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États-Unis : Oxitec demande une autorisation pour son moustique OGM
Après seulement quelques essais réalisés dans les îles Keys (Floride), et après avoir retiré deux demandes d’essais prévus au Texas et en Californie, Oxitec a déposé en juin 2024 une demande auprès du ministère étasunien pour l’Environnement pour pouvoir commercialiser son moustique génétiquement modifié, Aedes aegyptii OX5034, sur l’ensemble du territoire. Cette demande, en cours de traitement, pose de nombreux problèmes aux associations qui ont répondu à une consultation publique organisée récemment.
Oxitec est une entreprise, filiale de Third Securityi, connue pour ses projets d’insectes génétiquement modifiés, et principalement ses moustiques. Inf’OGM a relaté dernièrement plusieurs actualités d’Oxitec : retour au Panamaii, mise en place d’un programme à Djibouti et discussions avec l’Ougandaiii et les îles Marshall (cf. encadré), autorisations commerciales en Australie et au Paraguay (article à venir). Malgré plusieurs déboires, cette entreprise semble bien avoir le vent en poupe. Aux États-Unis, elle a disséminé, à titre expérimental, plusieurs millions de moustiques transgéniques Aedes aegyptii (OX5034) en Florideiv. En revanche, les essais prévus en Californie et au Texas n’ont pas eu lieu suite aux retraits des demandes par l’entreprise elle-mêmev.
Une demande d’autorisation nationale
Le moustique Aedes aegyptii OX5034 a été génétiquement modifié par Oxitec pour que les moustiques issus de l’accouplement d’un mâle transgénique et d’une femelle sauvage soient uniquement mâles. Concrètement, en l’absence de tétracycline, les femelles issues de cet accouplement ne se développeront pas au-delà du stade larvaire. Ceci pose malgré tout des questions. Aux stades aquatiques (larves et nymphes), les moustiques sont consommés par des poissons, mais aussi par des larves d’autres insectes, comme les larves de libellules ou de dytiquesvi. Chez l’espèce Aedes, en l’absence de mise en eau, les œufs peuvent rester viables plusieurs annéesvii. Le but affiché par l’entreprise serait de réduire la population des moustiques sauvages, vecteurs de la dengue, de Zika, etc.
En juin 2024, après seulement quelques essais réalisés dans une seule zone géographique – les îles Keys en Floride – et sans qu’aucune information fiable et transparente n’ait été publiée sur le résultat de ces essais, Oxitec annonçait « travailler actuellement avec l’Agence pour la protection de l’environnement (EPA) à la recherche d’une autorisation commerciale complète »viii. Complète car cette demande concerne l’ensemble du territoire étasunien. La demande, telle que précisée sur le site de l’EPA, concerne l’autorisation commerciale d’un nouveau principe insecticide actif – Oxitec et l’EPA parlent de « biopesticide » –, à savoir la protéine tTAV-OX5034ix et le matériel génétique du vecteur (pOX5034). Les moustiques d’Oxitec sont, depuis 2020, non plus évalués par la FDA en tant que médicaments dans la lutte anti-vectorielle, mais par l’EPA en tant que (bio)pesticides destinés à supprimer les populations sauvages de moustiques. Cela est également valable pour les autres insectes à descendance mâle mis au point par Oxitec. Ce changement est favorable à l’entreprise, car l’EPA a une obligation de traiter les dossiers dans un délais de 12 moisx, contrairement à la FDA qui n’a aucun délai à respecter.
