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Traçabilité des OGM/NTG : deux programmes de recherche concurrents
Le 6 décembre 2023, la Commission européenne signait l’attribution de 11 millions d’euros pour deux programmes de recherche différents sur la traçabilité des OGM/NTG. Des financements qui interpellent, car la Commission a régulièrement affirmé que la traçabilité de ces produits n’était pas possible. Un des deux programmes a d’ailleurs pour acteur Euroseeds, une organisation de lobbying ayant elle-même affirmé à plusieurs reprises l’impossibilité d’une telle traçabilité.
Selon la Commission européenne, « les modifications génétiques introduites par ces techniques ne peuvent pas [dans certains cas] être distinguées au moyen des méthodes analytiques des mutations naturelles ou distinguées des modifications génétiques introduites par des techniques d’obtention conventionnelles »1. Avec cette hypothèse, elle a donc proposé, le 5 juillet 2023, de mettre un terme à l’obligation faite aux entreprises de fournir une méthode permettant de tracer ces OGM et de les étiqueter. Paradoxalement, six mois après avoir fait cette proposition basée sur l’affirmation de non traçabilité de ces OGM, la Commission européenne a débloqué plus de onze millions d’euros pour deux programmes de recherche sur la détection et traçabilité des OGM. Entre 2016 et 2021, sur les 356 millions d’euros que l’UE a consacré à de nouvelles recherches sur les OGM, 1,6 % ont été consacrés aux méthodes de détection, à l’évaluation des risques ou à la surveillance2.
Un programme impliquant deux organismes français
Le premier programme financé est coordonné par le centre norvégien Norce. Appelé Darwin, ce programme de recherche ambitionne de développer une stratégie, qualifiée d’innovante, de détection et traçabilité des produits obtenus par les nouvelles techniques de modification génétique.
Financé à hauteur de cinq millions d’euros, ce programme se déroule du 1er janvier 2024 au 30 juin 2027. Il regroupe divers instituts de recherche grecs, italiens, belge, israélien, allemand, suédois, espagnol, argentin, hongrois et norvégien. Deux instituts français sont également engagés, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et l’Agence nationale de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
Les ambitions à développer des méthodes de traçabilité des OGM/NTG de ces instituts reposent sur l’utilisation de plusieurs outils ou techniques à disposition. Outre les méthodes de PCR qui permettent de « lire » l’ADN extrait de cellules végétales, de nouvelles méthodes « innovantes et de confiance » seront utilisées. Il s’agit par exemple de méthodes permettant la détection de modification génétique obtenues par de nouvelles techniques avec des systèmes d’identification et quantification d’une ou plusieurs modifications. Il peut s’agir également de méthode de séquençage du génome entier. Une des idées est d’utiliser une approche d’identification « d’empreintes génétiques en utilisant l’intelligence artificielle pour […] identifier de manière non ambigüe les lignées spécifiques NTG ».
Des méthodes numériques de recherche de données seront également développées pour accumuler les connaissances sur les nouvelles techniques. Le système des blockchains (technologie de stockage et de transmission d’informations) sera étudié pour permettre de son côté la mise en place d’une détection et traçabilité transparente tout le long de la chaîne alimentaire.
Alors que la fin du programme est prévue pour juin 2027, les chercheurs écrivent en conclusion de leur présentation que leurs résultats pourront « contribuer de manière robuste à la réflexion législative ». Cette ambition ne pourra devenir réalité que si le législateur européen, qu’il s’agisse du Parlement européen, du Conseil de l’Union européenne ou de la Commission européenne – financeur du programme – attend ces résultats pour faire aboutir ses réflexions et prises décisions législatives éventuelles…
Six millions d’euros pour les multinationales ?
Le second programme a obtenu de son côté un million d’euros de plus que le programme Darwin, soit six millions d’euros. Son calendrier de mise en œuvre est légèrement plus long, ayant débuté le 1er janvier 2024 et devant se terminer le 31 décembre 2027, six mois après le programme Darwin.
