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Nouveaux OGM : la note du HCB passée au crible par Yves Bertheau
Nouvel épisode dans le feuilleton autour de la note du Comité scientifique (CS) du Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) sur les nouvelles techniques de modification génétique : le HCB n’a toujours pas publié les commentaires d’Yves Bertheau, membre démissionnaire, sur cette note remise au gouvernement début février. Une note pourtant riche en considérations scientifiques. Inf’OGM a décidé de la publier sur son site internet [1].
Interviewée par le journal Le Monde, Christine Noiville, Présidente du HCB, expliquait le 12 avril 2016 que « dans un souci d’apaisement, [elle a] proposé à Yves Bertheau de publier finalement sa position divergente, mais il a refusé ». Yves Bertheau, contacté par Inf’OGM, explique avoir refusé que son commentaire de janvier soit publié comme « une position divergente » mais qu’il a bel et bien demandé au HCB de publier comme « commentaire » une note actualisée. Une nuance qui peut paraître très formelle mais qui se veut respectueuse du règlement interne au HCB avec lequel la direction du HCB a pris trop de latitude, estime le chercheur. Par ailleurs, Yves Bertheau souligne que le HCB lui a proposé de publier son texte le 30 mars 2016 alors qu’il n’était plus membre du HCB. Et qu’entre temps, le HCB avait reconnu que le texte du Comité scientifique du HCB n’était plus officiellement un « avis » en le rapatriant dans la rubrique « Publications » sous le titre de Rapport provisoire sur les NPBT [2] [3]. A ce jour, les commentaires d’Yves Bertheau n’ont en tout cas toujours pas été publiés par le HCB…
Inf’OGM publie les commentaires qu’Yves Bertheau lui-même souhaite rendre publics, afin que chacun – et notamment le gouvernement français – puisse, enfin, accéder à cette critique du rapport provisoire du CS du HCB.
Yves Bertheau précise d’emblée que son commentaire ne pouvait pas être une « évaluation exhaustive de la note » du CS sur les nouvelles biotechnologies du fait « du peu de temps qui [lui] est accordé » : la demande formelle a été reçue le 30 mars 2016 pour une réponse avant le 6 avril. Yves Bertheau a donc fait le choix « d’insister sur ce qui [lui] paraît le plus critiquable : certains manques, biais et a priori ». Et le tableau est à la hauteur des craintes… Tout d’abord, le groupe de travail [qui a travaillé de 2013 à 2016] « n’aborde que certaines des techniques ou modifications (…)[et] élude certaines techniques comme les méganucléases » et inverse le fondement de la définition des OGM par la législation européenne qui se base sur le seul procédé d’obtention et non sur la composition du produit final. Ensuite, Yves Bertheau considère que certaines définitions utilisées dans la note du CS sont « imprécises et partiellement incorrectes », ouvrant la porte à des concepts flous scientifiquement. Or, ce flou ou confusion comme le nomme Yves Bertheau, se retrouve « dans les fiches techniques » annexées à la note du CS que le chercheur démissionnaire avait déjà dénoncé fin 2015 [4].
Mais plus fondamentalement, Yves Bertheau considère que ce document de travail pose des problèmes de fond et de légitimité scientifique.
Il considère, premièrement, que les effets hors-cible (les modifications non souhaitées qui peuvent apparaître ailleurs dans le génome) ont été traités avec trop de légèreté puisque abordés « de manière indirecte, par le biais des « progrès techniques » en cours ». Ces effets peuvent pourtant être générés tant par la technique de modification elle-même que par les autres étapes du processus complet : pénétration intracellulaire des réactifs, sélection des cellules transformées et multiplication des cellules en vue de la régénération de plantes.
Deuxièmement, il souligne que des techniques comme la greffe, l’agro-infiltration et la cisgenèse n’ont pas été traitées de manière exhaustive. Pour la greffe, il conteste l’affirmation que les fruits (sur le greffon non transgénique) ne seront pas porteurs de modification(s) génétique(s) ou épigénétique(s) induite(s) par le porte-greffe si ce dernier a été génétiquement modifié. En effet, il a été démontré que des microARN circulent entre le porte-greffe et le greffon et qu’ils peuvent induire des épimutations, précise le chercheur. De même, à propos de l’agroinfiltration, le CS aurait évité d’aborder les risques liés aux « erreurs de manipulation et [aux] possibilités d’échappement dans l’environnement » en affirmant dans sa note que cette technique ne concernait que le milieu confiné. Or, souligne Yves Bertheau, « les opérateurs ont prévu de nombreuses applications des techniques d’agro-infiltration en conditions disséminées ». Enfin, la cisgenèse / intragenèse, qui doivent « être examinées au cas par cas », ne bénéficient pas, de fait, de « préconisations claires » de la part du CS quant au « cadre d’examen adapté » : un dossier complet de type OGM doit-il être fourni ? Sinon, qui définira pour chaque cas que le dossier doit être ou non de type OGM ?
Troisième critique , Yves Bertheau évoque l’épineuse question de la détection, de la traçabilité et de l’identification des modifications génétiques. La note du CS affirme l’impossibilité de tracer les produits issus de ces nouvelles techniques et d’identifier la ou les techniques dont ils sont issus. Or, Yves Bertheau est justement un des spécialistes français sur les questions de détection. Et il souligne que ces questions de traçabilité ont été pourtant « déjà bien investiguées […] dans d’autres domaines comme les OGM ». Un écho au travail du Réseau européen de laboratoires de détection des OGM (ENGL) qui se penche sur cette question depuis de nombreuses années. Yves Bertheau regrette que le groupe de travail du CS n’ait pas souhaité se mettre en relation avec ce réseau officiel de la Commission européenne. Et de suspecter que la raison ne soit pas scientifique mais plutôt le fait d’un parti-pris initial qui voudrait que les possibilités de détecter et tracer les modifications soient ignorées : « si l’absence de considération de techniques sophistiquées de détection et d’identification des techniques est désignée comme « logique » dans le document [du CS], on peut aussi bien y voir un parti-pris » !
Au final, Yves Bertheau souligne le paradoxe découlant de l’insertion de considérations économiques et juridiques, qui plus est « partielles et incongrues », dans une note scientifique « qui se penche sur des techniques appliquées au végétal ». Et il conclut son commentaire par un avis personnel : « la facilité d’emploi et le faible coût de certaines de ces techniques devrait inciter à un encadrement très strict de leur utilisation, pour éviter leur détournement par certains ’biohackeurs’ ». Il rappelle d’ailleurs qu’il « n’est pas innocent qu’un certain nombre de ces techniques d’édition du génome aient été récemment classées parmi les « armes de destruction massive » par les services fédéraux américains ».
[1]
[3] Cette note du CS texte avait été rangée initialement dans la rubrique « Avis » du site et y est restée pendant plus de deux mois.
[4] , « FRANCE – Manœuvres au HCB : un expert des OGM démissionne », Inf’OGM, 19 février 2016