« Micro-organisme », l’incertitude des mots comme stratégie législative ?
À lire la législation, on se prend parfois à penser qu’il est bon que le législateur n’ait pas pour responsabilité d’éditer les dictionnaires présents dans nos bibliothèques. Le cas particulier du terme « micro-organisme » offre un criant exemple de ce constat. Derrière ce terme se cachent en effet des entités biologiques dont les contours varient selon les textes réglementaires. Bactéries, levures, algues, nématodes, voire ADN ou semences : autant d’exemples donnés par différents textes réglementaires et qui montrent que la définition législative des « micro-organismes » n’a cessé de varier en fonction d’enjeux économiques. Le point commun de ces textes ? Essayer d’échapper à la traçabilité imposée par la législation OGM.
Alors que de nombreuses communications affirmaient – et affirment encore – que la proposition de déréglementation des « nouveaux OGM » ne concerne que les végétaux, nous montrions en mars 2025 qu’elle vise également certains micro-organismes (des algues unicellulaires)i. La raison est sémantique. Concernant le champs d’application de sa proposition de déréglementation, la Commission européenne fait référence à deux groupes taxonomiques considérés par tout un chacun comme couvrant les végétaux, mais qui, de fait, couvre aussi les algues unicellulaires, des végétaux marins ou aquatiques, eux aussi considérés comme des micro-organismes. Lire un texte de loi, une proposition de loi ou encore un traité international nécessite donc un préalable souvent oublié, qui est celui du sens des mots utilisés et des définitions suivies. Les problèmes surgissent quand plusieurs textes législatifs fournissent des définitions juridiques variables. Exemple avec les différentes définitions uniquement législatives du terme « micro-organisme ».
« Organisme », un terme de base
S’intéresser au terme « organisme » ne relève pas ici d’une gageure, car il conditionne la définition du terme « micro-organisme ». Selon la directive européenne 90/220 adoptée en 1990, qui encadrait l’utilisation des OGM, un organisme est « toute entité biologique capable de se reproduire ou de transférer du matériel génétique »ii. La directive européenne 2001/18, qui remplace la 90/220, reprend cette même définitioniii.
Le Protocole de Carthagène, un protocole international adopté dans le cadre de la Convention de Rio de 1992 pour prévenir les risques biotechnologiques, considère les organismes de manière plus précise. Il définit ainsi les organismes vivants comme « toute entité biologique capable de transférer ou de répliquer du matériel génétique, y compris des organismes stériles, des virus et des viroïdes »iv. On notera ici que la liste des exemples donnés n’est pas exhaustive, l’expression « y compris » n’ayant pas de caractère limitatif.
Légalement, les « organismes » sont donc, en Europe et à l’international, des entités biologiques capables de répliquer/reproduire ou transférer du matériel génétique. Une approche centrée sur l’entité en elle-même, qui ne prend pas en considération le milieu, l’environnement dans lequel elle peut exister et évoluer.
« Micro-organisme », un terme utilisé pour ouvrir la voie aux brevets
Les « micro-organismes » devraient donc, en toute logique, être définis sur base de ces définitions d’organismes. Ce qui est le cas avec la directive européenne 90/219, qui encadrait l’utilisation des micro-organismes génétiquement modifiés (MGM). Ce texte les définissait comme « toute entité microbiologique, cellulaire ou non cellulaire, capable de se reproduire ou de transférer du matériel génétique »v.
La législation encadrant les OGM et les MGM n’est pas la seule à se pencher sur les micro-organismes. Dans le domaine des brevets, c’est en 1995 que la chambre de recours de l’Office européen des brevets (OEB) apportait, dans sa décision T 356/93vi, une précision qu’elle estimait nécessaire en interne. Elle jugeait alors que l’interprétation du terme micro-organisme « tient manifestement compte des développements de la microbiologie industrielle moderne » et conclut de cette interprétation que « les procédés […] mis en œuvre sur des cellules végétales peuvent être définis comme des « procédés microbiologiques« , et leurs produits, à savoir des cellules végétales génétiquement modifiées et leurs cultures, comme des « produits obtenus par ces procédés« ». Pour l’OEB, les cellules végétales isolées sont donc des micro-organismes. La chambre clarifiait ainsi que les procédés les utilisant, comme les produits obtenus, étaient et sont toujours brevetables ! Depuis cette clarification, l’OEB note d’ailleurs dans ses Directives indiquant les pratiques et les procédures à suivre au cours de l’examen des (demandes de) brevets que « le terme « micro-organisme » recouvre les bactéries et d’autres organismes généralement unicellulaires, invisibles à l’œil nu, qui peuvent être multipliés et manipulés en laboratoire (cf. T 356/93), y compris les virus et les plasmides et les champignons unicellulaires (y compris les levures), les algues, les protozoaires et, en outre, les cellules humaines, animales et végétales »vii. Si la liste des exemples donnés ici est plus large que les textes législatifs européens existants alors, l’intérêt est bien sûr d’élargir la brevetabilité à un plus grand nombre de micro-organismes, même si les entités citées n’en sont pas au sens commun du terme.
20 ans plus tôt, un traité international à la vision très large
Le Traité de Budapest fut adopté en 1977. Traité international signé par 91 États dans le mondeviii, il encadre le dépôt de micro-organismes au titre d’échantillons auprès d’autorités de dépôt internationales (les « ADI »), afin de remplir la condition de suffisance de description d’une invention utilisant ces micro-organismes. Un micro-organisme ne pouvant être entièrement divulgué par écrit dans un texte de brevet, un tel dépôt d’échantillon constitue une description requise dans le cadre d’une délivrance de brevet.
