La moléculture : des OGM pour produire des molécules

La moléculture (ou « culture de molécules ») est l’utilisation d’organismes vivants génétiquement modifiés pour qu’ils produisent des molécules pour divers usages : énergétiques, pharmaceutiques ou autres. Nous restreignons volontairement dans cet article la moléculture aux plantes ou animaux transgéniques [1]. Certes, des micro-organismes (levure, bactérie, cellule de mammifère, etc.) ont aussi été génétiquement modifiés pour produire des molécules (cf. Existe-t-il des micro-organismes génétiquement modifiés ?) en fermenteur (ou incubateurs) (cf. Quels sont les avantages et les inconvénients de l’utilisation des OGM ?). Mais les problématiques sociales sont tellement différentes qu’il est important de les présenter et de les penser séparément. Ainsi, pour cette FAQ, nous traiterons de la moléculture qui utilise des plantes ou des animaux en milieu ouvert, dans des champs ou en serre. Donc des OGM en interaction avec l’éco-système.

État des lieux de la moléculture

Concrètement, de nombreuses plantes génétiquement modifiées (PGM) ont été expérimentées en champs. En France, le cas le plus emblématique a été l’essai mené, en 2005, par l’entreprise privée Meristem Therapeutics (alors filiale de Limagrain) avec un maïs génétiquement modifié pour produire de la lipase gastrique. Depuis, de nombreuses plantes transgéniques ont également été cultivées pour produire d’autres molécules d’intérêt médical : albumine humaine, lactoferrine, vaccins, anticorps, et encore très récemment (septembre 2014), des molécules pour lutter contre le virus Ebola [2].

Concrètement, très peu de médicaments produits par des plantes ou des animaux transgéniques ont reçu une homologation, au niveau international. L’Union européenne (UE) a ainsi autorisé, en 2006 par exemple, la commercialisation de l’Atryn, protéine anticoagulante recombinante humaine (antithrombine) issue du lait de chèvre transgénique [3]. En revanche, l’élevage desdites chèvres n’est pas autorisé dans l’UE. Aux États-Unis, le premier médicament produit par des cellules de PGM en bioréacteur a été autorisé en 2012 [4]. Il s’agit de Elelyso, produit par l’entreprise israëlienne Protalix BioTherapeutics Inc. (sous licence avec Pfizer), une enzyme (glucocérébrosidase) qui fait défaut aux personnes atteinte de la maladie de Gfaucher. Cette enzyme est produite à partir de cellules de carottes génétiquement modifiées [5].

A notre connaissance, aucun médicament produit par des plantes cultivées en champs ou sous serre n’est autorisé au niveau mondial.

Pourquoi vouloir produire en champs ce qu’on peut produire en laboratoire ?

Plusieurs « avantages » ont été mis en avant par les partisans de la moléculture. Le premier est d’ordre économique. Que ce soit avec des plantes ou des animaux GM, la capacité de production des protéines recombinantes est plus importante et moins coûteuse qu’à l’aide de micro-organismes.

Concernant la lipase gastrique, d’autres cellules seraient capables de fabriquer directement des protéines opérationnelles : levure de boulangerie, cellules d’ovaires de hamster [6]. L’avantage économique stricto sensu est controversé. En effet, Meristem Therapeutics affirmait qu’un hectare de maïs GM permettait de produire un kilo de lipase gastrique, soit un taux de production de lipase par pied relativement faible. Or, purifier une protéine peu abondante à partir d’un mélange protéique très riche dans un organisme pluricellulaire complexe qu’est le maïs engendrera des coûts élevés. Si on produit cette lipase via des bactéries ou des levures GM, le coût des modifications post-traductionnelles in vitro nécessaires devrait compensé par l’économie faite sur la purification. De plus, les plantes sont aussi dépendantes des aléas climatiques. Gérard Branlard, chercheur à l’Inra de Clermont-Ferrand-Theix, affirmait en 2005 qu’ « une telle quantité est obtenue de manière classique aujourd’hui à partir d’un micro-organisme surexprimant une molécule d’intérêt thérapeutique dans un biofermenteur ; cela en toute légalité, sans risque de contamination pollinique et pouvant fonctionner chaque jour de l’année car non tributaire du cycle annuel de la plante » [7].

