Fiche technique / Etat des lieux

STARLINK – Chronique d’un scandale annoncé

Par Christophe NOISETTE

Publié le 28/02/2001, modifié le 08/07/2024

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L’affaire Starlink éclate à la fin de l’été 2000 et n’en finit pas de produire des remous dans la nouvelle économie des biotechnologies végétales. Elle est révélée à l’opinion publique internationale après un été de mise en lumière des premières contaminations génétiques dans les maïs d’importation en Europe. L’affaire Starlink est exemplaire dans la mesure même où elle permet de montrer comment les interrogations exprimées depuis de nombreux mois par les associations environnementalistes et par les associations de consommateurs ne sont pas de simples fantasmes liés à une peur irrationnelle et obscurantiste. Elle révèle combien les décisions de mise sur le marché des OGM sont prématurées compte tenu d’une maîtrise trop imparfaite de l’économie du transgénique. L’affaire Starlink, c’est la démonstration d’une faiblesse des contrôles sanitaires et de la nécessité d’organiser la traçabilité des produits transgéniques. Elle donne un éclairage brûlant aux demandes des ONG pour la définition d’un régime de responsabilité économique des producteurs d’OGM au regard des impacts considérables liés de ce type d’erreur dans la maîtrise technologique des produits transgéniques dans une économie fondée sur les seules règles du libre échange.

2000 – l’année des contaminations

Prévue de longue date par les opposants aux OGM , la contamination par le pollen transgénique a été révélée au grand jour dès le début de l’année 2000. En effet , la liste commence par 4500 hectares de coton contaminés en Grèce…Puis on apprend que des semences de colza vendues par Advanta à cinq pays – Allemagne, France, Grande – Bretagne, Luxembourg et Suède – contiennent des OGM non autorisés. Enfin , en France, ce sont encore 4800 hectares de maïs dans le Sud Ouest et 4600 hectares de soja dans le Sud Est… Mais , ce qui donne sa portée à cette nouvelle affaire c’est que la contamination

par le maïs transgénique Starlink touche, pour la première fois , de nombreux produits destinés à l’alimentation humaine.

Tout commence non pas lors d’un banal contrôle sanitaire de routine, mais grâce au travail et à la vigilance de sept ONG américaines réunies dans une campagne intitulée Genetically Engineered Food Alert(GEFA). Son but est de demander que tous les ingrédients issus d’OGM soient supprimés de la vente tant que des tests et un étiquetage ne seraient pas réalisés et tant que la responsabilité des entreprises qui produisent des OGM ne serait pas reconnue juridiquement.

Dans le cadre de cette campagne, Genetic ID a procédé à de nombreuses analyses sur les produits vendus sur le marché américain. C’est ainsi que le 19 juillet 2000 , du maïs transgénique Starlink , interdit à la consommation humaine, est détecté dans des « tuiles » (sortes de chips) nommées Taco Bell brand Home Original .

Le problème

L’entreprise multinationale franco-allemande Aventis CropScience produit et commercialise le maïs Starlink génétiquement modifié pour développer son pro p re insecticide grâce à un transgène issu de la bactérie Bacillus thuringiensis. Interdit en Europe, ce maïs est autorisé depuis 1998 aux Etats-Unis pour l’alimentation du bétail et la production d’éthanol. Il est interdit à la consommation humaine, car il synthétise une protéine, Cry9C, qui résiste à la dégradation dans les jus gastriques et à la chaleur, deux propriétés susceptibles de provoquer des allergies. Aventis CropScience avait demandé une autorisation pour l’alimentation humaine à l’Environment Protection Agency (EPA) , mais un panel de scientifiques de l’EPA avait conclu, en juillet 2000 qu « aucune preuve ne permet d’affirmer que le Cry9C est ou non allergène ».

