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UE – Les ministres s’accordent sur une nouvelle procédure d’interdiction des OGM
Jeudi 12 juin, les ministres de l’Environnement des 28 Etats membres de l’Union européenne (UE) ont trouvé « un accord politique » (le Luxembourg et la Belgique se sont abstenus) sur une proposition de règlement qui définira, s’il est in fine adopté par le Parlement, une nouvelle procédure pour interdire nationalement la culture d’une ou plusieurs plantes génétiquement modifiées (PGM). Cette proposition était en discussion depuis plus de quatre ans. Cet accord politique doit encore être formalisé dans une « position commune », et un trilogue entre les États, la Commission européenne et le Parlement s’ouvrira sans doute à l’automne. D’ici là, le Parlement se sera constitué, la Commission européenne aura été renouvelée et les entreprises auront repris leur lobby, comme au Royaume-Uni…
Après quatre années de refus, les États membres ont finalement accepté de répondre à la proposition formulée par la Commission européenne en 2010, relayée ensuite par le Danemark et la Grèce. En juillet 2010, la Commission européenne soumettait au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne un texte qui visait à permettre à un État membre d’interdire la mise en culture d’une plante génétiquement modifiée (PGM) sur la base de considérations éthiques ou socio-économiques. En 2011, le Parlement européen demandait que cette procédure puisse aussi être utilisée avec des arguments scientifiques environnementaux. Et il demandait que la base juridique du texte (actuellement l’article 114 du Traité européen instituant l’harmonisation du marché intérieur) soit changée au profit de l’article 192 du Traité européen traitant de la protection de l’environnement.
En parallèle, les discussions au sein du Conseil de l’Union européenne étaient totalement bloquées, certains États membres, à l’instar de la France, contestant ce texte qu’ils considéraient comme juridiquement fragile. Le 12 juin 2014, un accord a pourtant été trouvé. Comment la situation s’est-elle débloquée ?
Fragilité juridique du nouvel accord
La législation actuelle permet aux États membres, sous certaines conditions, d’interdire la mise en culture et / ou l’importation de tout OGM sur son territoire. Deux possibilités de procédure à suivre, selon le texte de loi qui a été utilisé pour autoriser sur le territoire européen l’OGM que l’on souhaite interdire au niveau national : soit déclencher la clause de sauvegarde, si c’est la directive 2001/18 qui a été utilisée ; soit la mesure d’urgence, dans le cas du règlement 1829/2003. Dans les deux cas, ces interdictions doivent être justifiées par des arguments scientifiques montrant des impacts sur la santé ou l’environnement. Le texte sur lequel le Conseil de l’Union européenne vient de s’accorder élargit ces possibilités : il établit que chaque État membre pourra désormais demander, au cours de la procédure d’autorisation ou après, à une entreprise qui désire commercialiser un OGM, que son territoire soit clairement exclu de la demande d’autorisation. En cas de refus, le pays pourra alors malgré tout invoquer des arguments éthiques ou socio-économiques, mais en aucun cas des arguments scientifiques, pour interdire cette PGM sur son territoire.
La nature des arguments évocables a été longtemps considérée comme une fragilité juridique par certains États membres et des associations comme les Amis de la terre Europe ou Greenpeace Europe. En effet, l’OMC ne reconnaît comme valides que les décisions basées sur des arguments scientifiques. Ainsi, il y a peu de chance qu’en cas de conflit à l’OMC, les pays qui auraient utilisé cette nouvelle procédure puissent maintenir l’interdiction de mise en culture. Un constat, rappelle les Amis de la Terre Europe, porté par le service juridique du Conseil de l’Union européenne depuis avril 2011 [1].
« Votes » des États membres
C’est un large consensus qui est venu confirmer l’accord politique sur la proposition de la présidence grecque. Seul le Luxembourg et la Belgique se sont abstenus de prendre part au vote. Contrairement à la Belgique qui n’a pas expliqué sa position, le Luxembourg a souligné les différents éléments qui pour lui restent problématiques. L’implication des entreprises dans ce processus d’autorisation ne semble pas souhaitable et pose la question de ce nouveau rapport de force qui va ainsi s’instaurer. Le pays souligne également le risque que cette proposition conduise à une vague de nouvelles autorisations alors même que le principe de précaution doit rester central au niveau européen, ce que la réglementation actuelle et plus particulièrement l’évaluation, ne permet pas aujourd’hui, faute de considérer les effets potentiels à long terme des OGM.
L’ensemble des États en faveur de cette proposition ont souligné la nécessité de trouver une solution pour améliorer un système qui ne fonctionne pas aujourd’hui à la fois pour les autorisations et les interdictions. Pour la majorité des États, cette proposition permet un équilibre entre ces deux impératifs et permettra d’avoir une procédure en conformité avec les règles du marché unique et celles de l’OMC. Un point sur lequel la société civile formule justement d’importantes critiques. Certains ont néanmoins souligné la nécessité d’ouvrir les discussions sur la question de la traçabilité et de la coexistence transfrontière. Le Commissaire européen à la Santé et aux consommateurs, Tonio Borg, espère que cette proposition sera largement soutenue par les parlementaires permettant une issue rapide, idéalement avant fin 2014.
Ségolène Royal, ministre française de l’Environnement, a précisé au cours du Conseil que ce « nouveau système garantit aux États la possibilité de choix, s’ils souhaitent cultiver ou non » . Une analyse qui tranche donc avec celle de mars 2012 sur la proposition similaire alors portée par le Danemark et résumée par Philippe Léglise-Costa de la Représentation Permanente de la France à Bruxelles, qui expliquait que « ce compromis pose beaucoup de problèmes et laisse les États qui veulent interdire la culture seuls avec leurs mesures de restriction » [2].
