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En Australie, Oxitec et le CSIRO développent des moustiques OGM

Par Christophe NOISETTE

Publié le 21/01/2025

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La liste des pays qui participent (ou ont participé) aux programmes d’Oxitec impliquant des moustiques génétiquement modifiés s’allonge. L’Australie fait partie de cette liste depuis 2015. Son organisme gouvernemental pour la recherche scientifique et industrielle, le CSIRO, est même actionnaire de la filiale Oxitec Australia, récemment créée. Des disséminations expérimentales de moustiques OGM sont prévues et une demande de commercialisation a été déposée.

En Australie, Oxitec, une entreprise qui modifie génétiquement des insectes, et le CSIRO, l’organisation gouvernementale australienne de soutien à la recherche scientifique et industriellei, se sont associés et ont créé une entreprise : Oxitec Australiaii. Une filiale d’Oxitec donc, dont le CSIRO est actionnaireiii. Cette entreprise est présentée dans les dernières communication d’Oxitec comme « nouvelle » et elle aurait été enregistrée au registre du commerce australien le 2 janvier 2024iv.

Le CSIRO n’est pas novice sur le dossier des moustiques OGM. Si elle n’est pas l’agence gouvernementale en charge de l’évaluation des risques, le CSIRO avait tout de même été mobilisé sur un autre projet autour de moustiques Anopheles gambiae génétiquement modifiés et disséminés au Burkina Faso dans le cadre du projet Target Malariav. Il était alors intervenu comme évaluateur « indépendant » des risques liés à la dissémination de ces moustiquesvi et avait conclu que les risques identifiés étaient « suffisamment limitées pour qu’aucune autre mesure d’atténuation des risques ne soit justifiés » au-delà des protocoles mis en place par Target Malaria.

Une demande de commercialisation d’un moustique transgénique

Oxitec Australia a déposé une demande de commercialisation du moustique transgénique Aedes aegyptii en juillet 2024 dans le seul État du Queenslandvii. Ce moustique a été modifié afin que la descendance entre ce dernier et une femelle sauvage soit totalement mâle (on parle de « stérilité mâle biaisée »). Cette demande devrait être soumise à une consultation du public en mars 2025viii. Pour être entièrement validée, « le demandeur devra déposer une demande distincte auprès de l’autorité australienne des pesticides et des médicaments vétérinaires [Australian Pesticides and Veterinary Medicines Authority – APVMA] avant de pouvoir vendre et utiliser cette souche de moustique génétiquement modifié. Il devra également obtenir l’autorisation du ministère de l’Agriculture, de la Pêche et des Forêts [Department of Agriculture, Fisheries and Forestry (DAFF)] avant d’importer les moustiques GM en Australie. En outre, le demandeur peut avoir besoin de l’autorisation du gouvernement du Queensland »ix.

Une demande d’essais toujours en attente

Un an avant, en 2023, grâce à un financement du CSIROx, Oxitec a lancé un programme pour mettre au point un « Friendly™ Aedes albopictus », expression utilisée pour cacher un Aedes albopictus génétiquement modifié… Il s’agit, comme pour Aedes aegyptii ou les autres insectes transgéniques mis au point par Oxitec, de modifier génétiquement les mâles afin que leur descendance avec des femelles sauvages soit uniquement mâle. Ceci afin, en théorie, de réduire la population de ce vecteur de maladies comme la dengue ou Zika. Aucune autorisation pour des essais n’a encore été délivrée par les autorités australiennes. D’après le communiqué de presse du CSIRO, « la nouvelle entreprise travaille déjà avec les communautés locales du détroit de Torres touchées par les épidémies de moustiques et de dengue, dans le but de déployer cette technologie dans les régions touchées une fois achevées »xi. Ce nouveau moustique OGM serait-il, là encore, un paravent pour préparer les esprits afin que la technologie d’Oxitec puisse s’appliquer aux insectes qui « nuisent » à l’agriculture ? Cela semble fort probable. Ce même communiqué se termine en évoquant que « Oxitec Australia s’emploie également à lutter contre les ravageurs menaçant les cultures, comme la noctuelle américaine du maïs (Spodoptera frugiperda, Fall armyworm caterpillar) ». Oxitec a déjà été autorisé à commercialiser cette noctuelle transgénique au Brésil xii.