Des oppositions exprimées lors de consultations publiques
L’EPA a soumis à une consultation publique cette demande, du 3 mai au 3 juin 2024 puis du 4 octobre au 2 décembre 2024xi. Parmi les commentaires postés sur le site de l’EPA, celui du Center for Food Safety (CFSxii) souligne ainsi un manque de transparence car, « malgré les exigences supplémentaires énoncées dans le mémo de l’EPA du 7 mars 2022xiii, ni le site web d’Oxitec ni le site web de l’EPA consacrées au permis d’expérimenter d’Oxitec ne contiennent d’informations sur la manière dont ces nouvelles exigences ou celles de l’ensemble du permis (Experimental Use Permit – EUP) ont été respectées ». En effet, entre une première demande en 2020 et une seconde en 2022 pour une dissémination expérimentalexiv en Floride, l’EPA a posé à l’entreprise de nouvelles exigences. Par exemple, l’EPA demande que « trois pièges à moustiques adultes [soient] placés à moins de 100 m du bord extérieur de chaque source environnementale potentielle de tétracycline [NDLR : installations de traitement des eaux usées, champs d’agrumes par exemplexv] […] située à moins de 1 000 m de tout point de rejet d’OX5034 ». L’EPA précise aussi dans son autorisation que ces pièges doivent être collectés et remplacés au moins toutes les semaines. Elle indique également que « en cas de tempêtes tropicales, d’ouragans, d’incendies de forêt connus ou d’autres catastrophes naturelles importantes, Oxitec renverra les boîtes d’élevage de moustiques dans une installation sécurisée sous triple confinement (deux des trois couches de confinement étant incassables) avant que la catastrophe n’atteigne la zone d’essai, s’il est possible de le faire en toute sécurité ». D’ailleurs, le CFS a fait une demande d’accès à l’information à ce propos, et indique n’avoir à ce jour encore rien reçu. Le CFS résume donc qu’à « l’issue de l’EUP, Oxitec devait fournir à l’EPA des rapports annuels et un rapport final comprenant les huit points supplémentaires figurant dans le document 93167-EUP-2 modifié. Le fait que l’EPA n’ait pas publié ces documents pour examen public sape la confiance du public dans Oxitec et dans la supervision par l’EPA d’une nouvelle stratégie en matière de pesticides ».
Le CFS rappelle également que l’entreprise n’a jamais expliqué publiquement pourquoi elle avait retiré certaines demandes de dissémination expérimentale, notamment dans le comté de Tulare au Texas. En réalité, Oxitec a bien expliqué un de ses retraits, celui de Californie, par un « problème de calendrier »… Une justification bancale puisque, au cas où la Californie réponde positivement à cette demande mais après la période prévue pour l’essai, il eut été possible pour Oxitec de réaliser cet essai l’année suivante.
Le CFS demande également à l’EPA d’expliquer pourquoi elle traite une autre demande, celle de MosquitoMate pour des moustiques Aedes albopictus, modifiés avec Wolbachiaxvi différemment de ceux d’Oxitec. En effet, le CFS souligne dans son commentaire que l’EPA a demandé à MosquitoMate de tester ses moustiques dans une dizaine d’endroitsxvii et qu’elle a autorisé ces moustiques uniquement dans 20 États (en 2017). Depuis, l’EPA a amendé son autorisation et, en décembre 2023, ce moustique Aedes albopictus modifié par Wolbachia (ZAP Males® de l’entreprise MosquitoMate) est autorisé en tant que (bio)pesticide sur l’ensemble du territoire étasunienxviii. L’EPA justifie ce traitement par le fait qu’entre-temps, MosquitoMate a fournit des preuves supplémentaires pour justifier une expansion de l’autorisation originale.
Les îles Marshall dans le viseur d’Oxitec
En 2023, Oxitec a signé un nouveau partenariat avec le gouvernement des îles Marshal pour pour lutter contre le moustique Aedes aegypti Ce parte nariat inclut également deux autres organisations : les Centres étasuniens de contrôle et de prévention des maladies (CDC, the US Centers for Disease Control and Prevention) et l’Association des agents de santé des îles du Pacifique (PIHOA, the Pacific Island Health Officers’ Association). Il est prévu, ais aucune date n’a encore été formalisé, qu’Oxitec enverra des moustiques Aedes aegypti génétiquement modifié en vu de lâcher sur l’île d’Ebeye. En 2023, Oxitec et ses partenaires ont d’ores et déjà « préparé » le terrain en organisant des consultations avec les communautés locales des îles Marshall et en installant sur l’île visée des locaux dédiés à ces lâchers. Les îles Marshall sont officiellement indépendantes des États-Unis depuis 1986, mais les États-Unis restent très présents sur ce territoire. Par exemple, cette République n’a pas d’armées et ce sonnt les États-Unis qui assurent officiellement la défense du pays. Une convention de « libre association » a été signée entre ces deux pays. Les îles Marshall font parties des pays du Pacifique sous tutelle des États-Unisxix.