La stratégie d’EuropaBio récompensée
L’association de lobby des entreprises de biotechnologies, EuropaBio, a affirmé le 28 mai 2014 que « tout produit qui répond aux critères scientifiques d’évaluation des risques fixés par l’Union européenne doit être autorisé sans délai ». Europabio semble ainsi marquer son désaccord avec le texte discuté par le Conseil. Un désaccord tout relatif si on en croit un document interne d’EuropaBio, obtenu par l’association britannique Genewatch dans le cadre de son droit d’accès à l’information [3] et datant « probablement » de 2012 selon Corporate Europe Observatory (CEO). Il montre en effet que la proposition en débat fait partie intégrante de ce qu’EuropaBio appelle « le panier » à négocier. Ce panier vise à « traiter en même temps différentes questions [du dossier OGM, ndlr] pour que les avancées sur certaines soient subordonnées à l’accord des États membres sur d’autres ». Pour Europabio, ces questions en suspend sont la proposition amendée d’interdictions nationales, la mise en place de solutions techniques au problème de contamination des lots de semences, la fin du vote des États membres contre les autorisations à la culture et la reprise par la Commission européenne de la mise au vote des demandes d’autorisation à la culture et de l’abolition des clauses de sauvegarde nationales.
Pour ce lobby, les discussions sur la proposition des interdictions nationales doivent notamment être « retravaillées de manière à dire que les États membres peuvent utiliser la phase 2 [interdire nationalement la culture d’un OGM] si l’entreprise a rejeté la phase 1 [la demande d’un État membre que l’autorisation ne couvre pas son territoire] ». Une demande satisfaite puisque le Danemark puis la Grèce ont intégré cette étape de négociation obligatoire dans le texte validé par le Conseil de l’Union européenne ce 12 juin.
L’association Genewatch a obtenu que soient rendus publics les échanges de courriers électroniques entre le ministère britannique de l’Environnement et le lobby des entreprises de biotechnologie (notamment Europabio mais aussi le Conseil sur les Biotechnologies agricoles (Agricultural Biotechnology Council)). Elle a ainsi pu constater que le ministre de l’Environnement, Owen Paterson, avait « travaillé de manière étroite avec l’industrie GM sur ce texte » [4]. Genewatch souligne que la nomination en septembre 2012 d’Owen Paterson au poste de ministre correspond à un revirement de position du gouvernement britannique sur ce texte [5], ce qui, en levant la minorité de blocage, a permis de rouvrir la négociation entre États membres.
Vers une avalanche de nouvelles autorisations d’OGM ?
Pour l’eurodéputé José Bové, « ce règlement sur les OGM n’est que l’illusion d’une bonne solution ». Une illusion pour les États membres car l’accord politique obtenu le 12 juin a une conséquence directe, il conforte la Commission européenne dans son objectif visé depuis le départ : obtenir des États membres qu’ils cessent de s’opposer aux autorisations d’OGM (à la culture comme à l’importation). Si le trilogue avec le Parlement européen (cf. plus loin) aboutit sur un texte semblable à celui adopté au cours de ce Conseil de l’Environnement, la Commission européenne aura les coudées franches pour accélérer le train des autorisations à la culture et/ou à l’importation.
La seconde conséquence est de fragiliser le front des États opposés aux cultures GM. En effet, le succès d’une négociation entre un État et une entreprise ne dispensera pas l’État de voter pour ou contre cette autorisation. Ainsi, même si rien ne l’impose dans le texte, il semblerait que si cette négociation aboutit à un accord de l’entreprise, le pays demandeur ne devra pas s’opposer à l’autorisation. Il lui restera dès lors à voter pour ou s’abstenir (ce qui revient au même au niveau du vote final). Les pays n’ayant pas obtenu gain de cause face aux entreprises perdront donc a priori un allié dans le cadre d’un vote contre. A moins que les États opposés aux OGM partent en guerre contre la Commission et votent contre l’autorisation indépendamment de leur négociation avec l’entreprise.
L’accord politique obtenu le 12 juin va maintenant être formalisé en position commune par la prochaine Présidence italienne de l’Union européenne. L’adoption de cette position commune a priori à l’automne 2014 ouvrira la voie à des discussions à trois entre Parlement européen, Commission européenne et Conseil de l’Union européenne. Selon le Commissaire européen Tonio Borg, une adoption finale du nouveau règlement serait donc possible d’ici décembre 2014 [6]. Un calendrier particulièrement serré si on considère l’écart entre la position du Parlement européen formulée en 2011 et celle du Conseil de l’Union européenne adoptée aujourd’hui.
[1] ,
, « UE – Nationaliser les autorisations de PGM à la culture : quelle légalité ? », Inf’OGM, 24 janvier 2011
[2] , « UE – Interdictions nationales des OGM : échec de la subsidiarité à la danoise », Inf’OGM, 14 mars 2012
[3] http://corporateeurope.org/food-and-agriculture/2014/05/biotech-lobbys-fingerprints-over-new-eu-proposal-allow-national-gmo
[4] http://www.genewatch.org/article.shtml?als[cid]=574133&als[itemid]=574596
[5] http://www.genewatch.org/article.shtml?als[cid]=492860&als[itemid]=574495
[6] Déclaration de Tonio Borg en fin de réunion du Conseil de l’Union européenne du 12 juin 2014