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Loi biodiversité : échanges et ventes de semences plus faciles
A la surprise générale, le Sénat, lors de sa première lecture de la loi biodiversité, avait voté pour un élargissement du droit des agriculteurs à s’échanger des semences entre eux, hors groupement d’intérêt économique et environnemental. Annulé par la Commission du développement durable de l’Assemblée nationale, cet amendement a finalement été adopté par l’Assemblée nationale en plénière. Les députés ont aussi décidé de faciliter la vente de semences à des « utilisateurs non professionnels ne visant pas une exploitation commerciale (…) [sans une] autorisation préalable ».
Depuis la loi d’avenir agricole d’octobre 2014, les agriculteurs peuvent échanger des semences non protégées par un COV dans le cadre d’un groupement d’intérêt économique et environnemental (GIEE) [1]. Mais une organisation de la société civile, Communidée (voir leur pétition), avait obtenu du Sénat que la loi soit modifiée pour élargir ce droit [2]. Les sénateurs avaient en effet voté un article 4 quinquies qui modifiait le code rural (article L.315.5) en barrant les mots : « membres d’un groupement d’intérêt économique et environnemental » [3]. En pratique, cela permettait les échanges, entre agriculteurs dans le cadre général de l’entraide agricole, sans que ces derniers ne soient forcément membres d’un GIEE.
Le lobby des semenciers a vivement réagi pour re-cantonner ces échanges uniquement dans le cadre des GIEE. Et, dans un premier temps, ces pressions ont fonctionné : la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale a tout simplement supprimé l’amendement du Sénat. La députée socialiste Anne-Yvonne Le Dain a justifié cette coupe franche en stipulant que l’élargissement des échanges mettait « en péril le certificat d’obtention végétale (COV) qui représente un acquis immense et ancien pour notre pays. Le COV est un outil formidable pour lutter contre la brevetabilité du vivant, puisqu’il qualifie une réalité concrète et non un potentiel » [4]. Hors-sujet, pour la rapporteure de la loi, Geneviève Gaillard, qui lui a vertement précisé que cet article s’appliquait aux « semences ou (…) plants n’appartenant pas à une variété protégée par un certificat d’obtention végétale et produits sur une exploitation hors de tout contrat de multiplication de semences ou de plants destinés à être commercialisés ».
D’autres députés comme Jean-Marie Sermier (Les Républicains) ou le socialiste Jean-Yves Caullet, ont aussi cherché à défendre une version restrictive de l’échange de semences entre paysans pour, selon eux, éviter les OGM et protéger la qualité des semences. Jean-Marie Sermier soulignait par exemple en Commission que « les semences échangées entre voisins ne font l’objet d’aucun contrôle sanitaire ou génétique ; ainsi, il est parfaitement possible d’échanger des semences contenant des organismes génétiquement modifiés (OGM) ». Réponse de la rapporteuse : « cet article ne présente aucun danger (…). Les dérives que vous dénoncez peuvent tout aussi bien se produire dans le cadre d’un GIEE ».
Échanges entre agriculteurs hors GIEE : rejeté en Commission, mais adopté en plénière
Et ni la rapporteure, Geneviève Gaillard, ni la représentante de la ministre de l’Environnement, Barbara Pompili, nommée depuis peu secrétaire d’État à la biodiversité, pour qui « cette disposition [d’échanges hors GIEE] constitue une avancée, notamment pour des variétés anciennes, typiques ou locales », n’ont pu faire pencher la balance en Commission.
Mais cette suppression n’aura duré que quelques jours. En plénière, forts d’une nouvelle majorité (différente de celle de la Commission), rapporteure et gouvernement ont finalement obtenu gain de cause. Concrètement, cela veut dire que s’il s’agit d’entraide, les règles qui s’appliquent à ces échanges, hors GIEE, sont les mêmes que celles qui concernent la production et l’utilisation des semences dans une même exploitation : cela concerne les règles sanitaires, de biosécurité (OGM) ou de propriété intellectuelle, mais pas l’obligation d’enregistrement de la variété au catalogue.
Pour mémoire, cet article avait été défendu par le Collectif Semons la Biodiversité lors de la discussion sur la loi d’avenir agricole, mais à l’époque, le droit d’échange avait été restreint par le Sénat aux seuls membres d’un GIEE. L’article L. 315-5 du code rural et de la pêche maritime est donc rétabli en ces termes.
