Plus ou moins de pesticides avec les OGM ?
La très grande majorité des plantes génétiquement modifiées (PGM) actuellement commercialisées sont des « plantes pesticides » : soit elles tolèrent un ou des herbicides (plantes Roundup Ready, Liberty Link…) (cf. Qu’est-ce qu’une plante tolérant un herbicide (Roundup Ready ou autre) ?), soit elles produisent dans leurs cellules une ou des protéines insecticides (plantes Bt) (cf. Qu’est-ce qu’une plante Bt ?). Certaines plantes transgéniques cumulent les deux caractéristiques. Argument de vente des entreprises : ces plantes vont permettre de diminuer la quantité de produits chimiques utilisés en agriculture et, par ricochet, de diminuer la quantité de pétrole utilisée par les tracteurs pour épandre ces produits. Vingt ans après, cet argument est toujours utilisé même si la réalité lui a souvent donné tort. L’agriculture transgénique a été promue comme une réponse aux dégâts de l’agriculture chimique, nous montrons ici qu’elle n’en est que le prolongement.
Les PGM dans la lignée de l’agriculture chimique
Les entreprises qui vendent les PGM tolérant des herbicides commercialisent également les herbicides concernés, à l’instar de Monsanto avec le Roundup ou de Bayer avec le Liberty. Le développement et la commercialisation de ces PGM s’inscrit donc dans la droite ligne d’une agriculture consommatrice d’intrants chimiques.
Ainsi, une première remarque de bon sens s’impose : comment peut-on envisager qu’une entreprise qui vend deux produits, un herbicide et une plante tolérant ledit herbicide, en vende un au détriment de l’autre ? Le paquet plante GM + herbicide ne sert pas à réduire l’usage des herbicides mais à préserver un marché menacé par les herbicides génériques. La différence de pratiques culturales se situe en fait entre des agriculteurs qui utilisent différents types d’herbicides dits spécifiques (c’est-à-dire qui préservent la culture en place) et des agriculteurs qui peuvent désormais n’en utiliser qu’un, dit total, de façon systématique, sans menacer leurs cultures.
Les PGM induisent-elles plus ou moins d’herbicides ?
Prenons un pays qui cultive de telles PGM sur de grandes surfaces et depuis plusieurs années : les États-Unis. L’expertise collective Inra-CNRS menée en 2011 [1] souligne des hausses de l’usage des herbicides, pour la période 1995 à 2007, pour le maïs GM (+25%), le soja GM (+11%) et le coton GM (+13%). Elle ajoute qu’en 2011, « ces tendances sont confirmées avec des indications similaires pour le soja au Canada, au Brésil et en Argentine ».
Par ailleurs, si dans les premières années (1995-2000), la quantité d’herbicide utilisée sur les cultures de maïs, coton et soja GM étaient inférieures à celles utilisées sur les cultures non GM, la situation s’est inversée pour soja et coton. Pour le maïs, ce n’est pas encore le cas mais l’écart se réduit fortement. Enfin, les auteurs précisent que le colza TH reste avantageux.
Il faut ici noter qu’un tel suivi aux États-Unis n’est plus possible depuis que le gouvernement a décidé de ne plus publier les chiffres relatifs aux quantités utilisées d’herbicides [2].
Pourquoi plus d’herbicides ?
Tout d’abord, le fait d’utiliser des variétés tolérant des herbicides, dont le but est de simplifier les pratiques culturales des agriculteurs, induit une utilisation moins rigoureuse des herbicides : la plante survit aux pulvérisations, donc l’agriculteur ne craint pas d’en mettre trop. Ainsi, ces plantes lui permettent d’optimiser les passages de tracteur (un gain de temps et d’argent non négligeable… dans un premier temps) et de s’assurer qu’aucune plante adventice ne perturbe la culture souhaitée.
D’autre part, les PGM tolérant un herbicide entraînent une plus forte pression sélective sur les plantes adventices, car l’agriculteur a tendance à utiliser en permanence le même herbicide. Dans le cas de l’agriculture conventionnelle, l’agriculteur « jongle » avec plusieurs herbicides, pour ne pas tuer sa propre culture. La plante est alors moins sujette à la pression sélective d’une molécule en particulier. Les adventices devenues résistantes sont de plus en plus nombreuses (cf. Qu’est-ce que « l’acquisition de résistances » ?). Or, pour détruire ces plantes indésirables devenues résistantes, il faut soit procéder à un arrachage manuel, soit augmenter les doses de l’herbicide déjà utilisé, soit encore utiliser des herbicides plus toxiques tels que l’atrazine, le 2,4-D, etc. Charles Benbrook, consultant en agriculture aux États-Unis, précise que l’apparition de plantes adventices tolérantes au glyphosate a entraîné des « difficultés de désherbage conduisant à une augmentation des doses et/ou du nombre de passages de glyphosate en dix ans : 39% en plus pour le maïs, 200% pour le coton, et 98% pour le soja » (cf. « L’expertise collective Inra-CNRS », p.119).