Depuis la découverte de la contamination, 44 Américains ont déposé des plaintes auprès de la Food and Drug Administration (FDA) en raison de « diarrhées, vomissements et rougeurs » liés à l’ingestion d’aliments contenants du maïs StarLink. Aventis conteste l’attribution du problème à son maïs, estimant qu’un Américain type ne pourrait jamais en consommer assez pour subir des réactions allergiques. Ces plaintes sont actuellement étudiées par les Centres de contrôle des maladies et la FDA.

Appuyé par la Biotechnology Industry Organization, Aventis renouvelait le 25 octobre sa demande d’agrément du maïs StarLink pour l’alimentation humaine pour une période limitée à quatre ans. Aventis pouvait espérer ainsi éviter un énorme scandale et des poursuites juridiques car quatre années sont estimées nécessaires pour décontaminer la chaîne alimentaire en totalité. Pour y répondre, l’EPA a organisé une consultation lors de laquelle un scientifique hollandais, Hubert Noteburn, a cité une étude démontrant que des rats nourris avec du maïs Starlink produisent des anticorps. L’EPA a donc refusé cet agrément ,annulant même l’inscription de Starlink, ce qui revient à interdire toute nouvelle plantation de ce maïs aux Etats-Unis.

L’ampleur du problème

Le problème sanitaire identifié, remonter la filière de production et d’approvisionnement permet de prendre la mesure de l’ampleur de la contamination. Les tacos contaminés ont été fabriqués au Mexique par Sabritas Mexicali (filiale de PepsiCo) qui avait acheté la farine à Azteca Milling L.P. pour Taco Bell (firme appartenant à Tricon Global Restaurants). Cette minoterie texane s’était approvisionnée auprès d’agriculteurs de six Etats américains. Finalement, les tacos ont été distribués par Kraft Foods, filiale de Philip Morris.

Enquêtant pour comprendre pourquoi ce maïs a pu contaminer la chaîne alimentaire humaine, Aventis avance trois raisons principales :

 certains agriculteurs ne savaient pas que le maïs était autorisé uniquement pour les animaux ou pour l’usage industriel ;

 d’autres, bien qu’au courant, ont reconnu avoir oublié cette restriction lors de la vente du maïs ;

 d’autres, enfin, ont cultivé ce maïs sur une petite parcelle au sein de grandes exploitations et n’ont pas pris soin de séparer leurs récoltes.

Les responsables d’Aventis ont estimé fin septembre que la superficie cultivée en Starlink était de 150 000 hectares sur un total de 73 millions pour le maïs. 100 000 autres hectares situés en zones tampons destinées à protéger de la dissémination du pollen du maïs transgénique, ont aussi été contaminés. De nombreux agriculteurs de ces zones n’avaient pas été informés de la présence du Starlink à proximité de leurs cultures.

Ces explications montrent que la maîtrise technologique des produits transgéniques passe par une transformation et une gestion rigoureuse des savoirs et des pratiques agricoles dont les américains semblent encore éloignés.

Le 22 septembre , après avoir réalisé ses propres tests et trouvé des traces de Starlink à hauteur de 1%, Kraft Foods décide de rappeler des millions de tacos des magasins.

Le 23 septembre , le responsable de Taco Bell Restaurants écrit dans le Washington Post que les tacos distribués dans les 7000 restaurants de la chaîne sont différents de ceux distribués par Kraft mais proviennent de la même minoterie. Il a donc décidé de les faire tester. Ce premier impact économique direct de l’affaire Starlink est le point de départ d’une réaction en chaîne de ce qui ressemble à une véritable catastrophe économique.

Début octobre , le GEFA découvre du maïs Starlink cette fois dans les produits de la marque Safeway. Plus tard , une usine de Kellogg’s ferme faute de pouvoir s’approvisionner puisqu’une partie du maïs StarLink a déjà été vendue aux minoteries qui ne peuvent plus garantir une farine non contaminée.