Des projets en Australie depuis 2015

En 2015, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation de l’Australie Occidentale et Horticulture Innovation Australia Limitedxiii a financé des essais « en cage » d’un insecte génétiquement modifié d’Oxitec : une mouche des fruits de la Méditerranée (Ceratitis capitata, ou MedFly en anglais). Les œufs ont été importés du Royaume-Uni et élevés dans les installations de recherche du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation de l’Australie de l’Ouest (DAFWA en anglais). Le site Internet de ce ministère nous apprenait, en 2017, que l’essai consistait à comparer les « performances » des insectes rendus stériles par irradiation avec les insectes transgéniques d’Oxitec : « les mâles stériles ont été irradiés soit à une dose élevée, offrant une meilleure garantie de stérilité, soit une faible dose. Les mâles Oxitec surpassaient les mâles stériles traités à forte dose. Les performances d’accouplement des mâles d’Oxitec étaient comparables aux mâles stériles irradiés à de faibles niveaux ». Curieusement, malgré ces résultatsxiv, aucune demande de dissémination dans l’environnement n’a été faite et le projet n’a pas été développé. Cette mouche GM avaient déjà été au préalable disséminée à titre expérimental dans d’autres pays. Ainsi, en 2010, Oxitec a collaboré avec l’Université de Crète (Grèce) sur des essais en milieu « confiné » avec la mouche OX3864A. Dans une de ses communications, Oxitec se réjouissait que, « dans l’essai, la population de parasites de Medfly a été éliminée dans les serres en 12 semaines »xv. Une seule publication scientifique rend compte de cette performance, mais elle est co-signée par des membres d’Oxitec et de l’Université de Crètexvi. Oxitec évoque aussi des essais « sous filets » au Marocxvii, essais réalisés en partenariat avec Saoasxviii, un important groupe agro-industriel qui vend notamment des pesticides.

Les moustiques et autres insectes génétiquement modifiés ont été disséminés à titre expérimental dans de plusieurs endroits du globe depuis une bonne vingtaine d’années. Mais, au final, un seul pays a autorisé la dissémination commerciale d’un moustique transgénique : le Brésil. L’Australie ou les États-Unis suivront-ils ? Le peu d’impact réel de ces lâchers et l’opacité qui entourent ces essais les en dissuaderont-ils ?

i Le CSIRO a développé de nombreuses variétés génétiquement modifiées. Le niébé Bt qui a été autorisé au Ghana est issu d’un projet du CSIRO.
CSIRO, « The challenge : Increasing food security for Sub-Saharan African farmers ».

ii Australian Government, Australian Business Register, « Current details for ABN 15 673 846 609 », 21 janvier 2025.

iii Australian Government, Transparency Portal, « Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation Annual Report 2023-24 ».

iv Cependant, on trouve des traces de cette entreprise dès 2020 :
ASIC, Published notices, « OXITEC AUSTRALIA PTY LTD », 10 janvier 2020.

v Ce projet a des liens indirects avec Oxitec, notamment par le biais de Luke Alphey, co-fondateur d’Oxitec.

vi Target Malaria, « Independent risk assessment for contained laboratory studies on a sterile male
strain of Anopheles gambiae »
, 4 septembre 2015.

vii Australian Government, Department of Health and Aged Care, Office of the Gene Technology Regulator, « Summary of Licence Application DIR 207 », 13 novembre 2024.

viii Australian Government, Department of Health and Aged Care, Office of the Gene Technology Regulator, « NOTIFICATION OF APPLICATION – Receipt of licence application from Oxitec Australia Pty Ltd for commercial release of a genetically modified (GM) mosquito strain to help prevent dengue outbreaks », 13 novembre 2024.

ix Australian Government, Department of Health and Aged Care, Office of the Gene Technology Regulator, « Questions & Answers on licence application DIR 207 – commercial release of a genetically modified (GM) mosquito strain to help prevent dengue outbreaks », novembre 2024.

x CSIRO, « CSIRO, Oxitec to tackle disease-spreading mosquitoes threatening mainland Australia », 10 décembre 2024.
Tom Kilkelly, « Oxitec makes international waves with CSIRO partnership », The Business Magazine, 28 septembre 2023.

xi Ibid.

xii Christope Noisette, « Brésil : des insectes OGM au secours du maïs Bt », Inf’OGM, 23 mai 2023.

xiii Department of Primary Industries and Regional Development’s Agriculture and Food, « Fruit fly trial in Western Australia », 1er décembre 2017.
Horticulture Australia Ltd avait rencontré Oxitec à Oxford en février 2013 :
Richard Mulcahy, « International Networking for the Australian Vegetable Industry », Horticulture Australia Ltd, 2014.

xiv Nous avons demandé à recevoir un compte-rendu précis de cette expérimentation auprès du Département de l’Agriculture et de l’Alimentation de l’Australie de l’Ouest. En attente de réponse.

xv Oxitec, « Oxitec’s Medfly Ready for Open Field Trials », 12 décembre 2016.

xvi Leftwich PT et al., « Genetic elimination of field-cage populations of Mediterranean fruit flies », Proc Biol Sci, octobre 2014.

xvii Oxitec, « Oxitec’s Medfly Ready for Open Field Trials », 12 décembre 2016.

xviii Saoas a signé un accord exclusif avec Monsanto en 1982 :
Groupe Saoas, « Une démarche de partenariat de qualité ».

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