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Empreintes génétiques : la France condamnée
La France vient d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour la gestion de son fichier national des empreintes génétiques (Fnaeg). Mis en place en 1998 et destiné initialement aux « délinquants sexuels », ce fichier s’est généralisé, à partir de 2003, à la plupart des délits de droit commun. La Police a alors exigé de la part de syndicalistes ou de militants, notamment des Faucheurs volontaires d’OGM, qu’ils acceptent le prélèvement de leur ADN. Nombre d’entre eux ont refusé, ce qui a conduit à des procès, dont celui qui a mené à la condamnation de l’État français par la CEDH.
Jean-Michel Ayçaguer, agriculteur basque membre du syndicat Euskal Herriko Laborarien Batasuna (EHLB) – syndicat affilié à la Confédération paysanne – avait été condamné à 500 euros d’amende pour refus de prélèvement ADN en octobre 2009 par le tribunal de grande instance de Bayonne [1]. Il avait en effet refusé de se soumettre à ce prélèvement exigé par le Parquet suite à une action syndicale pour laquelle il avait déjà été condamné à deux mois de prison avec sursis pour « violence » [2].
Après avoir épuisé toutes les voies nationales, il a donc dénoncé cette condamnation et déposé une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) le 20 janvier 2012. Cinq ans plus tard, le 22 juin 2017, la CEDH condamne, à l’unanimité des sept juges la France pour atteinte « disproportionnée » à la vie privée et considère qu’il y a eu violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la Convention européenne des droits de l’homme : « La condamnation pénale de M. Ayçaguer pour avoir refusé [le prélèvement ADN] s’analyse en une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique » [3].
2,5 millions d’individus fichés
Le fichier Fnaeg, créé en 1998, contenait la trace de 2,5 millions d’individus au 1er septembre 2013, selon la Commission nationale informatique et libertés (CNIL). Et 3,4 millions en 2016, selon le Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) [4].
Un faucheur n’est pas un terroriste
La Cour, sans remettre en cause l’existence du Fnaeg, s’insurge contre le fait que la loi française ne fasse « aucune différenciation en fonction de la nature et de la gravité de l’infraction commise ». Ainsi, « la France doit verser au requérant 3 000 euros (EUR) pour dommage moral, et 3 000 EUR pour frais et dépens ». L’arrêt suppose aussi que l’État français modifie sa législation en matière de conservation des empreintes génétiques (articles 706–55 et suivants du Code de procédure pénale).
Interrogée par Inf’OGM, Me Anne-Marie Mendiboure, avocate à Bayonne, nous précise que « la CEDH se contente de dire qu’il y a une violation. C’est à l’État condamné de changer la loi. Mais s’il ne fait rien, de toute façon, ce jugement s’imposera à tous les tribunaux nationaux. Ainsi, si une personne est poursuivie pour refus de prélèvement ADN, ce jugement sera utilisé par le juge pour refuser de condamner ladite personne ».
Plus précisément, la Cour souligne que « le Conseil constitutionnel avait rendu, le 16 septembre 2010, une décision déclarant que les dispositions relatives au Fnaeg étaient conformes à la Constitution, sous réserve entre autres “de proportionner la durée de conservation de ces données personnelles (NDLR : 40 ans à partir de la date de la condamnation), compte tenu de l’objet du fichier, à la nature ou à la gravité des infractions concernées” ». La Cour note qu’à ce jour cette réserve n’a pas reçu de suite appropriée et qu’aucune différenciation n’est actuellement prévue en fonction de la nature et de la gravité des infractions commises ». La Cour considère en effet que « les agissements de [M. Ayçaguer] s’inscrivaient dans un contexte politique et syndical et concernaient de simples coups de parapluie en direction de gendarmes qui n’ont d’ailleurs pas été identifiés. Ces infractions se différencient nettement d’autres infractions particulièrement graves à l’instar des infractions sexuelles, du terrorisme ou encore des crimes contre l’humanité ou de la traite des êtres humains ».
La Cour rappelle que le simple fait de mémoriser des données relatives à la vie privée d’un individu constitue une ingérence au sens de l’article 8. Les profils ADN contiennent une quantité importante de données à caractère personnel unique. Elle ajoute : « La Cour estime cependant que les personnes condamnées devraient également se voir offrir une possibilité concrète de présenter une requête en effacement des données mémorisées ».
En conséquence de quoi, la Cour estime « que le régime de conservation des profils ADN dans le Fnaeg n’offrait pas, en raison de sa durée et de l’absence de possibilité d’effacement, de protection suffisante aux intéressés. Cette circonstance ne traduisait donc pas de juste équilibre entre les intérêts publics et privés en jeu ».
Cet arrêt est susceptible de recours devant la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme, dans un délai de trois mois.
En 2012, la Cour européenne des droits de l’homme avait déclaré « irrecevables » les requêtes des Faucheurs volontaires concernant leur refus de prélèvement ADN au motif de « violation de l’obligation de confidentialité des négociations sur un règlement amiable » [5]. Donc pour des questions de procédure, la Cour n’avait pas jugé sur le fond la requête des Faucheurs. Précisons aussi que depuis le vote de la loi française sur les OGM en 2008, un délit spécifique a été établi pour le fauchage d’OGM, délit qui n’entraîne plus le fichage ADN. Pour ce motif, plusieurs tribunaux ont relaxé les Faucheurs qui avaient refusé ce fichage.
Me Mendiboure nous exprime sa satisfaction, non seulement par rapport à son client, mais aussi car elle considère que « c’est une décision importante dans la situation actuelle. En effet, avec l’état d’urgence, l’exception devient la règle. Cet arrêt rappelle que la liberté individuelle est une valeur qu’il ne faut pas oublier. Elle peut être plus importante que l’impératif sécuritaire d’un État ».
[1] Après la confirmation de ce jugement par la Cour d’appel de Pau, M. Ayçaguer a formé un pourvoi en cassation qui a été rejeté.
[2] En fait de violence, il s’agissait d’une bousculade sans gravité entre les syndicalistes et les gendarmes. L’arrêt de la CEDH note « M. Ayçaguer fut placé en garde à vue et cité devant le tribunal correctionnel de Bayonne pour avoir volontairement commis des violences n’ayant entraîné aucune incapacité totale de travail sur personne dépositaire de l’autorité publique avec usage ou menace d’une arme, en l’occurrence un parapluie. »
[3] Affaire Ayçaguer c. France, requête n° 8806/12