Nommé « Detective », il est coordonné par l’Université suédoise d’agriculture. Les organismes de recherche impliqués sont chypriote, belge, autrichien, allemand, slovène, polonais et néerlandais. Aucun acteur français ne fait partie de ce programme, contrairement à un institut de recherche chinois et un suisse qui sont présentés comme « partenaires ». La Commission européenne elle-même est annoncée comme partenaire de ce programme au travers du Centre Commun de Recherche. Elle n’est par contre pas partenaire du programme Darwin.
S’il explique ambitionner de développer des méthodologies permettant de détecter, identifier et quantifier des produits végétaux et animaux obtenus par les nouvelles techniques de modification génétique, ce programme pourrait plutôt annoncer une éventuelle impossibilité de les tracer sur base d’analyses biologiques. Contrairement au programme Darwin, sa présentation pose ainsi comme principe que la détection de ces OGM est limitée techniquement. Si des approches non techniques (sans analyse donc) seront étudiées, elles intégreront « leurs implications légales et économiques », comme un rappel de leur coût souvent dénoncé par les multinationales3. Surtout, ce programme explique dans sa présentation être un « consortium multidisciplinaire et multisectoriel », dont les liens « avec les parties prenantes concernées [via un] comité consultatif des parties prenantes permettront d’améliorer la compréhension et la sensibilisation aux défis liés à la traçabilité, à l’authenticité et à la transparence des produits dérivés des NGT ». Sensibiliser aux défis de la traçabilité apparaît comme une formule ouvrant aussi bien à la conclusion de la possibilité que de l’impossibilité.
L’ambiguïté de ce programme trouve possiblement sa raison d’être dans la nature de certains acteurs qui y participent. On trouve par exemple dans les participants au projet Detective un acteur pro-déréglementation connu : Euroseeds. L’organisation de lobbying des multinationales semencières, va toucher près de 205 000 euros pour sa participation. Cette organisation a de longue date affirmé l’impossibilité de tracer les OGM obtenus par de nouvelles techniques de modification génétique. En juin 2023, Euroseeds écrivait ainsi à la Commission européenne que « tous produits pour lesquels aucune méthode de détection ne peut être développée devraient être considérés comme plantes NTG de catégorie 1 » (la catégorie proposée par la Commission européenne pour n’avoir aucune évaluation des risques, étiquetage ou autres obligations)4. Elle demandait donc que « aucun requis d’étiquetage ou de traçabilité ne soit exigé pour les produits NTG similaires aux plantes conventionnelles qui ne sont pas requis pour ces dernières ». En novembre 2023, Euroseeds réitérait sa position en écrivant dans une foire aux questions publiée sur son site que « les méthodes de détection actuelles ne peuvent pas distinguer l’origine d’une modification génétique dans une plante (NTG ou conventionnelle) et si une plante est un OGM réglementée, soumise ou non aux requis de traçabilité, étiquetage et coexistence ». Sauf à se dédire, il paraît difficile d’imaginer Euroseeds participant à un projet de recherche concluant à la possibilité de détecter et tracer ces OGM/NTG…
Le calendrier de la Commission européenne apparaît par certains aspects assez paradoxal. Sur la question de la détection/traçabilité des OGM obtenus par de nouvelles techniques, sa proposition, formulée le 5 juillet 2023, reposait sur l’affirmation de l’impossibilité de les différencier de plantes conventionnelles. Mais, six mois plus tard, la Commission finance deux programmes de recherche sur le sujet, dont un impliquant des multinationales clamant une telle impossibilité. Et, alors que les États membres et parlementaires européens ont été pressés de voter, les résultats de ces programmes de recherche sont attendus pour décembre 2027. La pertinence politique de ces financements et des résultats présentés dépendra dès lors de la décision du législateur européen de les attendre pour adopter ou non une nouvelle législation…
- Proposition du 5 juillet 2023, considérant 7. ↩︎
- European Commission, « Study on the status of new genomic techniques under Union law and in light of the Court of Justice ruling in Case C-528/16Rapport de la Commission » (p. 35), 29 avril 2021. ↩︎
- Euroseeds, « Farming and producing more sustainably is not a scientific problem – it’s a regulatory problem », 10 mai 2023. ↩︎
- Euroseeds, « Letter to Stella Kyriakides », 26 juin 2023. ↩︎