Survient alors une « affaire dans l’affaire ». Au hasard de contrôles qualité sur des échantillons de maïs Garst 8481IT, la société Garst Seed découvre la présence de la protéine Cry9C. L’USDA demande aussitôt une enquête sur l’origine de cette contamination. Dans la foulée, le syndicat des semenciers (The American Seed Trade Association) presse l’USDA d’établir un seuil de tolérance en OGM pour les cultures « traditionnelles ».

La FDA entreprend quant à elle de tester différents produits alimentaires pour évaluer la contamination. Le 1er novembre, elle publie une liste de 300 produits de la marque Mission Foods qui doivent être retirés des étalages. Cette liste inclut les produits de Mission Foods vendus sous de multiples marques indé-pendantes comme Best Buy, Brookshire, Kroger, Food Lion, etc. Dernièrement, Minsa Corporation a également dû retirer du marché sa farine « Yellow Corn Flour Masa ».

Impacts économiques

Devant l’étendue de la contamination, l’industrie et les services fédéraux entre prennent de dépister le maïs Starlink afin de l’acheter avant qu’il ne soit transformé , bien que les enquêteurs pensent qu’une bonne partie est déjà intégrée aux produits manufacturés . Aventis estime que le maïs récolté a été vendu par des agriculteurs à des douzaines – peut-être des centaines – de silos à travers le pays . Ces silos ont ensuite, en toute ignorance, vendu ce maïs à des minotiers et à des transformateurs.

Le département américain de l’Agriculture (USDA) et l’EPA ont annoncé qu’ils achèteraient la totalité de la récolte de maïs Starlink (coût estimé de 70 millions de dollars), charge à Aventis de les « rembourser ultérieurement ». Aventis a aussi prévu de rembourser l’USDA pour les coûts occasionnés par le transport et le stockage du maïs incriminé. Et s’est engagé à payer les silos pour les coûts additionnels liés au test de dépistage et à la ségrégation. En décembre 2000, Aventis provisionnait dans ce but 100 millions de dollars dans sa comptabilité . Mais l’IATP3 estime que les coûts totaux pourraient atteindre un milliard de dollars (cf. site de solagral). L’affaire prend alors une dimension judiciaire,16 procureurs généraux de différents états américains demandent à Aventis d’aller plus loin en enclenchant une procédure de remboursement rapide et de prévoir des dédommagements supplémentaires (augmentation de la capacité de transport et de stockage, embauche de personnel supplémentaire pour gérer la crise) et de s’engager de manière plus claire sur leur responsabilité par rapport aux pertes économiques que cette affaire engendrera au final.

L’IATP entame également une enquête pour identifier les pays qui ont importé du maïs StarLink. Et les responsables politiques s’inquiètent, notamment le délégué de l’Union européenne à Washington, qui exprime les craintes de l’UE quant à la capacité des Etats-Unis de contrôler leurs exportations de grains. A juste titre, puisqu’au Japon , une association de consommateurs a détecté la présence de maïs Starlink dans des biscuits salés et des préparations pour gâteaux importés par Western Family Foods. Les responsables politiques du Japon et des Etats-Unis ont alors mis en place une procédure d’inspection du maïs américain à destination de l’archipel nippon. Le Japon se tourne alors vers la Chine pour importer 300 000 tonnes de maïs.

En Corée, à trois reprises, plusieurs milliers de tonnes de maïs américain contenant du maïs Starlink ont été confisquées par la Korean Food and Drug Administration. La dernière cargaison refusée contenait des semences de maïs StarLink dans un lot de 55 000 tonnes de semences de maïs en provenance des Etats-Unis.

En Europe, l’Espagne a décidé aussi de se protéger. Le 22 décembre, elle a acheté 150 000 tonnes de maïs brésilien garanti sans OGM, acceptant de le payer 6$ de plus la tonne que sur le marché international. Les autres pays européens n’ont pas encore réagi. Mais ils importent peu de maïs hors de l’UE. En France, la Confédération Paysanne, Greenpeace et Solagral ont lancé conjointement, le 24 novembre, un appel pour demander au gouvernement américain de cesser immédiatement toute exportation de maïs StarLink.

