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OGM et fusion cellulaire : une transparence toujours attendue
L’Institut suisse de recherche de l’agriculture biologique (FiBL) et plusieurs associations d’agriculture biologique ont publié une liste actualisée des variétés obtenues sans recours à la fusion cellulaire. La fusion cellulaire est une technique de modification génétique qui produit des OGM qui sont, sous certaines conditions, exclus des réglementations OGM suisse, européenne et internationale. Après Demeter International, qui a engagé ce travail depuis de nombreuses années, le FiBL permet aux opérateurs qui le souhaitent de rejeter ces OGM exemptés d’étiquetage.
Endives et autres chicorées, choux… sont aujourd’hui très majoritairement issus de fusion cellulaire, une technique de modification génétique que refusent de nombreux opérateurs et consommateurs, notamment en agriculture biologique. Mais comment un producteur peut-il savoir quelles techniques d’obtention variétale ont été utilisées lorsqu’il achète des semences d’une variété de ces plantes ? Cette question n’est pas théorique : rien n’oblige les sélectionneurs à dévoiler les techniques de modification génétique qu’ils ont utilisées pour obtenir une nouvelle variété. La méthode de sélection d’une variété est secrète et ni le Certificat d’obtention végétale (COV) qui couvre la variété, ni l’enregistrement de la variété au Catalogue officiel, n’obligent à lever le voile [1]. Quant aux brevets, lorsqu’ils portent sur des végétaux, ils ne font référence à aucune variété particulière.
Ce n’est que lorsqu’une variété est génétiquement modifiée qu’une indication sur son mode d’obtention doit être fournie, cette mention devant alors apparaître dans le Catalogue officiel. Or, là aussi le bât blesse, car cette information, issue de la réglementation applicable aux OGM, reste limitée. La réglementation OGM ne s’applique en effet pas à tous les OGM : sous certaines conditions, certains d’entre eux sont exclus de son champ d’application. C’est le cas des OGM issus de mutagénèse, à propos desquels la Justice européenne a été, et est de nouveau, saisie pour déterminer lesquels d’entre eux sont, ou non, exclus de la réglementation [2]. C’est aussi le cas des OGM issus de fusion cellulaire.
Une technique controversée en agriculture biologique
La fusion cellulaire est une technique exemptée de la réglementation OGM lorsqu’elle concerne « des cellules végétales d’organismes qui peuvent échanger du matériel génétique par des méthodes de sélection traditionnelles » [3]. En clair, la fusion cellulaire est exemptée de la réglementation OGM lorsqu’elle est réalisée entre espèces apparentées très proches pouvant s’hybrider pour donner naissance à de nouvelles plantes viables [4].
Concrètement, la fusion cellulaire peut être utilisée par les sélectionneurs pour, par exemple, transférer une stérilité mâle cytoplasmique (connue sous son sigle anglais CMS pour « Cytoplasmic male sterility ») à une variété chez laquelle cette stérilité n’existe pas naturellement, cette stérilité pouvant lui être transférée à partir d’une autre espèce [5]. Par exemple, chez les variétés de chou-fleur, la CMS a été obtenue à partir du radis, qui possède une CMS naturelle. Le résultat de ce transfert est que ces nouvelles variétés de chou-fleur ne peuvent plus s’auto-féconder. Pour les sélectionneurs, l’obtention d’une stérilité mâle cytoplasmique évite des croisements non désirés, et peut par exemple être utilisée pour la production de semences hybrides F1 [6].
Dans l’agriculture biologique, la technique de fusion cellulaire est controversée. Le règlement européen [7] et l’ordonnance suisse [8] applicables à l’agriculture biologique n’interdisent pas l’utilisation de variétés CMS à base de fusion cellulaire. Cependant, certaines associations et marques privées interdisent ces variétés dans leur cahier des charges. C’est notamment le cas de Nature & Progrès et de Demeter (agriculture biodynamique). Depuis 2005, Demeter estime ainsi que quand « la combinaison du matériel cellulaire de deux espèces est forcée – ce qui ne peut pas se produire avec l’utilisation de techniques d’amélioration des plantes traditionnelles […] cela correspond à une manipulation génétique » [9]. En 2008, la Fédération Internationale des Mouvements de l’Agriculture Biologique (IFOAM) a, de son côté, décidé que « la fusion cellulaire, incluant la fusion de cytoplasme et de protoplastes, n’est pas compatible avec les principes de l’AB ».