Les adventices résistantes ne sont pas les seules plantes qui sont difficiles à éliminer : par exemple, les repousses de colza GM tolérant un herbicide dans un champ de soja tolérant le même herbicide sont aussi problématiques.
Conséquence de cette augmentation
La première conséquence de cette augmentation de l’utilisation des herbicides est que la quantité de résidus d’herbicides tolérée au sein d’une plante a dû être augmentée. Ainsi, en 1999, à la demande de Monsanto, l’Agence étasunienne de Protection de l’Environnement (EPA) augmentait les doses autorisées de résidus de glyphosate (principe actif du Roundup) dans la betterave, jusqu’à +4900%. En 2006, toujours à la demande de Monsanto, l’EPA augmentait de 130% les taux de résidus autorisés dans la luzerne (cf. [3]. Ces résidus peuvent pourtant induire de potentiels effets sur la santé (cf. Quels sont les risques des OGM pour la santé ?).
Ensuite, l’utilisation croissante d’herbicides pose des problèmes environnementaux. Et les PGM tolérant des herbicides,, nous venons de le voir, sont responsable d’une augmentation des quantités utilisées d’herbicides. Ces problèmes ont été listés par l’expertise collective Inra-CNRS en 2011 : effets sur la biodiversité (moins de flore donc moins de graines pour la faune les consommant donc « impact sur les taxons situés plus haut dans la chaîne alimentaire »), contamination notable des eaux et des sols. Par ailleurs, il existe des lacunes d’études sur les effets non intentionnels propres aux variétés rendues tolérantes aux herbicides (VRTH) sur leur environnement, sur la toxicité des herbicides sur la faune inféodée aux territoires agricoles, sur les impacts potentiels sur les insectes pollinisateurs [4].
Plante Bt : une réduction en trompe-l’œil…
La culture des PGM produisant une protéine insecticide (les PGM Bt) a effectivement conduit à une diminution de la quantité épandue d’insecticides. Mais que se passe-t-il avec l’insecticide produit par la plante ? Il n’est pas comptabilisé.
La caractéristique de plantes Bt est de produire elle-même leur protéine(s) insecticide(s) en continu et dans toutes les cellules. Donc si on parle d’insecticides pulvérisés par l’agriculteur, il semble logique que la quantité sera moindre dans le cas de l’utilisation de plantes Bt. Mais il paraît tout à fait malhonnête de ne pas intégrer les quantités d’insecticides produites par la plante dans le bilan final : ces molécules se retrouvent en effet dans la nature au même titre que celles pulvérisées. Or, comme nous l’indiquons dans la faq sur les plantes Bt, cette quantité auto-produite n’est pas connue avec précision. De là découle des problèmes importants : la quantité d’insecticides présente dans un champ est, par définition, la quantité d’insecticides à laquelle les insectes cibles et non cibles seront exposés. Sa méconnaissance empêche d’évaluer et de gérer les résistances chez les insectes cibles. Et si les insectes acquièrent une résistance à une protéine Bt produite par une plante, l’agriculteur devra bel et bien revenir à des pulvérisations d’autres insecticides pour lutter contre ce parasite. Or les résistances commencent effectivement à apparaître : il est probable que ce phénomène engendrera, comme pour les PGM tolérant un herbicide, une augmentation des doses ou l’utilisation d’insecticides chimiques plus toxiques… (Qu’est-ce qu’une plante Bt ?)
D’autre part, les plantes Bt ne produisent pas des insecticides contre l’ensemble des insectes phytophages. Donc même avec des variétés Bt et en l’absence d’insectes résistants, un agriculteur conventionnel (non bio) sera amené à utiliser d’autres insecticides.
Enfin, l’efficacité des plantes Bt peut entraîner la prolifération de parasites auparavant mineurs, ce qui implique aussi d’utiliser des insecticides contre ce dernier [5]. L’approche « bio » ne cherche pas à éliminer totalement une population de prédateurs, mais à s’assurer que les populations d’insectes soient en équilibre avec leur milieu, afin qu’aucune ne prolifère et ne dévaste la culture.