Le marché mondial du maïs en est perturbé. Les exportations américaines ont en effet chuté de 39% par rapport à la moyenne.

Incitation au non-OGM…

Cette affaire Starlink a conduit l’USDA a un revirement spectaculaire de sa position. Pour la première fois, l’USDA est amenée à reconnaître l’utilité de la séparation des filières conventionnelles et transgéniques en mettant en place les moyens de contrôle qui, de plus, sont à la charge de l’exportateur.

Devant de telles conséquences, les organismes stockeurs et les distributeurs réagissent. Archer Daniels Midland et A.E. Staley Manufacturing ont clarifié leur politique d’achat de grains pour 2001. Par le biais d’une lettre aux agriculteurs ou par des spots radio, ils ont informé qu’ils n’achèteraient plus que des variétés autorisées partout dans le monde pour l’alimentation humaine. De même, Tyson Foods, le deuxième distributeur de volailles américain, ne nourrira plus ses poulets avec le maïs Starlink.

Même les fabricants d’OGM prennent des précautions. Monsanto va restreindre ses plantations de maïs OGM en 2001. « Nous ne pouvons pas arrêter le développement de cette technologie, mais nous allons l’utiliser avec modération » a déclaré le président de Monsanto. Ainsi, une variété de maïs développée par Monsanto pour être tolérant au RoundUp sera vendue en 2001 uniquement aux agriculteurs d’une zone où les grains sont rarement vendus à l’exportation, puisque ce maïs n’est pas autorisé en Europe.

De même, le semencier Pionneer Hi-Breed va différer la commercialisation de six nouveaux OGM contenant les gènes Yield Gard et LibertyLink qui ne sont pas autorisés en Europe. Cette firme ne désire pas non plus être la victime d’une éventuelle contamination.

Dernière minute…

La liste ne fait que s’allonger avec la découverte par Greenpeace au mois de février 2001 que les « Corn dog » (substitut de saucisses à base de farine de maïs) de la marque Mormingstar Farms produits par Kellogg’s contiennent aussi du Starlink. La défense de Kellogg’s consiste à dire que ces produits ont été confectionnés en octobre avec la récolte de 1999. Un responsable de Grocery Manufacturers of América en vient alors à reconnaître qu’il est presqu’impossible d’éviter la présence du Starlink dans les produits alimentaires compte tenu de l’ampleur de la contamination. Le Directeur d’Aventis, John Wichtrich, a déclaré, dans le Washington Post, du 16 mars : « Il n’y aura jamais de fin à la contamination tant qu’il y aura une tolérance zéro pour le Cry9C dans l’alimentation humaine ».

En même temps, du maïs StarLink est détecté dans des lots de semences prêtes à être cultivées. Le 1er mars, l’USDA ordonne aux semenciers, via l’ASTA, de déterminer rapidement la quantité de semences contaminées. Les responsables estiment qu’elle devrait être inférieure à 5%. L’USDA propose alors de débloquer 20 millions de dollars pour l’achat de semences de maïs contaminé par du Starlink.

En révélant la faiblesse des contrôles sanitaires, l’affaire Starlink montre la nécessité d’instaurer des filières séparées OGM / non OGM et la traçabilité des produits. Elle illustre l’ampleur des impacts sanitaire et économique de toute erreur dans la maîtrise des produits transgéniques.

Les Etats-Unis, pays qui développe le plus des OGM, qui prône dans chaque instance internationale leur diffusion, qui se targue d’avoir le meilleur système de contrôle sanitaire, n’a pas sû éviter le scandale d’une contamination à très grande échelle. Ce qui prouve que le contrôle de cette technologie n’est pas assuré.

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