« Les actions menées dans le cadre de leur projet pluriannuel par les agriculteurs membres d’un groupement d’intérêt économique et environnemental au bénéfice d’autres agriculteurs membres sont présumées relever de l’entraide au sens de l’article L. 325-1. Il en est de même, sans préjudice de la réglementation qui leur est applicable, des échanges, entre agriculteurs (supprimé : membres d’un groupement d’intérêt économique et environnemental), de semences ou de plants n’appartenant pas à une variété protégée par un certificat d’obtention végétale et produits sur une exploitation hors de tout contrat de multiplication de semences ou de plants destinés à être commercialisés ».
Ventes de semences à des utilisateurs non professionnels sans autorisation préalable
Au préalable, un article 4 quater, introduit par le Sénat, qui portait sur l’obligation pour une variété végétale protégée par un COV [5] d’être issue d’une semence « reproductible en milieu naturel » [6] a été annulé en Commission. Curieusement, il a été remplacé en plénière par un autre article 4 quater, portant sur la vente de semences à des « utilisateurs non professionnels » (jardiniers amateurs, gestionnaires de parcs et jardins publics…). Cet article a été défendu, entre autre, par la députée socialiste et ex-ministre de l’Environnement, Delphine Batho et également soutenu par la rapporteure. Adopté, il complète l’article L412-1 du Code de l’Environnement (voir encadré ci-dessous), par l’ajout de l’article 412-1-1, et précise que « la vente, la détention en vue de la vente, l’offre de vente et toute cession, toute fourniture ou tout transfert, à titre gratuit ou onéreux, de semences ou de matériels de reproduction des végétaux d’espèces cultivées destinés à des utilisateurs non professionnels ne visant pas une exploitation commerciale de la variété ne sont pas soumis à autorisation préalable ».
Malgré une rédaction ambigüe, cet article porte sur des espèces cultivées (ainsi que des plants), mais apparemment pas sur des variétés enregistrées, puisque la vente ne doit pas viser « une exploitation commerciale de la variété ». Le Sénat précisera sans doute cette rédaction en seconde lecture. L’insertion de cet article dans un chapitre du Code de l’Environnement concernant le patrimoine naturel indique que les semences destinées aux non professionnels, et les plantes qui en sont issues, ne sont pas réduites au statut de produit agricole réglementé par le ministère de l’Agriculture et deviennent un élément du patrimoine naturel relevant de l’autorité du ministère de l’Environnement.
Plus que deux étapes (Sénat, à partir du 10 mai, et Commission mixte paritaire) dans ce parcours législatif de la loi biodiversité avant de savoir si ces articles tiendront jusqu’au bout.
Article L412-1 du code de l’environnement (avant ajout du nouvel article L 412-1-1 par l’Assemblée nationale) : « La production, la détention, la cession à titre gratuit ou onéreux, l’utilisation, le transport, l’introduction quelle qu’en soit l’origine, l’importation sous tous régimes douaniers, l’exportation, la réexportation de tout ou partie d’animaux d’espèces non domestiques et de leurs produits ainsi que des végétaux d’espèces non cultivées et de leurs semences ou parties de plantes, dont la liste est fixée par arrêtés conjoints du ministre chargé de l’environnement et, en tant que de besoin, du ou des ministres compétents, s’ils en font la demande, doivent faire l’objet d’une autorisation délivrée dans les conditions et selon les modalités fixées par un décret en Conseil d’État ».
[1] article L. 315-5 du code rural et de la pêche maritime
[2] Le Collectif Semons la biodiversité (Collectif intégré par une trentaine d’organisations de la société civile, dont le Réseau semences paysannes, voir https://www.semencespaysannes.org/images/documents/qui-sommes-nous/10_mesures_pour_que_vivent_les_semences_paysannes.pdf) l’avait proposé pour la Loi d’avenir agricole mais à l’époque le Sénat l’avait réduit aux GIEE
[5] article L. 623-2 du code de la propriété intellectuelle
[6] Cet article semblait avoir été pensé pour limiter les semences Hybrides F1 mais ne pouvait toucher en pratique que les semences dites « Terminator »