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ETATS-UNIS – La chrysomèle résiste de plus en plus au maïs transgénique censé la tuer
En 2011, un article scientifique exposait le constat qu’au champ, la chrysomèle des racines du maïs (Diabrotica virgifera virgifera, un coléoptère) développe, après trois années de culture, des résistances à la protéine insecticide Bt Cry3Bb1, présente dans des maïs génétiquement modifiés [1]. Les chercheurs qui avaient écrit cet article [2] ont poursuivi leur travail : ils documentent aujourd’hui les raisons à la fois de cette apparition de résistance à la protéine insecticide Bt Cry3Bb1 ainsi qu’à une seconde protéine Bt.
2011, première constatation de l’apparition de résistance à la protéine Cry3Bb1
Les chercheurs sont partis de témoignages d’agriculteurs ayant subi des attaques de chrysomèles sur leurs champs de maïs génétiquement modifié (GM). Les analyses conduites en laboratoire ont montré que les chrysomèles de ces champs résistaient à la protéine transgénique Cry3Bb1, pourtant censée les tuer [3]. Les scientifiques ont par ailleurs établi une corrélation directe entre la capacité des chrysomèles à survivre et le nombre d’années de culture sans rotation (avec un minimum de trois années) de tels maïs transgéniques. Enfin, ils ont démontré que la génération suivante de chrysomèles hérite de cette capacité de résistance. Ces résultats font donc écho aux travaux publiés en 2006 par P.L. Clark et T.M. Nowatzki [4] qui, sur la base d’analyses en laboratoire, concluaient que les larves des chrysomèles des racines du maïs pouvaient, au moins temporairement, s’adapter à la présence de protéine Cry3Bb1. A l’époque, chaque chercheur avançait son hypothèse : a) une capacité des larves à détecter dans la plante des différences de quantité de protéines Cry3Bb1 et donc de consommer les parties n’en contenant pas ou peu ; b) un manque « d’efficacité » de la protéine Cry3Bb1 dont l’ingestion n’affecterait pas systématiquement la durée de vie des chrysomèles.
2014, la résistance s’explique, s’étend et concerne une seconde protéine Bt
Trois ans après leur premier article sur le sujet, les mêmes scientifiques publient un article relatant des études en laboratoires faites sur des insectes prélevés dans les champs en 2011 [5]. En premier lieu, ils rappellent que la résistance à la protéine Cry3Bb1 s’est maintenue, voire étendue, dans le temps puisqu’elle a été observée dans trois champs en 2009, dans sept en 2010 et dans quinze en 2011. La prudence des scientifiques quant à affirmer que la résistance s’est étendue vient du fait que l’observation croissante peut également être due à une plus grande vigilance des agriculteurs qui, conscients que la résistance est présente, surveillent davantage et donc décèlent plus de dégâts sur leurs cultures.
Les résultats obtenus en laboratoire conduisent les scientifiques à considérer que la résistance est apparue du fait d’une quantité insuffisante de protéine Cry3Bb1 produite par les plantes transgéniques en culture. Selon eux, une absence de forte dose de protéine insecticide se caractérise en effet par l’apparition de résistances qui pourront évoluer rapidement dans le temps, sur trois générations d’insectes.
Dernier constat issu des analyses en laboratoire : la résistance à la protéine Cry3Bb1 a conduit à une résistance croisée avec la protéine mCry3A (une forme synthétique de la protéine Cry3A). Cette seconde résistance est apparue en 2011, soit deux ans après la première observation de la résistance à Cry3Bb1. Une telle résistance croisée (qui implique que les insectes ayant développé une résistance à la protéine Cry3Bb1 résistent également à la protéine mCry3A) aurait pour origine, selon les chercheurs, une similarité de structure de trois segments de ces protéines et donc une similarité de sites auxquels ces protéines s’accrochent dans l’estomac des insectes.
