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ETATS-UNIS – L’ADN « naturel » n’est pas brevetable, l’ADN complémentaire oui
Le 13 juin 2013, la Cour suprême des Etats-Unis, dans une décision qui fera date dans l’histoire de la propriété intellectuelle et industrielle, a considéré qu’« une séquence d’ADN produite naturellement est un produit de la nature et n’est pas éligible pour un brevet, simplement parce qu’elle a été isolée, mais l’ADN « complémentaire » (cDNA) [1] est éligible au brevet parce qu’il n’est pas produit naturellement » [2] [3]. Dans cette décision, la Cour suprême précise qu’un ADN complémentaire est « une molécule composée uniquement d’exons », c’est-à-dire uniquement des parties codant pour la protéine visée, ou dont les introns ont été supprimés. Cette séquence ne peut se retrouver dans la nature, en l’état.
Le juge de la Cour suprême en charge de ce dossier, Clarence Thomas, a souligné que « les lois de la nature, les phénomènes naturels et les idées abstraites sont des outils fondamentaux du travail scientifique et technologique et n’entrent pas dans le domaine de la protection des brevets ». On se souvient pourtant qu’en 2003, l’entreprise Myriad Genetics avait menacé de poursuivre en justice deux provinces canadiennes, l’Ontario et la Colombie-Britannique, « si ces provinces continuent, sans lui verser des redevances, à procéder à des tests de dépistage de cancer du sein portant sur les gènes BRCA1 et BRCA2 » [4].
Cette décision est l’aboutissement d’un recours formé par l’Association for Molecular Pathology contre trois des neufs brevets déposés par l’entreprise Myriad Genetics sur deux gènes (BRCA1 et BRCA2). L’entreprise avait mis au point des tests génétiques basés sur ces gènes, dont certaines mutations favorisent le risque du cancer du sein et de l’ovaire.
Ces brevets avaient scandalisé de nombreux médecins et chercheurs qui considéraient qu’ils étaient une entrave à la santé et à la liberté de chercher. Ils permettaient concrètement à l’entreprise d’empêcher la mise au point de tests médicaux autres que les siens et entravaient considérablement la recherche fondamentale. D’une façon plus globale, les chercheurs sont en train de monter au créneau contre les brevets qui deviennent de véritable freins à la recherche.
Au regard de cette décision, que deviendra le brevet déposé par cette entreprise en Europe ? En effet, le 19 novembre 2008, l’Office européen de brevets (OEB) avait octroyé à l’Université de l’Utah et à l’entreprise Myriad Genetics, un brevet protégeant une technique d’identification des prédispositions génétiques aux cancers du sein et de l’ovaire (brevet n°699 754). Et cette décision s’appliquera-t-elle également aux autres entreprises, à l’instar de Introgen Therapeutics, qui ont déposé des brevets sur d’autres séquences génétiques impliquées dans des cancers ? Environ 20% des gènes « humains » ont d’ores et déjà été brevetés.
[1] ndlr : une séquence génétique synthétisée par l’homme
[3] « Cette décision a notablement déplacé le curseur de la brevetabilité, faisant tomber dans le domaine public tous les brevets qui revendiquent tout ou partie d’un génome isolé de son environnement, qu’il soit humain ou non, qu’il soit ou non le siège de variations, mutations délétères ou polymorphismes, apparus spontanément« , http://www.lemonde.fr/sciences/article/2013/07/03/la-cour-supreme-libere-les-genes_3439918_1650684.html
[4] , « CANADA – Conflit sur un brevet détenu par Myriad Genetics », Inf’OGM, 9 octobre 2003