombre de souches virales existantes. Entré dans l’organisme par voie orale et/ou nasale, ce virus infecte les cellules de nombreux organes et des populations de globules blancs. Le principal récepteur cellulaire du virus de la BVD est une protéine produite par le gène CD46 [2]. L’invalidation de ce gène par CRISPR/Cas9 dans les cellules rénales de bovins cultivées in vitro entraîne une réduction significative de la sensibilité des cellules au virus, comme cela a été montré par des chercheurs allemands en 2020 [3].
Il est cependant impensable d’invalider le gène sur un organisme entier. En effet, la protéine CD46 est présente sur toutes les cellules nucléées et joue un rôle essentiel dans divers processus biologiques. Pour palier cette difficulté, CRISPR/Cas9 a été utilisé pour modifier, in vitro, uniquement les 18 nucléotides qui codent le site de liaison de la protéine au virus [4]. Ainsi, il a été possible de produire des fibroblastes exprimant la protéine CD46 modifiée dont la sensibilité au virus est réduite. Il s’agit ici d’une des techniques qualifiées dans la littérature de « mutagénèse dirigée ».
Contrairement aux apparences, la technologie de cette modification génétique est très lourde. Elle demande, entre autres, « un logiciel d’intelligence générale artificielle […] [pour] replier les variantes du domaine extracellulaire de CD46 [NDLR : partie externe de CD46 où se trouve le site de liaison au virus] », « des ARN guides et l’ARNm Cas9 » qui seront synthétisés par transcription in vitro [5]. Les pièces détachées pour réaliser ces constructions sont nombreuses et achetées dans des entreprises spécialisées [6]. Des plasmides [7] de transcription sont utilisés. Par ailleurs, les molécules obtenues doivent être multipliées. Ce dispositif d’amplification est complexe. Des contrôles par génotypage de l’efficacité de la mutation provoquée doivent aussi être menés ainsi que des contrôles au niveau de la protéine CD46. Tout ceci exige un matériel sophistiqué.
Un veau cloné GM, preuve de concept
À l’âge de dix mois, le veau GM et un veau témoin ont cohabité pendant une semaine avec un troisième veau infecté et, de ce fait, ont ont été exposés à la même charge virale de BVD. Contrairement au témoin non GM, le veau modifié n’a pas présenté de signes cliniques de l’infection (toux, rhinite, rougeurs, etc). Des prélèvements ont révélé une faible présence du virus dans son sang pendant trois jours seulement et n’entraînant pas une infection des organes cibles.
Pour les chercheurs, ces premiers résultats servent de « preuve de concept », c’est à dire de faisabilité. Le verbe est intéressant : « Cet animal de précision, preuve de concept, fournit la première preuve que des modifications intentionnelles du génome dans le gène CD46 peuvent réduire le fardeau des maladies associées au virus de la BVD ». L’animal est réifié.
Les chercheurs étasuniens sont néanmoins très prudents : « Cependant, on ne sait pas si l’édition (sic) du gène CD46 réduira la sensibilité d’un animal au BVDV [virus de la BVD] in vivo. Comme de nombreux virus cultivés en cellules, le BVDV s’adapte rapidement in vitro pour infecter les cellules dépourvues de CD46 en acquérant des mutations […]. Toutefois, les adaptations virales aux récepteurs de l’hôte qui se produisent in vitro ne correspondent pas nécessairement aux résultats in vivo. Il peut donc être difficile de prédire avec précision le succès d’une stratégie d’édition (sic) de gènes visant à réduire l’infection virale ».
Une technologie au service de l’industrie de l’élevage ?
Les auteurs du même article ne cachent pas que cette double technologie, très lourde et coûteuse (clonage et modification génétique par CRISPR/Cas9), intéresse l’industrie : « le BVDV est un cofacteur important du complexe des maladies respiratoires bovines, l’une des maladies infectieuses les plus importantes du point de vue économique pour l’industrie bovine. Par conséquent, la réduction des infections transplacentaires par le BVDV pourrait améliorer de manière significative la santé et le bien-être des animaux, réduire la charge que représentent les infections par le BVDV pour l’industrie et fournir une occasion importante de réduire l’utilisation d’antibiotiques dans l’agriculture ».
Dans les élevages industriels, la concentration des animaux et leur homogénéité génétique facilitent et intensifient les maladies, d’où le recours aux antibiotiques, vaccins, modifications génétiques : procédés peu efficaces et extrêmement coûteux en termes financiers et écologiques.
Il est temps de soutenir les pratiques paysannes de gestion des troupeaux basées sur l’observation, sur la diversité génétique des animaux adaptée à chaque territoire et sur la relation féconde entre l’Homme et l’animal.
[1] Workman ; A. M. et al., « First gene-edited calf with reduced susceptibility to a major viral pathogen », PNAS Nexus, Volume 2, Issue 5, Mai 2023.
[2] Maurer, K. et al., « CD46 is a cellular receptor for bovine viral diarrhea virus », J Virol, février 2004 ;78(4):1792-9.
[3] Szillat, K.P. et al., « A CRISPR/Cas9 Generated Bovine CD46-knockout Cell Line-A Tool to Elucidate the Adaptability of Bovine Viral Diarrhea Viruses (BVDV) », Viruses, 6 août 2020 ;12(8):859.
[4] Nucléotide : unité de base de l’ADN. 4 sortes : A (à adénine), T (à thymine), G ( à guanine), C ( à cytosine).
[5] La transcription est la copie de l’ADN en ARN.
[6] Par exemple, pour la réparation du gène : Integrated DNA Technologies (https://eu.idtdna.com/pages)
[7] Petits ADN circulaires des bactéries (pouvant être linéarisés)