Pour les animaux transgéniques, un autre avantage a souvent été mis en avant : la facilité de la récolte quand la protéine est produite dans le lait d’un mammifère. Les modifications post-traductionnelles des protéines [8] sont similaires à celles opérées dans le corps humain. La protéine étrangère que l’on fait fabriquer par un microorganisme ou, de façon moindre, par une plante, n’est alors pas « finie ». Certains chercheurs contestent cet avantage. En revanche, le risque de propagation de virus est problématique chez les animaux mais n’existe pas dans le cadre des PGM.

La moléculture présente de nombreux risques

Dans les deux cas, animal ou plante, les inconvénients sont de deux ordres.

D’une part, cela mobilise des terres agricoles pour un usage autre que la production alimentaire. Or, les terres fertiles se raréfient (urbanisation, salinisation, etc.), et la pression sur les terres est donc de plus en plus forte. Étant donné qu’il n’est ni réellement possible, ni souhaitable de domestiquer l’ensemble des milieux, il semble pertinent, comme le recommande notamment le rapporteur des Nations unies pour le droit à l’alimentation [9], de consacrer les terres arables à l’agriculture.

D’autre part, cultiver à l’air libre des PGM productrices de molécules thérapeutiques ou industrielles ne peut qu’entraîner leur dissémination incontrôlable. La coexistence des filières est extrêmement difficile pour garantir des contaminations très faibles (cf. Qu’appelle-t-on la coexistence des filières OGM / non OGM ?). Or, du fait de leur nature, ces molécules ne doivent pas se retrouver dans des cultures destinées à l’alimentation humaine. Plusieurs exemples montrent que le risque de contamination n’est pas virtuel. En 2002, l’entreprise Prodigen a été condamnée à une lourde amende [10] pour mauvaise gestion d’un essai en champs de maïs transgénique produisant des molécules pharmaceutiques.

Aux questions de coexistence s’ajoute la question du transfert horizontal de gènes, dans le sol (un processus dans lequel un organisme intègre du matériel génétique provenant d’un autre organisme sans en être le descendant). Les entreprises impliquées dans la moléculture ont tendance à minimiser ce risque, qui n’a été que très peu étudié. Et quand il l’est, c’est souvent en laboratoire, ce qui entraîne, d’après certains chercheurs, une sous-estimation de son occurrence. En effet, par exemple, après récolte, les parties de plantes restantes sont en général broyées et enfouies dans le sol, ce qui augmente considérablement l’accessibilité des micro-organismes du sol à l’ADN végétal, et donc les risques de transferts horizontaux.

Et si on prenait des cellules de plantes ?

L’alternative serait alors peut-être dans la production de ces protéines par des cellules de plantes en milieu confiné. Selon un article publié dans la revue Nature Biotechnology [11], «  l’avantage sans doute le plus important des cellules de plantes par rapport à la plante entière est la procédure beaucoup plus simple de purification du produit, tout particulièrement quand ce produit est sécrété dans le milieu de culture ». Et plus loin : « Contrairement aux plantes en plein champ, la performance des cultures de cellules de plantes est indépendante du climat, de la qualité du sol, des saisons, de la longueur du jour et du temps [et ] il n’y a aucun risque de contamination avec des mycotoxines, des herbicides ou des pesticides ».

[1Cela correspond à la définition proposée par le ministère français à la culture, sur son site consacré aux termes recommandés au Journal officiel de la République française : http://www.culture.fr/franceterme/terme/AGRI1260?from=list&francetermeSearchTerme=mol%C3%A9culture&francetermeSearchDomaine=26)

[4Jeffrey L. Fox, « First plant-made biologic approved », Nature Biotechnology 30, 472 (2012), http://www.nature.com/nbt/journal/v30/n6/full/nbt0612-472.html

[6, « Contre information sur les OGM médicamenteux », Inf’OGM, 8 septembre 2005

[8Les protéines humaines ont besoin, pour être fonctionnelles, de subir, juste après avoir été fabriquées, des modifications chimiques (comme l’ajout de sucres ou glycosylation) : c’est ce qu’on appelle la modification post-traductionnelle

[11Hellwig, S., « Plant cell cultures for the production of recombinant proteins », Nature Biotechnology 22, 1415 – 1422 (2004)