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France – Loi biodiversité au Sénat : la fin du biopiratage en vue ?
A partir du 19 janvier, le Sénat a examiné, en première lecture, le projet de loi sur la biodiversité qui, selon le ministère de l’Écologie, « entend renforcer et renouveler les politiques publiques en faveur de la biodiversité ». Après une discussion générale, l’examen du texte a eu lieu du 20 au 22 janvier, et a été voté solennellement le 26 janvier. Quelques avancées concernant la limitation de la brevetabilité, la définition d’une variété, ou encore la possibilité d’échanger des semences ont été notées. Les sénateurs en ont profité pour introduire un article autorisant « la ratification du protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation relatif à la convention sur la diversité biologique, signé par la France le 20 septembre 2011 » [1].
550 amendements ont été examinés pour le projet de loi sur la biodiversité [2] par les sénateurs du 19 au 22 janvier, après une longue gestation débutée en 2013, alors que Philippe Martin était encore ministre de l’Environnement. Il a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 24 mars 2015. La ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, a annoncé son adoption définitive pour cet été, après les deuxièmes lectures de l’Assemblée et du Sénat.
Pour le gouvernement, ce projet entend renforcer et renouveler les politiques publiques en faveur de la biodiversité, avec plusieurs axes : une gouvernance simplifiée regroupant « plusieurs organismes existants au sein d’une instance de concertation, le Comité national de la biodiversité, et d’une instance d’expertise, le Conseil national de protection de la nature« . Et pour l’information et la formation des acteurs, « un opérateur intégré, l’Agence française pour la biodiversité » » [3].
Ce projet de loi est également conçu pour « répondre aux exigences du protocole de Nagoya (…) en créant un régime d’accès aux ressources génétiques et de partage des avantages découlant de leur utilisation, afin notamment de lutter contre la bio-piraterie » (titre IV du projet, articles 18 à 26). L’enjeu est de taille, puisqu’il s’agit de réglementer la bio-prospection des entreprises, essentiellement pharmaceutiques, de cosmétiques, et agro-alimentaires, en les obligeant à reverser une partie de leur chiffre d’affaire issu de ces bio-prospections.
De nombreuses associations, de protection de la nature mais aussi d’agriculteurs, se sont mobilisées, notamment au sein du collectif Semons la biodiversité [4]. Ce collectif a proposé des amendements [5], notamment sur la limitation des brevets, le partage des avantages et les droits des agriculteurs reconnus par le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’agriculture et l’alimentation (Tirpaa), Traité non encore appliqué en France, bien qu’il ait été approuvé par le Parlement français en 2005. Après l’intense plaidoyer des associations, les 550 amendements qui sont discutés reprennent en partie ces propositions, notamment celles qui visent à empêcher la brevetabilité des matières biologiques dotées de gènes « natifs » ou de caractères brevetés. Ces amendements sur les brevets sont principalement issus des bancs écologistes, socialistes ou encore communistes [6]. On constate cependant que le sujet dépasse les clivages politiques car certains républicains et un sénateur RDSE (Rassemblement démocratique et social européen) se sont également impliqués. Et à l’inverse, des amendements pro-brevets ont aussi été déposés par des sénateurs socialistes [7]. L’adoption d’amendements empêchant de généraliser le brevetage limiterait grandement le biopiratage à grande échelle auquel on assiste aujourd’hui [8]. A noter également que la sénatrice écologiste Marie-Christine Blandin, avec certains socialistes [9], proposent carrément d’annuler un brevet si « l’utilisation des ressources génétiques ou des savoirs traditionnels sans autorisation donne lieu à une utilisation commerciale » [10].
Les produits issus des nouvelles techniques ne seront pas évalués
Le Sénat a rejeté l’amendement 52 de la sénatrice Évelyne Didier et des membres du groupe communiste républicain et citoyen, soutenu également par les écologistes.
Il s’agissait d’inclure « les produits issus d’une ou de plusieurs nouvelles techniques de modification génétique d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication ou recombinaison naturelles » dans le champ d’application d’un article du code de l’environnement (Article L531-2-1) qui s’applique aux OGM et exige une « évaluation préalable indépendante et transparente des risques pour l’environnement et la santé publique » avant autorisation.
Pour Joël Labbé, sénateur écologiste, « Il est crucial de distinguer invention et découverte. Nous avons rédigé cet amendement avec le collectif « Semons la biodiversité », dont l’expertise est précieuse. Les nouvelles techniques de génie génétique n’ont même plus besoin d’introduire un gène extérieur, elles se contentent de recomposer un gène existant, avec un résultat que rien ne permet de distinguer du produit d’une sélection traditionnelle, ce qui complique leur traçabilité ».
Mais pour Jérôme Bignon (Les républicains), rapporteur de la loi : « les questions sont davantage à traiter au niveau européen ». Et d’interroger la ministre sur l’état du dossier, avant de conclure « Avis défavorable, en attendant d’en savoir davantage ». La ministre Ségolène Royal s’en est remise à la sagesse du Sénat, tout en affirmant qu’il était « cohérent d’étendre les obligations de traçabilité », et en rappelant qu’elle avait « saisi l’Anses sur les variétés tolérantes aux herbicides produits par mutation génétique (…). En attendant, nous renforçons la traçabilité » a-t-elle conclut.
Frileux et pro-semencier, Jean Bizet, sénateur de Les Républicains, a également plaidé contre cet amendement : « nous nous fragiliserions au niveau européen en légiférant seuls sur ce point. Nous sommes de plus en pleine négociation du traité transatlantique : n’affaiblissons pas l’industrie semencière française et européenne ».