Pour les scientifiques, ces résultats montrent que les insectes peuvent développer rapidement des résistances aux cultures Bt ne produisant pas assez de protéine insecticide. Problème : « aucun des maïs Bt visant la chrysomèle du maïs commercialisés aujourd’hui [ne produit de protéines Bt à hautes doses], le risque d’apparition de résistance est donc accru« [6]…
La principale leçon à tirer de ces travaux concerne la mise en place des zones refuge (zones de culture autour d’un champ de PGM ensemencée avec des plantes non GM) qui doit être renforcée, selon A. J. Gassmann [7]. Sur cette question des zones refuge, Monsanto met en avant la stratégie « le refuge dans un seul sac », qui consiste à vendre aux agriculteurs un seul sac contenant les semences de maïs GM et des semences de maïs non GM. Ces dernières, une fois l’ensemencement du champ effectué, constitueront la zone refuge [8]. Couplé à l’utilisation de PGM produisant deux ou plus protéines insecticides, l’entreprise considère que cela constitue la solution à l’apparition de résistance comme elle l’expliquait en 2011 [9]. Elle avait d’ailleurs su « utiliser » le premier article de Gassmann et al. de 2011 pour promouvoir cette stratégie [10]. Monsanto commercialise ainsi aux États-Unis le maïs SmartStax depuis 2010, un maïs qui contient notamment six protéines insecticides, dont les protéines Cry3Bb1, Cry34Ab1 et Cry35Ab1 et le vend depuis 2011 dans des sacs contenant et des semences GM et des semences non GM. Ce maïs est autorisé commercialement en Europe, depuis le 6 novembre 2013 [11].
Interrogé en 2011 par Inf’OGM, Denis Bourguet de l’Inra expliquait que cette stratégie n’est pas envisageable dans le cadre de la lutte contre la pyrale, les larves étant mobiles entre les plantes, se nourrissant alors alternativement sur des plantes non GM puis GM (et inversement) et pouvant donc développer des résistances. Mais cela pourrait fonctionner pour la chrysomèle car les larves ne passent pas suffisamment d’une plante à une autre pour que cela rende inopérante la présence dans le champ de plantes « refuge ». Mais Gassmann et al. rappellent que l’autorisation commerciale de telles plantes a été accompagnée d’une diminution des zones refuge requises pour limiter l’apparition de résistance, passant de 20% de la surface ensemencée à 5%… Et que la résistance à une protéine insecticide diminue l’efficacité des PGM qui en produisent deux ! Pour les auteurs de l’article, les voies à explorer devraient être « de plus grandes zones refuges [(…) et] des stratégies telles que la rotation de culture« .
En effet, la mise en place de zones refuge efficaces suppose la présence des chrysomèles dans ces zones et donc la pérennisation de l’infestation. L’apparition de résistances pour les Cry3 par ces coléoptères étant inéluctable, même avec les zones refuge – qui ne font que la retarder – ce type d’OGM ne peut constituer une réponse durable à ce grave problème agronomique.
[1] La protéine Cry3Bb1 est présente dans de nombreuses plantes transgéniques, comme par exemple les maïs contenant l’évènement MON863 ou l’évènement 88017
[2] Gassmann J. A. & al., « Field-Evolved Resistance to Bt Maize by Western Corn Rootworm », PLoS ONE, 2011, 6(7):e22629. Aaron J. Gassmann déclare avoir reçu par le passé des subventions d’entreprises comme Dow, Monsanto, Syngenta… mais pas sur ce travail précis
[3] Beaucoup d’autres plantes Bt contiennent des protéines insecticides de la famille des Cry1, pour lutter contre la sésamie et de la pyrale. Il est à noter qu’un tel phénomène d’apparition de résistance aux champs commence aussi à apparaître, cf par exemple : , « AFRIQUE DU SUD – OGM : le foreur du maïs fait de la résistance », Inf’OGM, 13 septembre 2013
[4] , « Réaction des larves aux maïs Bt », Inf’OGM, octobre 2006
[5] « Field-evolved resistance by western corn rootworm to multiple Bacillus thuringiensis toxins in transgenic maize », Gassmann J. A. & al., PNAS, 8 avril 2014, vol. 111, n°14, pp5141–5146.
[6] cf. note 5
[7] cf. note 2
[11] maïs 89034*1507*Mon88017*59122, dossier réf CZ/2008/62