Mais encore faut-il pouvoir éviter ces variétés dans un contexte réglementaire qui, comme nous l’avons vu, n’érige pas la transparence en objectif… En France, en janvier 2020, la Confédération paysanne avait protesté contre l’absence d’information sur les techniques d’obtention, de sélection et de multiplication des variétés commercialisées. Le syndicat avait alors demandé au Gouvernement de rendre cette information obligatoire [10]. Daniel Evain, agriculteur membre de la Confédération paysanne, nous confie que cette demande est restée sans réponse à ce jour. Cette information demeure donc facultative et, dans les faits, les semenciers ne la communiquent pas… Pendant ce temps, l’absence de transparence reste une porte ouverte à la commercialisation d’OGM non transgéniques.
Comme bien souvent, le vide législatif pousse le secteur privé à proposer lui-même ses réponses.
Une liste pour combler un vide législatif
Certains semenciers proposent ainsi une gamme bio qui ne comporte aucune variété développée avec la CMS par fusion cellulaire.
Du côté des acteurs de l’agriculture biologique, l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL), basé en Suisse, en collaboration avec plusieurs associations d’agriculture biologique allemandes, autrichiennes et suisses [11] publie chaque année, depuis 2018, une liste positive de variétés qui ne sont pas obtenues par fusion cellulaire.
Sur la liste actualisée du FiBL publiée en fin d’année 2021 [12], figurent des variétés proposées par des semenciers comme Bejo, De Bolster, Seminis, Kultursaat, Rijk Zwaan, Syngenta, etc. On y trouve près de 600 variétés de légumes appartenant aux principales espèces concernées par la CMS à base de fusion cellulaire, à savoir des variétés de choux (chou-fleur, brocoli, pak choï, chou de Bruxelles…), d’endives et de chicorées à feuille (endive, pain de sucre…). Pour la première fois apparaissent également des variétés de persil.
Des variétés « faciles » à trouver
Pour établir la liste des variétés CMS exemptes de fusion cellulaire, le FiBL s’appuie sur plusieurs données : confirmation de la pollinisation ouverte (OP) et de la stabilité des semences issues de la récolte par exemple, selon les informations du sélectionneur, assurance écrite du semencier, observation morphologique de la fleur par un expert en sélection, évaluation des experts…
Identifier les variétés CMS à base de fusion cellulaire est relativement « aisé ». En effet, comme nous l’explique Daniel Evain, la fusion cellulaire concerne seulement quelques espèces et elle est toujours (du moins d’un point de vue commercial) utilisée pour une même fin : celle de créer une variété hybride F1. Par ailleurs, les entreprises de sélection font breveter l’utilisation des CMS qu’elles créent à partir de diverses sources végétales (radis, tournesol…). Si ces brevets ne donnent aucune indication sur les variétés concernées, ils fournissent en revanche une indication sur les espèces qu’il convient de surveiller. Certains brevets décrivent les modifications de l’ADN qui leur sont associées. Cette description assure une forme de traçabilité et l’ensemble de ces éléments permet de vérifier les allégations commerciales « sans CMS ».
Aucun obstacle technique ne justifie donc l’absence d’obligation légale de transparence sur la méthode de sélection…
[1] , « Modes d’obtention des variétés végétales : toujours pas de transparence », Inf’OGM, 20 juillet 2021
[2] ,
, « OGM non transgéniques – La justice européenne à nouveau saisie », Inf’OGM, 17 novembre 2021
[3] Annexe I B, Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement.
[4] , « 85 % des endives françaises sont des OGM », Inf’OGM, 17 janvier 2020
[5] , « Qu’est-ce que la stérilité mâle cytoplasmique (CMS) ? », Inf’OGM, 23 juin 2014
[6] ,
, « Hybrides F1 : un outil efficace pour mettre les paysans sous dépendance », Inf’OGM, 22 mai 2012
[7] Règlement (UE) 2018/848 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques.
[8] Ordonnance sur l’agriculture biologique et la désignation des produits et des denrées alimentaires biologiques.
[9] Demeter, « Liste positive : Variétés de légumes non produites par des techniques de fusion protoplasmique / non-hybrides CMS », janvier 2020.
[10] , « 85 % des endives françaises sont des OGM », Inf’OGM, 17 janvier 2020
[11] Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL), Bioland, Naturland, Bio Austria, Bio Suisse, Demeter, Bundesverband Naturkost Naturwaren.
[12] Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL), Bioland, Naturland, Bio Austria, Bio Suisse, Demeter, Bundesverband Naturkost Naturwaren, « Liste positive : Variétés exemptes de fusion cellulaire pour la culture maraîchère », 2021/2022, n° 1672