i Oxitec a été achetée par Intrexon, une entreprise dont l’actionnaire principal est Kirk Kandal, également actionnaire principal de Third Security Intrexon, qui s’est concentré sur la partie « santé » en 2020 et a vendu à Third Security l’ensemble des autres entreprises, dont Oxitec.
ii Christophe Noisette, « Moustiques OGM : Oxitec de retour au Panama », Inf’OGM, 26 septembre 2023.
iii Christophe Noisette, « De Djibouti à l’Ouganda, Oxitec et ses moustiques OGM s’étendent », Inf’OGM, 3 octobre 2024.
iv Christophe Noisette, « États-Unis – Nouveau lâcher de moustiques OGM malgré une évaluation faible », Inf’OGM, 17 juin 2022.
v Christophe Noisette, « Oxitec ne disséminera pas de moustiques OGM en Californie », Inf’OGM, 16 mai 2023.
Oxitec, « Update on Oxitec’s 2023 California Plans », 11 mai 2023.
vi SLM67, « Favoriser la présence des prédateurs naturels ».
vii Département de Charente Maritime, Service départemental de démoustication, « Le cycle de vie du moustique », 2024.
viii Oxitec, « Florida Keys Mosquito Control District and Oxitec Announce Plans for the 2024 Mosquito Project Season », 24 juin 2024.
ix Il s’agit de la protéine issue d’un transgène : Tetracycline Trans-Activator Variant. Cette dernière fait que le moustique meurt en l’absence de tétracycline. Nous avons déjà documenté dans des articles précédents ce phénomène et les soucis potentiels dans des zones de culture (notamment d’agrumes) où est pulvérisée de la tétracycline.
x Christophe Noisette, « États-Unis : les lâchers de moustiques OGM ont débuté », Inf’OGM, 4 mai 2021.
xi EPA, « Reopening Comments for Notice of Receipt in Docket EPA-HQ-OPP-2024-0133 », 10 mars 2024.
EPA, « Pesticide Product Registration: Applications for New Active Ingredients, March 2024 », 3 mai 2024.
xiii EPA, « Experimental Use Permit Amended for 93167-EUP-2 to Allow Releases of OX5034 Aedes aegypti in Florida and California », 7 mars 2022.
xiv EPA, « Experimental Use Permit Issued for 93167-EUP-2 to Allow for Releases of OX5034 Aedes aegypti in Florida and Texas Insurance Letter », 1er mai 2020.
xv Christophe Noisette, « États-Unis : les lâchers de moustiques OGM ont débuté », Inf’OGM, 4 mai 2021.
Christophe Noisette, « États-Unis – Nouveau lâcher de moustiques OGM malgré une évaluation faible », Inf’OGM, 17 juin 2022.
xvi Christophe Noisette, « Wolbachia : la bactérie qui rend les moustiques inoffensifs », Inf’OGM, le journal, n° 158, janvier/mars 2020.
xvii Schairer CE, Najera J, James AA, Akbari OS, Bloss CS, « Oxitec and MosquitoMate in the United States: lessons for the future of gene drive mosquito control », Pathog Glob Health, septembre 2021 ;115(6):365-376.
xviii EPA, « EPA Approves Additional Use of Biopesticide to Help Suppress Mosquito Populations that Spread Diseases », 6 décembre 2023.
xix Wikipédia, « Territoire sous tutelle des îles du Pacifique », 24 novembre 2024.