À le lire, le Traité fournit une vision étonnamment largeix de ce que peuvent être les micro-organismes, tout en précisant sur son site ne pas avoir de définition de ce termex. Il fournit néanmoins une annexe listant les exemples de « micro-organismes » pouvant être déposés dans les ADI et dont le contenu est pour le moins surprenantxi. Si la liste inclut des micro-organismes tels qu’on les conçoit généralement (bactéries, virus, protozoaires…), on trouve d’autres exemples pour le moins inattendus : l’ADN, les ARN, les embryons, les nématodes (des vers), les plasmides et même les semences sont dans le tableau intitulé « Listes des types de micro-organismes acceptés en dépôt ».
Des approches variables selon les enjeux réglementaires
Cette intégration, en 1995, des cellules végétales isolées dans la définition des « micro-organismes » via ces textes de l’OEB ouvrira la porte à celle des cellules animales dans d’autres textes. Ainsi, en 2009, une directive européenne (2009/41) visant à encadrer l’utilisation en milieu confiné des micro-organismes définit ainsi les micro-organismes comme « toute entité microbiologique, cellulaire ou non, capable de se reproduire ou de transférer du matériel génétique, y compris les virus, les viroïdes et les cultures de cellules végétales et animales »xii.
Élargissement de la définition d’un « micro-organisme »
À partir de 2009, d’autres textes législatifs élargiront à leur tour les exemples de « micro-organismes » donnés. Il en est ainsi en 2012 avec l’adoption en Europe du règlement 528/2012 sur l’utilisation des produits biocides. Cette fois, un micro-organisme est « toute entité microbiologique, cellulaire ou non cellulaire, capable de se répliquer ou de transférer du matériel génétique, y compris les champignons inférieurs, les virus, les bactéries, les levures, les moisissures, les algues, les protozoaires et les helminthes parasites microscopiques »xiii. La présence des algues dans cette liste est particulièrement notable, puisque les algues font partie des groupes taxonomiques d’êtres vivants que la Commission européenne propose de déréglementer quand génétiquement modifiés, comme nous l’avons vu en mars 2025xiv.
Lorsque le législateur européen parle de micro-organismes, à l’instar du Parlement européen qui demande à la Commission une proposition de déréglementation quand ils sont OGM, de quoi parle-t-il ? Selon des textes non contraignants, comme le glossaire de la Commission européenne, il peut s’agir d’organismes invisibles à l’œil nuxv. Mais, comme nous venons de le voir, les textes de lois européennes ou des traités internationaux ont une vision très large de ce qu’est un micro-organisme, ce qui sert évidemment les intérêts d’entreprises. Ces dernières voient par exemple le droit des brevets s’appliquer à nombre de molécules ou cellules isolées et, avec le projet de déréglementation des OGM, pourraient voir un grand nombre d’organismes non végétaux déréglementés, car considérés comme des « micro-organismes ».
Ces entreprises n’ont pas peur des paradoxes, car, au sein du Protocole de Carthagène, certaines veulent « aussi exclure de ce champ d’application certains produits issus de biotechnologies modernes, comme les pesticides ARNi, les vaccins, les virus… parce qu’ils ne sont pas eux-mêmes des organismes vivants, alors qu’ils sont disséminés dans le but de modifier le génome ou l’épi-génome d’organismes vivant », comme le rapporte Guy Kastler dans une analyse publiée par Inf’OGMxvi. Ici, leur position trouve une logique stratégique, puisque le Protocole de Carthagène encadre les mouvements transfrontaliers des OGM. Dans un tel texte, faire valoir que ces molécules ou organismes – bien que considérés comme des micro-organismes par le droit des brevets européens ou par certains textes législatifs de l’Union européenne – ne constituent pas des organismes, permettrait de les exclure des obligations imposées par le Protocole. Des molécules et organismes qui resteraient brevetables du fait des directives de l’OEB !
i Eric Meunier, « La proposition de déréglementation des OGM de la Commission européenne inclut des micro-organismes OGM », Inf’OGM, 11 mars 2025.
ii « Directive 90/220/CEE du Conseil, du 23 avril 1990, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement », Journal officiel n° L 117, p. 0015 – 0027, 8 mai 1990.
iii « Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil – Déclaration de la Commission », article 2, Journal officiel n° L 106, p. 0001 – 0039, 17 avril 2001.
iv Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique, « Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques relatif à la Convention sur la diversité biologique : texte et annexes », article 3, 2000.
v « Directive 90/219/CEE du Conseil, du 23 avril 1990, relative à l’utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés », article 2, Journal officiel n° L 117, p. 0001 – 0014, 8 mai 1990.
vi OEB, « Décision de la Chambre de recours technique 3.3.4, en date du 21 février 1995 – T 356/93 – 3.3.4 », JO OEB, p. 545-585, 31 août 1995.
vii Directives de l’OEB, partie G, chapitre II, 5.5.1.
viii OMPI, « Traité de Budapest ».
ix OMPI, « Résumé du Traité de Budapest sur la reconnaissance internationale du dépôt des micro-organismes aux fins de la procédure en matière de brevets », 1977.
x OMPI, « Budapest System FAQs ».
xiOMPI, « Listes des types de micro-organismes acceptés en dépôt par les ADIs ».
xii « DIRECTIVE 2009/41/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 6 mai 2009 relative à l’utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés », Journal officiel de l’Union européenne, L 125/75, 21 mai 2009.
xiii « Règlement (UE) n ° 528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE », article 3, JO L 167, pp. 1–123, 22 mai 2012.
xiv Eric Meunier, « La proposition de déréglementation des OGM de la Commission européenne inclut des micro-organismes OGM », Inf’OGM, 11 mars 2025.
xv Scientific Committees, « Micro-organisme ».
xvi Guy Kastler, « Interconnexions entre les nouvelles biotechnologies et les DSI ou GSD », Inf’OGM, 11 juillet 2024.