Au final, les deux amendements identiques n°52 et 469 n’ont pas été adoptés.
Limiter l’extension de la brevetabilité
Par contre, une avancée a été obtenue avec l’adoption des amendements identiques n°46, 466 et 508 rectifié [11], qui visaient à exclure de la brevetabilité les produits issus des procédés essentiellement biologiques pour l’obtention des végétaux et des animaux, « ainsi que leurs parties et leurs composantes génétiques ».
Défendus par Evelyne Didier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que par les écologistes et certains socialistes, ces amendements veulent selon les mots de la sénatrice « garantir l’interdiction effective de la brevetabilité des végétaux et animaux. On ne saurait admettre que certains s’approprient des traits existants dans la nature en déposant un brevet qui s’étendra à toute plante ou tout animal possédant ces traits ». Evelyne Didier rappelle que cet amendement est conforme à la résolution « Semences et obtentions végétales » votée par le Sénat le 17 janvier 2014 [12].
Dans la même veine, a été adopté un amendement (n°276 rectifié bis) du sénateur Yung (Groupe socialiste et républicains) qu’il a justifié de la façon suivante : « Je pense aux Guaranis des bords de l’Amazone : nous ne pouvons pas leur réclamer une redevance pour l’utilisation d’une plante pour calmer la fièvre ». L’amendement insère donc un article dans le code de la propriété intellectuelle [13] qui stipule que « La protection conférée par un brevet relatif à une matière biologique dotée, du fait de l’invention, de propriétés déterminées ne s’étend pas aux matières biologiques dotées ou pouvant être dotées desdites propriétés déterminées, par procédé essentiellement biologique, ni aux matières biologiques obtenues à partir de ces dernières, par reproduction ou multiplication ».
Une précision sur la définition de la variété végétale
Contre l’avis du rapporteur de ce projet de loi, le sénateur Jérôme Bignon, mais avec le soutien du gouvernement, deux amendements identiques (l’un du sénateur François Grosdidier – Les Républicains – l’autre du sénateur Joël Labbé – écologiste) ont été adoptés qui ajoutent une précision de taille à la notion de variété végétale (article L. 623-2 du code de la propriété intellectuelle) : en plus d’être distincte, homogène et stable, la variété mise sur le marché devra avoir sa semence « reproductible en milieu naturel » (Amendements n°400 rectifié bis et 475).
Échanger des semences reproductibles
L’article L315-5 du code rural et de la pêche maritime stipule que les agriculteurs membres d’un groupement d’intérêt économique et environnemental (GIEE) peuvent échanger, dans le cadre de l’entraide, « de(s) semences ou de(s) plants n’appartenant pas à une variété protégée par un certificat d’obtention végétale et produits sur une exploitation hors de tout contrat de multiplication de semences ou de plants destinés à être commercialisés ».
Là encore, deux amendements identiques [14], l’un de F. Grosdidier, l’autre de M.-C. Blandin, ont souhaité élargir cette possibilité d’échange à tous les agriculteurs « qu’ils soient membres d’un GIEE ou non ». Ils ont été adopté, et là encore, contre l’avis du rapporteur pour qui ce type d’amendement sort du sujet car « ce n’est pas une loi agricole ! » mais avec l’avis favorable de Ségolène Royal. Pour elle, « cette mesure, très attendue par les agriculteurs, depuis longtemps, fluidifiera les marchés, développera les échanges de bonnes pratiques et créera des emplois en milieu rural. C’est une grande avancée ».
Dans un communiqué de presse diffusé le 21 janvier, le Réseau Semences Paysannes (RSP) salue ces avancées « contre les pirates du vivant« [15].
La deuxième lecture à l’Assemblée nationale débutera par un examen en commission du développement durable du 1er au 9 mars prochain [16] et l’examen en séance plénière aura lieu du 15 au 17 mars.
La veille citoyenne d’informations sur les semences d’Inf’OGM [17] continuera à suivre ces débats et à rendre compte de leur issue [18].
[2] Intitulé exact : Projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages
[5] http://www.semonslabiodiversite.com/wp-content/uploads/16-01-05-_-Propositions-damendements-loi-reconqu%C3%AAt-de-la-biodiversit%C3%A9_-S%C3%A9nat-s%C3%A9ance-pl%C3%A9ni%C3%A8re_Collectif-Semons-la-biodiversit%C3%A9-.pdf
[6] cf. par exemple celle du Sénateur Yung – Groupe socialiste et républicains, http://www.senat.fr/amendements/2014-2015/608/Amdt_276.html
[7] http://www.senat.fr/amendements/2014-2015/608/Amdt_145.html et http://www.senat.fr/amendements/2014-2015/608/Amdt_203.html
[8] , « Qu’est-ce que le brevetage du vivant ? », Inf’OGM, 19 septembre 2016
[9] dont le sénateur Yung, http://www.senat.fr/amendements/2014-2015/608/Amdt_282.html
[11] ces amendements complètent le 3° paragraphe de la partie I de l’article L. 611-19 du code de la propriété intellectuelle
[12] voir : , « Semences et brevetabilité dans l’UE : première position du Sénat français », Inf’OGM, 19 décembre 2013
[13] Article L613-2-3
[14] 354 rectifié bis et 399 rectifié ter
[17] VCI S, projet conjoint, rappelons-le, du Réseau Semences Paysannes et d’Inf’OGM
[18] voir notamment : , « L’Assemblée nationale restreint en partie la brevetabilité du vivant », Inf’OGM, 17 mars 2016